- Dites au coursier qu'il n'y a pas de réponses.
- Oh, mince alors. J'y ai déjà dit d'partir. Vous voulez que j'le rattrape pour lui dire d'pas attendre ?
Je vous ai déconseillé la lecture des ouvrages de philosophie, dit Sidney Grice en souriant. Ils vous farcissent la tête d'idées et, chez l'individu de sexe féminin, les idées risquent trop aisément de conduire au déséquilibre mental. Ce n'est pas là mon opinion mais les conclusions d'années de recherches scientifiques menées par les médecins de l'Hôpital royal de Bedlam pour les aliénés.
- C'est la fierté de ma demeure.
Sidney Grice s’effaça pour me montrer ce qu'il appela la salle d'eau. les équipements étaient superbes, avec une baignoire en émail blanc sur des pieds fourchus en cuivre, un lavabo en porcelaine blanche sur une colonne haute à facettes et un cabinet assorti avec une citerne au-dessus.
- Nous disposons de l'eau courante, froide ou chaude, tant que Molly maintient la chaudière allumée.
- Quel luxe !
Je ne lui dis pas à quel point je trouvais répugnante la présence de cabinets d’aisances dans la maison même. Je n’étais pas surprise alors de toutes les rumeurs qui couraient sur la pestilence régnant à Londres si toutes les habitations étaient aussi peu hygiéniques.
- Cela doit être extrêmement gratifiant de contribuer à rendre la justice, commentai-je.
Sidney Grice souffla.
- Il est plus satisfaisant de voir les délinquants punis, mais j'aime être sûr que les innocents ne risquent rien. Bien entendu, plus vous vous élevez dans la société, plus cela est important. On peut se permettre quelques petites erreurs avec des prostituées, par exemple, mais vous devez être absolument sûr de votre fait avant de faire pendre un évêque.
- Les meilleurs mensonges ont toujours l'odeur de la vérité, mais, si la substance est corrompue, il n'en empestent pas moins, quels que soient les efforts que l'on fait pour les parfumer.
- [...] Je suis désolé d'avoir dû te faire subir une telle expérience, mais tu viens d'apprendre la leçon la plus importante qu'il te sera donné d'apprendre. Personne n'a le droit de décider de la mort d'un autre. Le condamner à la prison pour toujours s'il le faut. Mais décider de son espérance de vie ? Seul Dieu possède ce droit.
— L’ennui est que le marché du livre est envahi par tellement de niaiseries romantiques, de nos jours, que la littérature de qualité comme la nôtre est souvent négligée.
— Dînez-vous habituellement seul ? demandai-je.
— Non, répondit Grice, je dîne avec un livre. Mon favori est Brève étude des vers parasites d’Afrique. Il comporte de superbes illustrations en couleurs.
— Cela ne vous empêche-t-il pas de savourer votre repas ?
— Pour quelle raison ? Je n’ai pas l’intention de les manger.
Lorsque Dieu a créé les idiots, il a mis les plus idiots de tous en uniforme et leur a donné des casques pour que les pensées n'entrent pas dans leur tête, déclara Sidney Grice.
Et cherchez pas à nous mettre ça sur le dos ! cria-t-il derrière moi. J'ai des amis hauts placés.
Des singes dans les arbres ? demandai-je poliment avant de sortir.