"Tous les hommes sont des causes perdues" de Mabrouck Rachedi lors de la 3ème rencontre des "Universités des littératures des Afriques" organisées par le collectifs Palabres autour des Arts et le théâtre Cergy 95
J'espère que l'on trouvera les traces d'une intelligence extraterrestre parce que j'ai peur que sur Terre, il y en ait de moins en moins.
« Sofiane, Myriam, Kader et moi, avons choisi notre identité, chacun à notre manière, et rien n’assure qu’elle n’évolue pas »

Sublime ironie, Charlie Hebdo, journal satirique qui touchait à tout, s'est transformé en symbole d'unanimisme intouchable. C'est un Dieu sans religion mais avec des prophètes martyrs pour lequel o a introduit un délit de blasphème : émettre la moindre idée contradictoire est désormais un sacrilège.
Charlie est comme Madonna : plus personne ne l'écoute chanter son play-back désynchronisé, plus personne ne s'esbaudit de ses chorégraphies fatiguées, mais il s'est transformé en une image iconique déconnectée de l'original. Les petites culottes de la madone qui faisaient frétiller les ados vaguement rebelles sont devenues des reliques qu'on accroche au musée des nostalgies, comme le vrai esprit Charlie, irrévérencieux et subversif, s'est envolé un triste 7 janvier 2015. Contre les fous de Dieu, les fous de Charlie fleurissent. Inch'arlie a remplacé Inch'Allah dans leur vocabulaire laïcard.
(dans "Le Courrier de l'Atlas", numéro 90)
Il fallait être français, sans tout à fait l’être et tout en cherchant à l’être mieux. Allez comprendre quelque chose.
Il jure à son père qu’il va le sortir de là et pour y parvenir, il prendra désormais le contre-pied de ce que ses parents lui ont enseigné. Il ne faut pas se faire remarquer ? Il ouvre grand et fort sa bouche. Il ne faut pas se mêler des affaires des autres ? Il intervient à chaque litige. Il ne faut pas répondre aux provocations ? Il est impliqué dans la moitié des bagarres du quartier.
Lors d’une de ces milliers de lectures sur tout et n’importe quoi que j’ai accumulées dans ma vie, j’ai découvert que le fer utilisé pour la tour Eiffel venait en partie des mines de Zaccar et de Rouïna, en Algérie. Le monument le plus célèbre du monde est comme notre famille, français avec des bouts d’Algérie dedans.

Mon père a passé son service militaire dans une caserne. Deux ans dans le désert algérien. Imagine tout ce temps vécu dans un pays que tu ne connais pas, avec une mission qui ne te plaît pas. Il ne se souvient même plus du nom du village près duquel il était. Ce nom était imprononçable pour des Français qui ne parlaient pas arabe, à de très rares exceptions près. Centre trente-deux ans de colonisation pour ne même pas maîtriser la langue du pays… C'est bien la preuve qu'il y avait quelque chose de pourri dans ces 'départements' d'Algérie.
Mon père m'a avoué que, là-bas, il avait compris pourquoi les Algériens se battaient. On avait beau leur dire qu'on leur construisait des routes, qu'on leur apportait le progrès et la modernité, on ne leur a jamais demandé leur avis ni accordé des droits équivalents à ceux des métropolitains. D'ailleurs, rien que l'idée d' « accorder » des droits nous mettait en position de domination.
Mon père a subi cette guerre comme beaucoup de ses contemporains plongés dans les mêmes circonstances. Il faut être vigilant en tant que citoyen pour ne pas se retrouver prisonnier de l'Histoire, pour ne pas être passif face aux décisions qu'on vous impose.
(p. 81-82)
[ Wikipédia :
De 1954 à 1962, un nombre grandissant d'appelés du contingent fut envoyé en Algérie pour participer à la guerre d'Algérie, commencée le 1er novembre 1954. Officiellement, pour la France, il n'était alors pas question de parler de guerre d'Algérie, mais d'opérations de « maintien de l'ordre » ou de « pacification ». (…)
Entre 1952 et 1962 ce sont 1 343 000 appelés ou rappelés et 407 000 militaires (soit 1 750 000 militaires) qui participeront "au maintien de l'ordre en Afrique du Nord" (en Algérie, Maroc et Tunisie). ]
Un chômeur cherche au moins un emploi. Un écrivain croit qu’il en a un.
Je repense à une anecdote que m’avait racontée mon père. Enfant, sa mère lui interdisait de manger le pain frais pour le conserver. Il fallait finir le pain rassis et pendant ce temps, le pain frais devenait rassis pour être consommé le lendemain.
Ma mère ne sait rien de la fête qu’on lui prépare. Elle ignore même que c’est son anniversaire. Elle a perdu le décompte des jours, avec l’âge. À soixante-dix ans, on n’est pourtant pas si vieux. Sauf quand on a connu la guerre, dix accouchements, les bidonvilles puis les banlieues. Elle porte autant le poids de l’âge que des vicissitudes.