Il y a des moments dans notre existence où tout devient trop compliqué. Une accumulation de galères à gérer, qui nous pousse à dire « j’abandonne ». Mais c’est sans compter sur ce type, vous savez ce connard, qui n’a encore rien compris à la vie, qui ignore même ce que c’est que d’exister avec… ça. Qui te dit « ne baisse pas les bras », « tu dois te battre ». Il y a toujours une personne qui ose l’ouvrir, alors qu’au fond, elle se fout complètement de toi, ou de tes problèmes.
Et puis, une voix perce au-delà des autres. Cette voix. Celle pour qui tu te damnerais. Celle qui te fait oublier tout le reste et qui ne te demande pas de vaincre. Non, elle, cet ange tombé du ciel, se bat à tes côtés, et te donne envie d’en faire autant. Voilà la différence.
Et cette voix, la seule et unique qui résonne dans mes oreilles, je l’ai trouvée. Mais ai-je le droit de lui imposer ça ?
Ai-je le droit de lui demander de s’oublier elle-même dans l’unique but de devenir une part entière de moi pour être ma lumière dans l’obscurité ?
Je l’ignore. En connard égoïste, je dirais que oui. Ce putain de demi-bonheur, j’y ai droit. La moindre miette de ses sourires, ceux capables de faire naître les miens, comme chacune de ses larmes à m’en fendre le coeur, m’appartiennent. Elle m’appartient. Mais combien de temps encore ?
Viendra le jour où la douleur aura tellement grignoté notre bulle d’espoir, qu’il ne restera plus grand-chose, et à ce moment-là, elle partira.
Je le sais. Et pourtant, au lieu de me protéger, de protéger le peu de coeur qu’il me reste, j’en redemande. Je suis accro, beaucoup trop pour me sevrer maintenant.
Demain peut-être, mais pas aujourd’hui.
Je ne suis pas Juliette, mais mon histoire est celle qui se rapproche le plus de la leur. L’amour impossible, la douleur, la perte, je connais. La question serait plutôt : est-il possible que ce cercle infernal puisse se répéter encore et encore ? Juliette, elle, ne le saura jamais. En revanche moi, Erine, infirmière dans un grand hôpital londonien, je vais en connaître les saveurs. L’amertume de la douleur n’aura plus aucun secret pour moi.
Se pourrait-il que Roméo ne soit pas celui auquel je pensais ?
Se pourrait-il qu’en fait Roméo se révèle être un pieu menteur ?
Se pourrait-il que Juliette incarne la paumée de base, amourachée du mauvais garçon ?
Non parce que soyons honnêtes, si Juliette n’avait pas mis fin à ses jours, comment se serait achevée leur histoire ? J’aime penser qu’ils seraient heureux et auraient eu beaucoup d’enfants, mais je ne peux pas faire confiance à mon côté trop fleur bleue, ce n’est qu’un vulgaire traître, un infâme prédateur, prêt à tout pour me détourner du monde réel.
La vraie histoire, la voilà.
J’observe les gens. Je les envie. J’envie leur sourire. Leur bonheur. Leur facilité à se mêler à la civilisation. J’imagine comme cela doit être bon de passer une journée normale. Il y a bien longtemps que j’en ai perdu les saveurs. À présent, il ne reste que le néant. Je me sens perdue dans un trou noir, qui m’aspire de plus en plus, sans me laisser apercevoir, ne serait-ce, qu’une issue de secours. Rien d’autre que l’obscurité effrayante. J’aimerais remonter à la surface, mais je ne sais pas comment m’y prendre. Je me débats, je crie intérieurement pour savoir si quelqu’un m’entend, mais il n’y a personne. Malgré tous les gens qui m’entourent, je me sens plus seule que jamais. Depuis quatre mois, je ne fais rien d’autre que de me trouver une occupation, pour éviter de penser ; quatre mois que Geoffrey est le spectateur de ma descente aux enfers ; quatre mois que je pleure, seule dans ma chambre.
Et puis, tout à coup, ses beaux yeux verts rencontrent les miens et sa magie opère, comme si on avait allumé la lumière dans ma tête. Je n'arrive pas à l'expliquer, pourtant mon corps se détend alors que j'arrête de respirer. J'oublie le monde autour, en nous imaginant seuls. Son sourire accélère les battements de mon coeur, et s'il n'y avait pas ce DJ, je remplacerais les basses, juste avec les vibrations dans ma poitrine.
- La culpabilité ne s'en vas pas, Maël... Je n'y arrive pas ! Je t'ai promis de me battre, d'avancer, et de vivre pour moi, mais aussi pour toi, alors je le fais. Tout ce que j'entreprends, chaque fois que je me lève le matin, c'est pour toi. J'espère que je ne t'ai pas déçu et je t'en supplie continue de veiller au grain, j'ai besoin de toi !
Il faut que ce soit elle. J'oublie qu'elle me met dans une rage puissante. J'oublie qu'elle est tout ce que j'aime et déteste à la fois. J'oublie que je ne dois surtout pas la laisser entrer dans mon antre.