Elle dit que ces aides dérisoires qui leur permettent à peine de survivre, mais auxquelles ils s'accrochent comme à des bouées de sauvetage, les alourdissent en les culpabilisant de vivre aux crochets de la société, en les humiliant jusqu'à leur ôter toute dignité. Elle dit qu’il n'y a pas pires sentiments que la culpabilité et la peur, des sentiments qui détruisent peu à peu, en les enfonçant dans la résignation.
Elle dit que pour se soulever, il ne faut rien avoir à perdre, qu'il faut avoir la rage et qu’il faut avoir l'estime de soi.
Les grands patrons ferment de plus en plus d’usines en France pour exploiter des ouvriers en Chine, en Roumanie ou ailleurs, pour un salaire de misère, dans des conditions intolérables et sans protection sociale, si bien que lorsqu'ils tombent malades, ils meurent.
Pour augmenter leurs marges et leurs profits.
Ils nous font payer nos luttes passées, ils nous font l’offense de piétiner les droits obtenus par le sang : la sécurité sociale, les congés payés, le code du travail, ils jettent les ouvriers de leurs entreprises, devenus trop coûteux, balayant des savoirs faire ancestraux, détruisant des vies sans aucun scrupule pour exploiter la matière humaine, ailleurs, jusqu'à la moelle et avec la complicité du gouvernement aux prises avec ces pratiques infâmes, amorales et criminelles, parce que ce sont eux les plus forts, parce que ce sont eux qui décident.
Le progrès nous avait rapprochés les uns des autres, on fabriquait des concordes, des connexions Internet, des iPods, on explorait de nouvelles planètes.
Le progrès avait facilité le travail des ouvriers dans les usines, on avait construit des machines de plus en plus perfectionnées.
Le progrès avait jeté les gens à la rue et on les laissait mourir sur nos trottoirs.
C'est cela la barbarie des temps modernes.
Elle ne comprenait pas pourquoi les gens ne se révoltent pas, parce que, quand les gens meurent, quand ils n'ont plus rien à perdre, la rébellion est la seule réponse à la tyrannie et à l'oppression.
« Elle était agacée. Elle dit qu’on ne peut pas allumer la télévision sans recevoir une leçon de morale, elle dit: « comme si on n’était pas assez grand pour savoir ce qu’on a à faire! » C’est du bon sens que de ne pas gaspiller l’eau que l’on paie ou d’éteindre la lumière de la pièce que l’on vient de quitter. Elle ne supporte plus cette société infantilisante qui dit aux gens ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils doivent penser, qui sait mieux qu’eux ce qui est bon pour eux et ce qui ne l’est pas, ce qui est bien et ce qui est mal, comme à des êtres irresponsables ou comme à des enfants mal éduqués. »
Le jour que j’attendais depuis l’âge de douze ans venait enfin d’arriver. Mon premier jour de travail. Le jour qui m’apporterait de l’indépendance, le jour où je pourrais partir de la maison parentale et prendre un appartement, où je me débrouillerais toute seule, comme une grande.
La société tout entière la traitait avec dédain en l'excluant du monde du travail, et en ne lui permettant pas de nourrir correctement sa famille, en bafouant ainsi la constitution universelle des droits de l'homme puisque « toute personne a droit au travail », puisque toute personne a le droit de vivre.
Myriam réalisait que le monde ne tournait pas rond, que le monde marchait sur la tête. Elle s'interrogeait. « Comment est-il possible qu'à notre époque des gens vivent dans la rue à contempler ceux qui s'en sortent et qui leur jettent une pièce en passant ? »
Parce que la religion maintient les gens dans la résignation et la misère en donnant un sens à leur malheur. Parce que tant que les gens croiront que plus ils souffriront, plus ils auront à leur mort une place à la droite du Père, tant que les gens ne verront que comme seule issue la mort pour atteindre le paradis et se libérer de l’enfer de leur vie, ils ne se battront pas pour une existence meilleure.
Et si l’enfant a le malheur d’arracher un fruit en passant, on crie « au vol », on s'exclame qu'on le savait, on menace d'appeler la police. On oublie qu'on a fait pire. On oublie l'enfant que l'on a été et les fruits cueillis à s'en donner mal au ventre, on oublie les fleurs dérobées dans les jardins et les regards des anciens qui se détournaient avec bienveillance.
Elle avait pris conscience alors combien les comtes pouvaient être cruels pour les enfants à qui on annonçait nonchalamment au cours d’une lecture qui se voulait paisible, juste avant de dormir, ton papa peut mourir, ta maman peut mourir, c’est la vie, puis leur déposer un baiser sur le front, leur souhaiter une bonne nuit et les laisser seuls à leurs inquiétudes.
La moitié des filles qui travaillent ici sont sous anti dépresseurs, moi je suis à la limite. Il ne faut pas que j'aie un problème avec un enfant parce que je ne tiendrai pas le coup. C’est dingue ! On n’a même pas le temps d’aller aux toilettes lorsqu’on travaille en cabinet ! J’en suis arrivée à ne pas boire pour ne pas avoir envie de faire pipi !