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Citations de Mahamat-Saleh Haroun (24)


C’est toujours un peu triste pour Bourma de se séparer de ses compagnons qui tous croquent le marmot, unis par le même destin. La plupart de ses compères sont des garçons brillants. Leurs études, souvent longues et épuisantes, ne leur ont servi à rien. En attendant des jours meilleurs, ils rongent leur frein en silence.
Avec le temps, Bourma a appris à les connaître, les culs-reptiles. En vérité, ce sont de braves gars pour qui il a une grande sympathie. Pour les culs-reptiles, vivre en marge de la société ne constitue en rien une désertion, au contraire, c’est un choix assumé. Exclus d’un système politique inique basé sur le droit d’aînesse, ils ne se considèrent pas pour autant comme des marginaux, et nourrissent de grandes aspirations pour leur pays. Ils seront un jour suffisamment nombreux pour faire advenir un autre monde.
Reprenant en chœur des slogans entendus ailleurs, ils jurent qu’un autre monde est possible.
En réalité, les culs-reptiles rêvent d’un grand changement, mais pas que. Ils aimeraient aussi voir un jour éclater une révolution, rien de moins, ils s’y préparent. Une révolte qui sonnerait le temps de la rupture avec ce monde qui court à sa propre perte. Une révolte qui viendrait tout foutre en l’air, mettant fin à ce cauchemar permanent pour bâtir une société nouvelle basée sur la fraternité, la justice et la solidarité.
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« On ne peut rien faire contre la bêtise », se lamente Ziréga à bout de nerfs. Revient alors à Bourma cette phrase lue dans Chien blanc, de Romain Gary : « Jamais, dans l’histoire, l’intelligence n’est arrivée à résoudre des problèmes humains lorsque leur nature essentielle est celle de la Bêtise. »
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À la dernière question posée par une journaliste iranienne, il répond le plus naturellement du monde : « Je suis le premier nageur de mon pays à disputer un cent mètres nage libre dans une compétition internationale. Je suis heureux de l’avoir fait, même si ce n’est pas dans les règles de l’art. Mon chrono de deux minutes et cinquante-sept secondes est mauvais, je le sais, mais l’esprit olympique, ce n’est pas que la compétition, c’est aussi participer. Et cette force, cet esprit que je transmets aux gens, c’est une façon de fabriquer de la mémoire, d’écrire une histoire, c’est peut-être cela qui me rend aujourd’hui célèbre. »
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Même les culs-reptiles étaient de la partie, ces oisifs qui ne voulaient t rien foutre au pays, des fainéants qui passaient la journée à même le sol, sur des nattes, à jouer aux dames ou au rami.
Immobiles telles des montagnes, ils ruminaient la noix de cola, sirotant à longueur de journée des litres de thé accompagnés de pain sec. Ils ne bougeaient leurs fesses qu’en fonction de la rotation du soleil, disputant l’ombre aux chiens et aux margouillats. Des indécrottables rebelles qui, faisaient fi de tout contrat social, avaient érigé la glandouille en art de vivre.
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Ici, sur ma terre frigide, mentir est un art. Les adultes l'exercent avec une telle dextérité qu'on serait tenté de leur délivrer un diplôme. .
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Bourma appartient à cette jeunesse, vive et pleine d’énergie, mais abandonnée à son triste sort. Elle affronte un horizon bouché dans un pays où tout projet de développement est rendu impossible par une gestion désastreuse. C’est la faillite générale. Tout le monde le sait. Seuls les afro-optimistes soutiennent, péremptoires, que tout va bien alors que tout va mal.
Pour autant, les autorités proclament le contraire, elles tonitruent partout que le « développement durable, c’est pour bientôt. Que tout le monde aura du travail, que personne ne sera laissé au bord de la route ». « Des billevesées, mec ! » tonne Bourma.
Dans ce pays alléché uniquement par le court-termisme et les plaisirs immédiats, toute promesse de développement durable est vouée à l’échec. Une évidence : dans l’histoire de l’humanité, aucun pays ne s’est développé en tendant constamment la sébile. Or ici, l’appel à l’aide internationale est devenu un viatique. Tout bas… si bas, nous sommes tombés.
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Pour se consoler, il s’accroche à cette phrase qu’il a soulignée en rouge dans L’homme révolté : « L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. »
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A peine sorti de l’eau, il s’écroule, à bout de forces.
Il reste allongé un moment, à demi inconscient encore, il n’entend pas les cris et les applaudissements. Il se ramasse sur lui-même et rampe sur le sol en ciment. Il ôte ses lunettes, respire à pleins poumons. Effondré, il se met à pleurer à chaudes larmes. Je suis vivant, putain, je suis vivant.
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Il observait sa réalité avec lucidité, et il comprit que toute lucidité est un abîme vertigineux. Heureux sont ceux qui vivent bercés d’illusions…
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Je veux garder toute ma naïveté, elle me protège contre la méchanceté et le cynisme de notre époque.
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Seul nageur du pays, qui plus est débutant, Bourma décrochera-t-il une médaille aux jeux Olympiques de Sydney ? La presse s’interroge. La question peut faire sourire tant sa naïveté est déconcertante. Mais pour les gens de la Fédération, il ne s’agit pas d’une rigolade. C’est sérieux, ils y croient dur comme fer.
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Quand le chômage frappe à la porte, l'amour s'enfuit par le fenêtre...
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Il ne sait pas que le monde entier ne parle que de lui, de sa performance certes piètre, mais ô combien mémorable. De la BBC à RFI, en passant par CNN et autres télévisions et radios africaines, son nom, Kabo, est désormais sur toutes les lèvres. Bourma est entré dans l’histoire de la natation par la petite porte, comme par effraction, et pourtant cela fait du bruit.
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Il s’épuise assez vite tandis que des éclats de rire fusent dans l’Aquatic Center. Il s’adonne à un spectacle qui restera dans les annales. À la fin, on ne sait plus si le public se moque de lui ou s’il continue encore à l’encourager. Quoi qu’il en soit, Bourma, indifférent au brouhaha, continue d’avancer, mais avec quelle peine. Une hilarité générale se répand dans les tribunes. Il faut voir ses mouvements désynchronisés, ses gestes gauches. C’est à ce moment-là que tout le monde finit par comprendre : Bourma ne sait quasiment pas nager.
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Il découvre enfin ses deux concurrents : un Burundais filiforme, Sosthène Bahungu, et Marat Abdykalykov, un Kirghize court sur pattes, trapu. Ces trois-là ne doivent leur présence ici qu’au fait qu’ils proviennent des parties pauvres du monde, habituellement ’égard des plus faibles, le Comité international olympique leur a accordé une dérogation spéciale. Pour ces moins-que-rien, pas besoin de passer par les phases de qualification. Qualifiés d’office, au nom de la charité. Pour la première fois, ma pauvreté me sert à quelque chose, se dit Bourma. Et voilà comment la misère du monde se retrouve sous les feux de la rampe.
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En père soucieux de l’avenir de sa fille, Garba aimerait tellement voir Ziréga se marier qu’il est prêt à jouer son va-tout. De fait, toutes les copines de Ziréga se sont fait passer la bague au doigt, sauf elle. Elle n’attire aucun regard, et cela la rend malheureuse, elle le vit très mal. À dire vrai, la gent masculine trouve Ziréga trop instruite. De plus, elle travaille, ça n’arrange rien. Son indépendance financière, gage de possible insoumission et de désir de liberté, fait fuir les potentiels prétendants. Ici, on rêve d’une femme au foyer, une ménagère docile et avenante, assujettie à son mari et réduite à son rôle de mère reproductrice et nourricière, point barre.
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Un jour, fatigué par toutes ces théories qui lui paraissent oiseuses, il lance à Rémadji : « Finalement, tu m’inities à l’art de parler pour ne rien dire. » Loin d’être vexée, Rémadji affiche son grand sourire et confirme d’un geste de la tête. « Tu as tout compris, Bourma, la communication, c’est ça. »
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Rémadji a sans doute usé de ses charmes ou prêté allégeance au régime pour accéder à ce poste prestigieux. C’est le prix à payer pour les gens de son ethnie. Des parias, soumis à l’obligation de passer à la casserole pour espérer être intégrés dans le système. Comme tant d’autres, son frère et sa sœur ont mordu, eux aussi, à l’hameçon. Sa frangine passait des bras d’un général à un autre. Son frère, lui, excellait dans le thuriférariat du pouvoir. Probe, Bourma a toujours refusé de manger de ce pain-là. Il aurait voulu savoir comment elle s’y était prise pour briser le plafond de verre, Rémadji. Il meurt d’envie de l’interroger. Mais à quoi bon ? se dit-il. Après tout, chacun a ses raisons.
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Plongé dans la lecture de ses journaux, M. Rigobert ne semble pas préoccupé par ce genre de questions. On lui a dit que le pays voulait un représentant aux jeux Olympiques de Sydney. Il s’en charge, point barre. C’est la mission qui lui a été assignée. En bon fonctionnaire, il la remplit avec dévotion. Pour M. Rigobert, il s’agit d’abord et avant tout de se faire voir, de parler du pays et de lui donner une visibilité dans le monde. En réalité, grâce à la participation de Bourma aux Jeux, le gouvernement entend faire la promotion du pays. C’est une décision des plus hautes autorités, entendez par là du chef de l’État lui-même.
Au pouvoir depuis une quarantaine d’années, le président sent venir sa fin. Malade, il se déplace à l’aide d’une béquille suite à une opération de la hanche. À quatre-vingts ans, rongé par un cancer des os, le Vieux, comme on le surnomme, commence à développer des idées souvent fantaisistes, voire même des lubies. Sa dernière folie ? Avoir épousé la miss nationale, une adolescente de dix-sept ans, portant son harem à six épouses. Puis, par décret lu à la radio, il mit fin à toute nouvelle élection de miss. L’histoire retiendra que sa femme fut la dernière du pays. Il n’y en aura pas d’autre.
Depuis quelques mois, le président n’a qu’une idée en tête : laisser une trace intangible dans l’histoire. Il rêve de gloire et veut absolument voir le drapeau du pays flotter quelque part sur la scène internationale. Un de ses conseillers lui a vanté les mérites de la natation, la discipline idéale pour faire connaître le pays et drainer les touristes.
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En l’absence de maternité, et n’ayant pas les moyens de se payer les services d’une sage-femme, les mères se tournaient vers les matrones. Sans respect des mesures d’hygiène les plus élémentaires, ces accouchements se révélaient souvent problématiques. Des complications en veux-tu, en voilà. Des mort-nés, il y en avait toutes les semaines. Toujours la même rengaine. À la longue, on évitait d’en parler, on mettait toute cette catastrophe sur le compte du Tout-Puissant. C’était écrit, Mektoub, se lamentaient les Torodonais, vaincus par un fatalisme héréditaire.
Les enfants qui, par chance, échappaient à cette tragédie étaient déscolarisés. Ils traînaient à longueur de journée, chassant le margouillat ou tapant dans des ballons en chiffon pour tromper l’ennui.
Les quelques rares personnes qui avaient eu la chance de pousser un peu leurs études se retrouvaient à quai, parce que n’appartenant pas à la bonne ethnie, comme Bourma. Un feu rouge invisible les empêchait d’avancer. Dans ces conditions, toute velléité de dégotter un boulot était vouée à l’échec. L’ascenseur social, dont le gouvernement s’enorgueillissait, n’avait jamais existé. Du coup, relégués en bout de cordée, les habitants de Torodona n’avaient jamais pu faire partie de la haute. Sans quoi, ils auraient eu une voix pour défendre leur cause, et tout cela ne serait sans doute jamais arrivé.
Voir le jour à Torodona, c’est être marqué, dès la naissance, du sceau de l’infamie. Par atavisme ineffable, les gens de Torodona tiraient le diable par la queue depuis des temps immémoriaux. Nul doute que sans piston, ils n’avaient aucune chance de se sortir de cette galère.
En attendant désespérément qu’un jour un habitant de Torodona fasse partie de la notabilité dirigeante, on subissait cette iniquité inadmissible. On naviguait tels des fantômes dans les rues obscures. Des vieillards à la vue déclinante crapahutaient entre les nids-de-poule, ils finissaient par chuter, se cassant la hanche ou, plus grave encore, le col du fémur. Les plus chanceux se retrouvaient handicapés à vie, les autres passaient de vie à trépas sans aucun soin approprié. La couverture maladie universelle, promise par le ministre de la Santé depuis Mathusalem, était une gageure sans lendemain.
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