Il n’était plus question pour Estelle de s’appesantir sur ses états d’âme. La vie des éleveurs faisait souvent passer l’ouvrage et la santé des bêtes avant leurs préoccupations d’ordre personnel. Elle nettoya la chèvrerie.
Après la visite du vétérinaire et les soins administrés à la malade, il fallut faire rentrer le troupeau, traire et s’occuper à la fromagerie. Ils dînèrent en silence, presque dans le recueillement. La journée s’achevait bien tristement.
Le chagrin attendrait la nuit pour s’exprimer. Il y a un temps pour tout.
Tout en dévorant le repas qu'elle lui avait servi, Numa l'observait. Lui dissimulait-elle quelque chose ? Son air placide le conforta dans l'idée que la vieille Amélie traduisait une inquiétude toute personnelle. Il connaissait assez Gentiane pour savoir qu'elle ne lui cacherait rien. Et la lecture de son visage lui était trop familière pour qu'un grave souci lui échappe. Pourtant, sa curiosité était en éveil. Aurait-elle reçu d'autres lettres qui lui feraient craindre pour sa sécurité ? Je n'aurais jamais dû lui donner ce bouquet, se reprocha -t-il.
Elle avait parcouru son pays du sud jusqu'au nord, pris des risques inconsidérés pour échapper aux pisteurs, souffert de la faim, de la soif, de la chaleur et du froid, failli perdre la vie, et voilà que sa course pour la liberté allait se terminer là, sur le bord d'un lac dont elle ne connaissait même pas le nom!
Coco ne se sentait pas complètement acceptée. Et elle se posait parfois la question : lesquels, parmi ces nantis, ces gens bien nés, pouvaient s'enorgueillir d'avoir bâti leur situation? Héritiers d'un nom, d'une fortune, qu'avaient-ils de commun avec l'humble modiste devenue la brillante roturière qui avait révolutionné la mode ?
L'acharnement que notre père a mis à me briser m'a préparée à devenir ce que je suis aujourd'hui : une femme de tête, plutôt qu'une femme de coeur. J'aime les hommes et je les hais. Cela est à la fois net et confus dans mon esprit.
Tant qu'il reste un contentieux entre deux personnes, elles sont fatalement appelées à se revoir.

Bien qu’entrée avec fracas dans ce monde de privilégiés, Coco ne se sentait pas complètement acceptée. Et elle se posait parfois la question : lesquels, parmi ces nantis, ces gens bien nés, pouvaient s’enorgueillir d’avoir bâti leur situation ? Héritiers d’un nom, d’une fortune, qu’avaient-ils de commun avec l’humble modiste devenue la brillante couturière qui avait révolutionné la mode ? [...] Gabrielle avait osé ; elle avait bousculé les contingences en mettant dans ses créations une touche d’originalité. Sa hardiesse avait payé et l’avait encouragée à continuer dans la métamorphose. Cela faisait trop longtemps que les élégantes se paraient de plumes, de froufrous, de volants, de robes encombrantes qui les faisaient ressembler à des poupées de luxe et entravaient leurs mouvements. La mode Chanel était venue bien à point pour les délivrer de leurs harnachements. Aux orties les affûtiaux d’un autre âge, les culottes de grand-mère, les chapeaux surchargés de fleurs et de furits ! Une nouvelle créature avit vu le jour ; elle pouvait courir, s’adonner au sport, travailler, enfin vivre tout en restant élégante. Les femmes devaient à Coco de les avoir délivrées du carcan du corset. Elle avait rajeuni leur silhouette, et pour cela elles l’encensaient. Toute tournée vers sa passion dévorante, en avait-elle conscience ?
Liberté… Ce mot avait-il encore un sens ? La société à laquelle ils appartenaient désormais semblait ne pas le connaître. Le mot « travail » l’avait remplacé. Sans travail, l’homme n’était rien. Il n’existait que par ce qu’il produisait et qui lui permettait de gagner de l’argent : ces morceaux de papier qui procurent tant de choses inutiles. Ce monde était vraiment étrange. Tellement différent de celui qu’ils avaient connu ! Avant.
Tout pouvait se passer en douceur. Et quand je dis en douceur, vous ne savez pas ce que vous perdez à refuser de vous soumettre. Allons ! Cessez de faire des façons. Nous ne jouons pas. Et si nous trouvons sous vos cotillons des marchandises illicites, ça vous coûtera cher ! A commencer par une amende pour avoir essayé de vous soustraire au contrôle.
Ce Peuple du désert qui avait souffert de la colonisation essayait de s’adapter. Son retard sur la civilisation européenne était considérable. Les autochtones savaient que le temps n’était pas encore venu pour eux de se faire une place dans cette nouvelle société. L’arrogance des occupants, avides de possessions, frisait trop souvent le mépris.