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4.05/5 (sur 10 notes)

Nationalité : Italie
Né(e) à : Varèse , le 19/08/1943
Biographie :

Luigi Zoja est un psychanalyste et écrivain.

Il a fait ses études à l'Institut C. G. Jung de Zurich. Il a notamment été président de l’Association internationale de psychologie analytique (IAAP) de 1998 à 2001.

Dans ses nombreux ouvrages, il analyse les travers collectifs des sociétés contemporaines, en les mettant en perspective dans la longue durée culturelle.

Aboutissement de 10 années de recherches, son essai "Paranoïa" ("Paranoia. La follia che fa la storia", 2011) s’attache à explorer la paranoïa comme mal collectif.

Luigi Zoja vit et travaille à Milan.

site officiel : https://www.luigizoja.it/

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Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Au fond, la force d’Ulysse réside dans une faculté très simple. À lui de choisir entre l’innovation enthousiasmante et la vieille réalité contraignante, que seuls les sots négligent. On nous a certes répété qu’Ulysse représente le besoin de découverte, qu’il est l’archétype de l’homme occidental, toutes époques confondues, dévoré par un frénétique besoin d’innovation. Mais son besoin de continuité dans la nouveauté, de renouvellement sans destruction préalable, est plus prophétique encore. L’audace existait déjà mais il lui manquait un projet ; elle s’éteignait dans son propre élan. Ce nouveau cheminement, destiné à construire plutôt qu’à innover, naît des doutes intimes d’Ulysse : au lieu de s’enfermer dans une hésitation, ils ouvrent sur un choix. (…)
Ulysse avance et décide : il invente un choix – une innovation perfectible mais payante, et qui vient s’opposer à l’impuissante inertie de ceux qui sont infaillibles parce qu’ils n’ont pas à choisir. (…)
Ulysse suit scrupuleusement le but qu’il s’est fixé. Le retour est érigé en principe absolu de son existence, motivant le moindre de ses actes. Tel est la règle qu’il s’est donnée à lui-même. Hélas, il est entouré de compagnons stupides, à l’horizon mental infiniment plus borné que le sien. Leur soif de gloire, leur lassitude ou leur avidité contrarient son programme et en retardent constamment la réalisation.
Le personnage d’Elpénore en donne d’ailleurs une illustration parfaite. C’est en compagnie de ce jeune guerrier d’une témérité toute relative et aux raisonnements assez abscons qu’Ulysse arrive chez la magicienne Circé. Ivre mort, Elpénore s’endort sur le toit de sa demeure. Puis l’heure du départ approche, et Elpénore, comme de nombreux adolescents, n’est pas entièrement réveillé. Désorienté, il rate l’échelle et se brise le cou en tombant.
Quelques lignes ont suffi à Homère pour décrire l’ennemi intérieur : inexpérience, manque de combativité, ivresse, tête en l’air (le choix du toit), difficulté à résister à la tentation ( la maison de Circé), illusion de pouvoir se reposer puis s’atteler immédiatement à sa tâche (le bond qui fait manquer l’échelle). »
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9. « Nous sommes aujourd'hui, semble-t-il, les témoins d'un retour au stade préhumain : les pères disparaissent peu à peu, laissant place à la horde des mâles prêts à s'affronter les uns les autres. La famille monogamique n'ayant cependant pas été abolie, l'humanité n'est pas officiellement revenue aux luttes visant à la répartition des femelles entre mâles dominants. Voilà pourquoi le monde masculin dans son ensemble inspire souvent aux femmes (à toutes les femmes, pas seulement aux féministes) un sentiment de désolation, de vide, de dépersonnalisation, comme si la majorité des hommes était de trop, car en abdiquant la responsabilité paternelle, l'homme perd sa singularité, mais ne retrouve pas pour autant son rôle collectif dans la sélection génétique.
Comme nous l'avons vu, l'éloignement du père est double. Si, concrètement, les pères sont de moins en moins présents, symboliquement, leurs fonctions rituelles – élévation, bénédiction, initiation de l'enfant – ne sont plus exercées. Les mères peuvent combler le premier vide, matériel, mais difficilement le second, symbolique. Car il s'agit davantage d'une disparition totale des rites que de savoir comment ils sont répartis entre hommes et femmes.
[…]
La fin des rites et des mythes a rendu irréversible la disparition des pères. Et cela n'a rien à voir avec le patriarcat ou le matriarcat, car c'est avant tout la conséquence de la modernisation. Rien d'étonnant, quand on sait que l'absence concrète des pères est due quant à elle en grande partie à la rupture des couples – autrement dit, une liberté caractéristique de la modernité. » (pp. 362-363)
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8. « L'homme occidental civilisé, incarnation emblématique du monde postmoderne et fondamentalement démocratique, a répété et démultiplié à l'infini le plus archaïque des crimes : non pas le meurtre d'Abel par Caïn – opposés bien que frères – mais la sanglante mise à mort d'Hector par Achille. Si l'assassinat d'un frère laisse l'autre en vie, l'assassinat d'Hector se solde par la victoire du mâle compétiteur sur le héros paternel.
Qu'est-ce qu'être père ? Avoir un revenu, ou avoir des enfants ? Travailleur ou géniteur, le père se sent irrémédiablement jugé à l'aune de sa réussite. À ce titre, la situation des pères séparés, qui représentent près de la moitié des cas et qui pourraient bientôt passer majoritaires, est tout à fait éloquente.
[…]
Si les études sur le divorce ont porté majoritairement sur les retombées de l'absence du père sur les enfants, la recherche a cependant mis en évidence – sans, hélas, l'analyser en détail – la souffrance psychique du père qui, d'un coup, se retrouve sans ses enfants ('involuntary child absence syndrome'). Ce mal-être, qui prend la plupart du temps l'aspect d'une dépression, est d'autant plus frappant qu'il est inconscient : certains pères s'avèrent souvent incapables de comprendre qu'ils souffrent de l'absence de leurs enfants. D'autres en seront parfaitement conscients, mais ne tenteront pas d'y remédier en renouant avec eux. Il s'agit là d'une situation inédite : si c'était, autrefois, à l'enfant de partir à la recherche de son père (à la façon de Télémaque), c'est désormais aux pères de retrouver leurs enfants, sans pour autant disposer des rites et des traditions nécessaires. De deux choses l'une : ou bien le parent isolé trouve sa propre voie, ou bien il refoule le problème. » (pp. 336-337)
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4. « Déterminée à contrecarrer cette menace de régression, la société patricentrique [grecque] n'eut de cesse de s'exalter elle-même. Considérant sa civilisation comme un objet de fierté à part entière, elle porta aux nues la figure paternelle, jusqu'à tomber dans l'excès. […] À partir de l'époque d'Homère leur civilisation n'échappa à l'oubli qu'au prix d'une inégalité criante entre les pères et les mères. Déjà marquée à l'époque de l'Aède, cette disparité ne fit que s'accentuer. […]
Mais l'insécurité de ces pères adolescents, leur besoin de se sentir le centre du monde, en firent les auteurs d'une science et d'une philosophie toujours confondues qui expliquaient la fécondation et la génération en renversant la vénération archaïque pour le ventre des mères en son contraire. L'admiration sans bornes pour la capacité génératrice du monde féminin fut soudainement niée avec un fanatisme aveugle (qui n'est pas sans rappeler le racisme, toutes époques confondues). Une fois la toute-puissance génératrice des mâles théorisée, le ventre maternel devint un simple réceptacle ou une terre à labourer. L'enfant n'eut dès lors qu'un seul et vrai parent : son père. Près de trois mille ans plus tard, Jung appela "énantiodromie" ce phénomène de renversement des contraires, déjà observé chez Héraclite. » (pp. 147-148)
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1. « Au fond, la lutte d'Ulysse contre Polyphème tout comme celle de King Kong contre le citoyen moderne ne sont que deux représentations d'une même ambivalence irrésolue. L'un comme l'autre sont moins la métaphore d'un conflit au sein de la société que celle, surtout, d'un affrontement intérieur propre à l'homme – non seulement entre l'intelligence et la force, mais aussi entre la personnalité du père et celle du mâle précivilisé, concentrée sur la force physique et dimorphique du fait même (et c'est la paléontologie qui nous l'a prouvé) qu'elle est encore prépaternelle. Il y a, au fond, une part de vérité dans le raccourci qui voit en King Kong – dans l'homme-singe bien vivant dans l'imagerie populaire et l'inconscient de chacun – le symbole d'une masculinité encore dominée par le sexe. Cette lutte remonte à la préhistoire mais n'est pas résolue encore à cette heure. Intimement prise entre deux feux, la psyché masculine doit parallèlement affronter un problème venu, lui, de l'extérieur : le "paradoxe du père" résulte incontestablement d'une ambivalence identique. On attend simultanément de lui qu'il adopte une conduite morale et qu'il se montre capable de surmonter les obstacles par la force pure. » (p. 63)
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5. « [À Rome] Avoir conçu un enfant avec une femme n'a, en soi, aucune valeur : il faut donner la preuve de sa volonté d'être père. Aussi, le père soulève-t-il publiquement son enfant (s'il s'agit d'une fille, le père se contente d'ordonner qu'on la nourrisse), indiquant par là qu'il en prend la responsabilité. À la différence des Grecs, les Romains s'occupent de l'éducation de leurs fils. Toute "véritable" paternité se configure ainsi comme une adoption […]
[…]
Non content de concevoir physiquement un enfant, l'homme doit vouloir construire un lien durable avec lui. Loin d'être abstraite et arbitraire, cette règle du droit romain résume à elle seule la genèse préhistorique de l'institution familiale. La diffusion et la longévité de cette loi ne s'expliquent pas seulement par la force politico-militaire de Rome, mais aussi (et surtout) par cette capacité à reproduire la démarche originelle qui arracha l'homme à l'animalité pour le conduire vers la famille monogamique. » (pp. 200-201)
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6. « Le père pauvre, urbanisé, arraché à sa campagne, à son activité traditionnelle et à son identité, a cessé d'inspirer le respect – aux autres comme à lui-même. Ce n'est qu'un moment où sa nouvelle situation lui fait côtoyer horizontalement une infinité d'autres personnes qu'il recommence à exister. Le voilà partie intégrante d'une masse, qui contrebalance, momentanément, son sentiment permanent d'impuissance. […] L'ouvrier du XIXe siècle semble avoir oublié le sens du mot "père", sans peut-être s'en rendre compte ; ses enfants et sa femme ne le comprennent plus, ils le méprisent. Son patron lui vole le temps qu'il passe à l'usine, devenue la geôle de ses pensées. Les révolutionnaires exigent qu'il rejoigne leur mouvement, mais pas en tant que père (une fonction moribonde, à en croire Marx) – tous défendent, en effet, des structures étatiques visant à remplacer une figure paternelle de plus en plus marginale et à lui épargner l'illusion de copier la famille bourgeoise. » (p. 224)
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3. « Pour l'heure, le père et la mère sourient. Hector ôte son casque, le pose par terre pour pouvoir prendre son enfant dans ses bras. Réveillé par ce petit incident, le Troyen mesure le danger de s'enfermer dans une mélancolie paralysante. Tout en formulant un vœu pour l'avenir, il soulève son fils, à bout de bras et en pensée. Ce geste sera pour toujours la marque du père.
En priant pour son fils, Hector défie les lois de l'épopée : "Zeus ! et vous tous, dieux ! Permettez que mon fils, comme moi, se distingue entre les Troyens, qu'il montre une force égale à la mienne, et qu'il règne, souverain, à Ilion ! Et qu'un jour l'on dise de lui : 'Il est encore plus vaillant que son père', quand il rentrera du combat !"
Des mots révolutionnaires. La prière d'Hector a bouleversé la toute-puissance immobile du mythe. L'enfant est devenu un fils et le fils, une espérance en quelque chose de meilleur que les temps mythiques. » (p. 108)
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2. « Sans entrer dans les aspects archéologiques et anthropologiques les plus spécifiques de la question, la psychologie devrait repenser le mystère du matriarcat de son propre point de vue, en le regardant comme un pur produit de l'imagination de ceux qui étudient encore aujourd'hui la préhistoire en fonction de leur préférence pour les pères ou pour les mères. Sculpter des statuettes féminines à l'ère du néolithique impliquait, y compris chez les hommes, une vision fantasmée de la grossesse. L'imaginaire de l'époque était dominé par des représentations d'engendrement – indice explicite de la façon dont la condition et la psychologie humaine portent l'homme à se reproduire, renaître, féconder, faire naître. Et ensuite cultiver, faire croître. […] Que cette époque ait été ou non celle du matriarcat importe finalement peu : elle était celle d'une psychologie "matricentrée". » (p. 85)
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7. « Si d'aucuns reprochent à Moynihan [The Negro Family..., 1965] d'avoir sous-entendu un strict lien de causalité entre l'absence du père et le processus de marginalisation sociale, d'autres, renversant la perspective, affirmèrent que c'était la misère socio-économique qui entraînait la désagrégation du cercle familial. De fait, la situation des États-Unis montre qu'il existe indubitablement un lien entre ces deux manques : plus un groupe est marginalisé, plus les familles manquent d'un père. Particulièrement alarmiste, le rapport Moynihan eut le mérite d'ouvrir le débat sur l'aspect qualitatif, plus que quantitatif, de la misère. » (p. 280)
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