La rentrée littéraire d'hiver vue par @Jacques Lindecker
493 romans ont été publiés en janvier/février. Des premiers romans aux têtes d'affiche, suivez le guide pour vous y retrouver. En avant-première la liste des livres présentés :
« Les indésirables », Kiku Hughes, éditions Rue de Sèvres
« le smartphone et le balayeur », Emmanuel Guibert, éditions Les Arènes BD
Littérature française
« Serge », Yasmina Reza, éd. Flammarion
« On était des poissons », Nathalie Kuperman, éditions Flammarion
« Les jours voyous », Philippe Mezescaze, éd. du Mercure de France
« le dernier enfant », Philippe Besson, éd. Julliard
« L'odeur d'un père », Catherine Weinzaepflen, éd. des femmes
« Aller aux fraises », Eric Plamondon, éd. Quidam
« La brûlure », Christophe Bataille, éd. Grasset
« Avant le jour », Madeline Roth, éd. de la fosse aux ours
« Les orages », Sylvain Prudhomme, éd. L'arbalète Gallimard
« le démon de la colline aux loups », Dimitri Rouchon-Borie, éd. du Tripode
« Danse avec la foudre », Jérémy Bracone, éd. de L'Iconoclaste
« Des diables et des saints », Jean-Baptiste Andrea, éd. de L'Iconoclaste
« Presqu'îles », Yann Lespoux, éd. Agullo
« Certains coeurs lâchent pour trois fois rien », Gilles Paris, éd. Flammarion
« Un dimanche à Ville-d'Avray » Dominique Barvéris, éd. folio (en poche)
Littérature étrangère
(« Ce genre de petites choses », Claire Keegan, éd. Sabine Wespieser)
« Jane, un meurtre », Maggie Nelson, éd. du Sous-sol (parution le 4 mars)
« Dans la ville provisoire », Bruno Pellegrino, éd. Zoé
« Tu auras dû t'en aller », Daniel Kehlmann, éd. Actes sud
« C'était le jour des morts », Natalia Sylvester, éd. de L'Aube
« Jolies filles », Robert Bryndza, éd. Belfond Noir
Sur les mers
« Mauvaise étoile », Christophe Migeon, éd. Paulsen
« Tout l'or des braves », Clifford Jackman », éd. Paulsen
Diffusion lundi 22 février 18h30 (durée 40 mn)
#colmar
#colmarandyou
#festivaldulivredecolmar
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Ça n'a pas toujours été comme ça, froid entre lui [mon père] et moi. Quand j'étais petit, je sais que c'est lui qui m'a appris à faire du vélo et on jouait au foot dans la rue, devant la maison. Parfois il m'emmenait au cinéma et on achetait du pop-corn. Et puis je ne sais pas ce qui s'est passé, j'ignore de quand ça date, je ne me souviens pas d'un moment précis qui aurait basculé. Un jour je me suis rendu compte qu'on ne faisait presque plus rien ensemble, et qu'on se parlait de moins en moins. Mais comme on est trois, et que je parle beaucoup avec ma mère, les repas, la vie à la maison, tout ça ne m'a jamais semblé compliqué. Là c'est différent. On est lui et moi. On n'est pas fâchés, j'ai plutôt le sentiment qu'on est gênés. A un moment donné, j'ai dû grandir. Peut-être que c'est juste à cause de ça.
Ils arrivaient quelques minutes avant lui, ils le précédaient toujours, c’étaient les mots du désir, ils marchaient avec lui, ils couchaient avec moi, ils remplissaient l’espace. Je me rendais compte que j’avais cherché cela une bonne partie de ma vie: un corps et puis des mots. Un jour arrive dans votre vie un homme auquel vous êtes capable de donner ce qu’il y a de plus intime encore que votre peau nue – et ce sont vos mots.
Dans cette famille, on ne s'engueule pas. On ne sait pas faire. Le conflit nous donne des boutons. Tout le monde garde ses répliques pour soi. Hop, dans le ventre. Combien de fois j'ai refermé la porte de ma chambre avec des mots qui en tremblaient de ne pas pouvoir être hurlés.
Un jour on jouait aux petites voitures, le lendemain il avait seize ans. Je me demandais où étaient passées toutes ces années.
Et puis parfois je me dis qu’il te suffirait d’une main posée sur moi, comme ce que tu as fait, là, avec mes cheveux. Même pas tellement des mots, amis sentir que tu es là. Comme une sécurité. Comme quand tu me rattrapais si je sautais du petit mur. Tes bras à l’arrivée. Je voudrais pouvoir me dire que tu es là. Que tu seras toujours là. Que tu es là, c’est tout.
Les choses qu'on ne dit pas, ça fait un bruit d'orage. Celles qu'on vit, comme celles qu'on vivait là, juste maintenant, ça faisait un bruit de feu qui brûle, ça éclairait la nuit, nos deux ombres, à lui et à moi.

J’ai froid – et puis moi je croyais qu’il allait venir et ça serait comme dans les films, il dirait même pas un mot, juste il prendrait ma main et il m’emmènerait avec lui, là en général y a une musique qui vous arrache des larmes des trucs avec un piano ou un violon – mais il ne vient pas. Je ne sais pas quelle heure il est. Sur les routes qui serpentent dans la vallée en face, je ne vois plus aucun phare. Il doit être tard. Il faut que je rentre. Je sais. Je sais mais c’est l’horreur. J’arrive pas trop à savoir. Ce qu’on fait des rêves quand ça devient moche. Si je m’acharne à lui trouver des excuses. Ou à me chercher des reproches. Ça rime. J’ai pas fait exprès. Il ne m’aide pas. C’est tout moi qui pense. Lui, il ne dit rien. Il touche. Il aime avec ses yeux, et ses mains. On a des chansons juste à nous deux. C’est comme des messages codés. C’est la nuit, tout le monde danse, il est à l’autre bout de la salle, mais je vois ses yeux. Je ne vois que lui. Et ses yeux disent – je t’aime, même si en vrai c’est rien que dans la chanson.
Mais je l’entends quand même, dans ses yeux. Je m’en fous.
C’est août et les étoiles par milliers. Je me suis allongée dans le pré en pente, sous le cerisier. J’ai ôté mes chaussures. En quelques heures, les brides ont ceinturé les chevilles, les marques sont là, sur la peau blanche. Je me fais le sentiment d’être une
espèce de Cendrillon qui se serait trompée de bal. Ou de jour. Ah non, revenez demain !
J’ai le corps tout mouillé, les heures peuvent passer, les heures et même les bruits que l’on n’entend que la nuit, je n’arrive plus à bouger.
J’ose à peine remuer. J’ai la main droite sur mon ventre. Je ne sens rien. Mais je sais.

« Et là Esra s'écroule, elle s'écroule, elle tombe de la chaise, elle se met en boule, elle se cache les yeux avec les bras sur elle, elle dit : je veux juste l'aimer. J'ai besoin de l'aimer. De son amour dans ma vie. Elle dit tout ça et elle pleure et on la laisse là, allongée par terre, on vient se mettre à côté d'elle, on lui caresse les cheveux, on l'écoute et sa voix se fait de plus en plus douce, et petite, et elle murmure, et elle laisse de longs silences entre chaque mot, elle dit : Je sais pas si je suis folle mais je l'aime, ça fait un truc dans le ventre, c'est trop gros pour moi toute seule, c'est comme une boulimie, vous savez, y a rien qui comble ce truc dans le ventre qui appelle, y a rien qui comble, on mange, on avale des gens, des livres, des lieux, des amants, y a jamais rien qui comble, on fait le tour de son corps, du corps des autres, on dissèque tout, on l'épingle au mur, on appelle, on appelle les gens, on écrit des lettres, des journaux, on prend des photos, y a toujours rien vous comprenez ? On est un tourbillon qui engloutit tout et plus on mange et plus on a faim et plus on mange et plus le corps réclame, réclame des gens, de la chaleur, de l'amour et y a les années qui passent et ça ne change rien et on comprend pas pourquoi on est là à attendre. On attend. Voilà c'est ça moi j'attendais. Avant lui j'attendais. »
Moi j'aime faire du feu et griller de la viande en regardant la vallée en face, l'idée qu'ici, on est un peu en dehors de tout, des gens, de la société de consommation, du bruit, des bagnoles, des écrans, de cette sorte d'immense solitude à vivre comme des fourmis ou des moutons, ou un peu les deux.
Mon père, ce vieil ours, cet aigle. Ai-je vraiment du sang à toi dans mes veines?