Ludwig Binswanger

Foucault loue l’analyse existentielle exactement parce qu’elle renvoie, par le moyen justement de cet a priori, à l’historicité des formes d’expérience. […] Foucault met en lumière […] l’idée d’un a priori paradoxal qui émerge de son utilisation avant d’avoir fait l’objet d’une théorisation préalable. […]
Autrement dit, l’a priori dont il est question dans la Daseinsanalyse est un transcendantal de caractère structural qui s’offre à la fois comme instrument, comme grille d’analyse pour diagnostiquer une configuration pathologique donnée, et comme principe de configuration propre à diagnostiquer par le moyen de cette même analyse qui s’appuie sur lui.

Si pour Binswanger le Dasein est au centre de l’analyse psychiatrique, c’est parce que son être s’exprime à travers un fonctionnement qui est « ordonné selon une norme » qu’ « il faut caractériser positivement, c’est-à-dire à partir de la vie exclusive dans l’espace d’action ».

Je voudrais montrer à l’aide d’un exemple que, bien souvent, ce ne sont pas les rêves comportant des contenus extrêmement frappants qui inspirent du souci au psychiatre, mais ceux dans lesquels le contenu de l’image, et avec lui aussi le mouvement dramatique du rêve, demeurent en retrait par rapport au contenu de la tonalité affective.

Comme le souligne avec pertinence Foucault, […] Freud, obéissant à la tendance de fond de la modernité, « a psychologisé le rêve », lui ôtant par là « tout privilège comme forme spécifique d’expérience », alors que toute l’histoire du rêve en Occident montre au contraire qu’il a, des Grecs aux romantiques, constamment été mis en relation avec l’ensemble du cosmos.

[préface]

Il s’agit donc pour l’homme et en particulier pour l’homme malade de savoir s’il veut garder sa pensée individuelle, « son théâtre intérieur », comme dit l’un des malades de Binswanger, ou bien s’il veut s’éveiller de son rêve et prendre part à la vie universelle. Or le médecin est le médiateur entre ces deux mondes et guérir signifie, avec son aide, entrer dans la spiritualité de la communauté.

[préface]

Ce sont justement des « problèmes philosophiques » que Foucault entend dégager de l’anthropologie existentielle de Binswanger, plutôt que d’en « refaire le chemin » en la déchiffrant par une exégèse.

A la place de ce qui est pour nous extérieur et intérieur, de cette opposition néo-platonicienne, chrétienne et romantique, on trouve chez les Grecs de l’époque archaïque l’opposition de la nuit et du jour, de l’obscurité et de la clarté, de la terre et du soleil.

lorsque nous parlons de la même manière, par exemple d'une tour haute ou basse, d'un ton haut ou grave, une hausse ou basse moralité, d'un moral élevé ou déclinant, il ne s'agit ici nullement de transpositions verbales d’une sphère d'être à une autre, mais plutôt d'une direction générale de sens qui se distribue de manière égale sur chacune de ses sphères régionales, c'est-à-dire prend, à l'intérieur de celle-ci, des significations particulières (spatiales, acoustiques, spirituelles, psychiques, etc).
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Etant donné que nous ne savons pas où commencent la vie et le rêve, nous nous verrons sans cesse rappeler au cours de notre vie qu’ « être » au sens suprême « l’individu » » excède les forces de l’être humain.

Nul ne peut recouvrer la santé, la recouvrer réellement au plus profond de son être, si le médecin ne parvient pas à faire jaillir en lui la petite étincelle de la spiritualité qui doit demeurer en éveil pour que puisse être éprouvé le souffle de cet esprit.

Dans la mesure où nous avons part au savoir de l’entendement divin, nous sommes dans la vérité, dans la mesure où nous appartenons au particulier (idiasômen), nous sommes dans l’illusion.

Le rêve n’est donc pas un domaine particulier séparé de l’état habituel de veille, mais une modalité particulière de l’être-homme. Or ce qui est essentiel au rêve, c’est pour Binswanger, comme déjà pour Sartre, l’objectivation en images des Stimmungen, des tonalités affectives.

[préface]

Le véritable point de départ de Rêve et existence est donc l’analyse de l’expérience vécue de la déception en tant que celle-ci est immédiatement comprise comme une chute.

[préface]

Contrairement à la mise en relief de la forme renommée d'une individualité dans une perspective historico-scientifique, laissons à présent hors du jeu tous les jugements portant sur cette individualité (...) et, avant tout, laissons nos propres jugements, pour autant que cela est toujours possible lorsqu'on tourne le regard, sans être égaré par eux, sur les formes du Dasein dans lesquelles l'individualité en question est au monde. (L'individualité est quand même ce qu'est son monde en tant qu'il est sien !) A la place de la forme historique élaborée en conformité à l'impression et au jugement, apparaît ici la forme du Dasein phénoménologiquement interprétée et analysée. Mais comme cette forme ne reste pas la même tout au long de la vie mais subit des mutations, l'analyse existentielle ne peut pas procéder d'une manière purement systématique mais elle doit, comme nous le verrons dans la suite, tenir strictement aux données de l'histoire de la vie. (L. Binswanger, introduction du chapitre "Analyse existentielle")

Quand le jour avec hâte et inquiétude s'est écoulé et qu'au crépuscule montant nous sommes assis à la fenêtre, le livre tombe de notre main, nous posons le regard sur le lointain, sur le soleil déclinant, et les anciennes images surgissent devant nous. Les anciens projets, les anciens espoirs dont aucun ne s'accomplit, la solitude sans bornes du monde et notre infinie petitesse se dressent devant notre âme fatiguée. Alors à nouveau la vieille question se presse sur nos lèvres : pour quelle raison, pourquoi tout cela ? Pourquoi faisons-nous effort, pourquoi vivons-nous, pour pourrir dans le sol froid de la terre, oubliés après un si court laps de temps ? (extrait du Journal intime d'Ellen West, année de ses 18 ans)

A travers Binswanger, Foucault explicite […] le projet phénoménologique de dépasser en même temps la « science » et la « spéculation » pour laisser apparaître les phénomènes plutôt que de les reconduire à un ordre de significations données.

La phénoménologie formulerait l’exigence de mettre en question la légitimité de toute « interprétation » et de tout « choix réducteur » opéré sur un sujet qui apparaît toujours, au contraire, comme une totalité actuelle et historique.

C’est seulement parce que nous ne sommes pas en rapport avec le tout que nous rêvons.

Les tenants de la pure théorie de la subjectivité comme quisque oublient qu’ils ne détiennent que la moitié de la vérité ; ils oublient que l’homme conduit certes son véhicule « là où il lui plaît, mais que sous les roues de celui-ci tourne à son insu la sphère sur laquelle il circule ».

Chez les Grecs les limites entre l’espace de l’expérience intérieure, l’espace des événements extérieurs et l’espace du culte se confondent. Cela vient de ce que le sujet de l’image du rêve, celui du devenir cosmique et celui qui prononce la sentence rituelle ne font qu’un : la divinité, Zeus ou ses mandataires, auxquels il a délégué sa puissance de manière provisoire ou permanente.