Mon hôtesse sort enfin avec de grandes canettes fraîches de bière, de saké, de bière au saké, de saké à la bière, de saké au citron, de bière au yuzu. Elle s’assied face à moi et nous nous regardons pour la première fois. Nous levons nos verres à cette nouvelle rencontre et sans un mot, tandis que mes pieds s’étalent dans leurs chaussons et que mes coudes et mes genoux trouvent leur place, nous buvons toute la nuit comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Mon épaule gauche brûle. Je me baisse un peu et regarde l'heure. Trois minutes.Ça ne fait que trois minutes. Il en reste 80. Je vois Takeshi m'observer du coin de l’œil.
Je tape, je tape. je respire, me concentre sur la peau du tambour. Mes yeux se rétrécissent. J'ai envie de pleurer.
C'est de nouveau à moi. Je lève les bras, frappe le tambour. Le son est plus net, plus fort, plus régulier, plus rapide. La douleur dans mes mains disparaît. Je m'habitue aux vibrations. Mon corps chauffe et sue. Encouragée par les cris des uns et des autres, je tape, je tape, je me détends sans me ramollir, mes yeux fixent le centre du taïko. La salle se remplit de nos voix et de nos frappes. Je ne sais plus d'où provient le son, qui le crée. Moi, le groupe, le taïko lui-même qui a sa vie propre ? Les gouttes de sueur coulent sur mon dos et chatouillent mon bassin.
Je tape, je tape. Je respire, me concentre sur la peau du tambour. Mes yeux se rétrécissent. J’ai envie de pleurer. Quatre minutes. Je croise un nouveau regard du bourreau.
S’empare alors de moi une énergie que je ne reconnaissais pas. Un liquide incandescent qui m’était inconnu jusque-là. L’orgueil. L’orgueil pur, absolu, démesuré. Une vague gigantesque qui me hurle dans tout le corps « Tu me testes ? Je ne faiblirai pas devant toi. Tu peux me demander ce que tu veux, je mourrai mais je tiendrai.
Je croise les jambes.
"it is inapropriate."
Akira me frappe les genoux.
Je voudrais me cacher sous mon sèche-cheveux [...]
"Tu pourrais repartir. tu pourrais retourner en Belgique. Retrouver tes amis, prendre ton café le matin sur la place de chez toi. le serveur est gentil et a toujours un mot gentil pour commencer la journée."
Mes yeux sont gonflés et rouges. Des larmes de colères et de fatigue [...] Akira m'a frappé les genoux parce que croiser les jambes est inapproprié. Frappé. Ne suis-je pas une adulte comme elle?Ne suis-je pas là simplement pour apprendre un instrument de musique?
Le son tourbillonne et me traverse, il faut maîtriser une horde sauvage qui vous fait danser, autour d'elle, avec elle, vous vous confondez avec le bois, la peau, le son, la vibration, la horde devient forêt et avec elle vous respirez.
J'assiste non pas à une punition obscurantiste, mais à un cadeau pour les esprits.