Dans la rue, lorsqu'une personne "normale" rentre de son boulot, sa démarche est rapide, sûre, elle sait où elle va. En revanche, quelqu'un qui n'a pas d'objectif, qui peut aller aussi bien à droite qu'à gauche parce que personne ne l'attend nulle part, cet homme ou cette femme-là marche différemment. Tout dans son allure dénote sa marginalité. la fatigue la fait se déplacer lentement, bien souvent en traînant les pieds. Les problèmes quotidiens pèsent sur ses épaules qui se courbent, la silhouette se casse, le visage est hâve et souvent les yeux sont baissés. Cela se détecte, se sent, et les prédateurs sont à l'affût pour lui proposer mille et une horreurs, qui vont de la drogue à la prostitution. (p.86-87)
Comme s'il y avait une saison pour être SDF, nous on est à la mode en hiver. Mais quand on est sans-abri, la rue, c'est toute l'année. Douze mois sur douze. L'été aussi. Et l'été, c'est presque plus dur. Comme tout ferme, il faut vraiment se débrouiller seul. On est alors obligés d'accomplir ces gestes qui nous enfoncent d'avantage dans notre dèche parce que chaque fois on y laisse un peu de notre dignité : fouiller dans les poubelles, faire la manche.
Il ne faut pas s'imaginer qu'un cœur se remplace comme une porte. Lorsqu'on a le cœur à nu, c'est plus facile de rentrer sans y être invité, pour lui faire du mal. Si l'on ne se protège pas, n'importe qui peut s'en emparer, le briser, alors que ses plaies ne sont pas encore refermées.
C'est trois fois rien, un soleil, mais quand ça brille, ça fait chaud au cœur.
Quand un môme a un problème, il n'en parle pas parce qu'il a peur. La confiance ne s'accorde pas aussi facilement que cela. Et, s'il hésite à parler de ses malheurs avec l'éducateur, c'est qu'il ne voit en lui qu'un adulte, un étranger. Et une des premières choses que l'on apprend aux enfants, c'est se méfier des adultes.
Quand je pense à ceux qui sont à la rue depuis des années et qui restent propres, gardent une dignité, sans jamais céder à la tentation de la déchéance, du petit décrochage fatal, je me dis qu'il y en a qui font preuve d'un immense courage.
Ce que j'ai vécu, je ne veux pas l'oublier. Ça fait partie de moi c'est mon histoire mais je ne veux pas vivre avec, non plus. Il faut que je la range dans un coin de ma mémoire, au chapitre des souvenirs.
On parcourt tous le même chemin, mais on ne s'arrête pas tous au même endroit. Les clochards, eux, vont jusqu'au bout. Ils abdiquent, baissent les bras et renoncent à eux-mêmes. Les galériens, en revanche, essaient de s'en sortir. Ça n'est pas une question de longueur de séjour à la rue, c'est une question de résistance et de volonté. Il a des clochards qui le deviennent en trois mois, il y a des galériens qui tiennent dix ans.
Être SDF, c'est devenu honteux. Ce qui dérange la société, c'est que nous sommes ses victimes. En nous, elle voit ses mauvaises notes, ses erreurs accumulées, son égoïsme, ses poubelles qu'elle ne sait pas où vider, les preuves vivantes de son échec.
Être SDF, c'est devenu honteux. Ce qui dérange la société, c'est que nous sommes ses victimes. En nous, elle voit ses mauvaises notes, ses erreurs accumulées, son égoïsme, ses poubelles qu'elle ne sait pas où vider, les preuves vivantes de son échec. Elle s'est trompée d'idéal. Choisir la rentabilité et la compétition, plutôt que l'épanouissement de l'être humain, c'est une course perdue d'avance ; cela revient à dire qu'il n'y a que les supermen qui peuvent trouver leur place. Que seuls les beaux, les riches, les jeunes et les intelligents peuvent désormais réussir.