À l'occasion de la journée internationale de l'éducation, Guilaume Erner interroge l'action de l'État concernant les inégalités scolaires. Les politiques mises en place ont-elles changé la donne ?
Ses invités :
Vincent Peillon, hilosophe et homme politique
Mara Goyet, professeure d'histoire géographie au collège
Youssef Souidi, docteur en économie, co-auteur avec Julien Grenet d'un rapport sur la ségrégation sociale dans les collèges parisiens
#education #ecole #college
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Quand je vois mon père déambuler toute la journée, dans les couloirs roses, de part et d’autre sertis de rampes de sécurité, comme un spectre bien aimé, dénué de toute amertume, de toute agressivité, je regrette paradoxalement ce monde dans lequel un père faisait ployer les flammes des chandelles, faisait taire les enfants et dont les pas n’étaient pas une errance.
Dans un premier temps, je m’étais dit que la solution, pour ne pas avoir peur de l’Ehpad, de sa haute concentration en vieillesse et déchéance, c’était de faire abstraction. De ne voir que mon père et de ne pas prêter attention aux autres résidents. Sans lien avec eux, car je pensais que leur présence ne pouvait être qu’insupportable et déprimante.
C’est le contraire. Il faut imaginer des gens parfois totalement isolés. Sans famille ni enfants. Qui restent toute leur vie dans l’unité fermée, dans cet étage limité. Des gens de tout âge (de 70 à 100 ans environ), perdus, malades, désorientés mais capables de parler, de rigoler, d’aimer. De serrer dans leurs bras des peluches, des poupées.
À quoi bon disparaître si personne ne s’en aperçoit ? À quoi bon pleurer si l’on n’est pas écoutée ? À quoi bon se désoler, si l’on ne peut pas en faire profiter les autres ? À quoi bon vivre ce qui ne peut être raconté ? À quoi bon désespérer dans un coin de plage si l’on n’est pas regardé ? Tant qu’il y a de la vie, il faut faire beaucoup de bruit. La discrétion, c’est déjà une forme de mort à bas bruit. Tant qu’il y a de l’hystérie, il y a de la vie.
En réalité, j’organise ma solitude. Je la mets en scène. De manière assez agressive, mais aussi protectrice : je suis très entourée. Il y a mon mari avec lequel je ne cesse de discuter, à qui je ne cesse de demander de me réconforter, de me consoler, de me rassurer. Il le fait. C’est sans doute pour cela que je ne me suis pas effondrée. Il y a mes enfants, mes beaux-enfants. Et le chat, aussi. Qui s’en fout. C’est bien aussi d’avoir quelqu’un qui s’en fout.
Le plus triste, ce n'est pas les élèves turbulents, mais ceux qui manquent de vitalité, de désir, et depuis le confinement, ils sont de plus en plus nombreux.
Entre collègues, nous parlons beaucoup des élèves, des classes, de nos cours. Mais nous ne parlons que rarement du niveau des élèves. Tout se passe comme si les résultats et le travail scolaire étaient devenus une question secondaire.

J'ai passé mes dix premières années d'enseignement à refuser de déroger. J'ai tenu dur comme fer à être un enseignant digne, droit, ferme. Cela m'a demandé beaucoup de contorsions, d'efforts, de souffrances. Puis j'ai compris: l'essentiel n'est pas de refuser de déroger mais de s'interdire d'abdiquer. D'abdiquer sa responsabilité.
En face de soi, au cours de sa carrière, on a quantité d'élèves. Certains, parmi eux, un petit nombre (mais cela suffit à vous miner, à vous décourager), ont un comportement impossible, abominable, pervers, manipulateur. Ils vous roulent dans la farine, ont un certain talent pour la victimisation, ruinent des tonnes de cours, repèrent vos failles, celles de vos collègues. Leur présence finit par diffuser un malaise, le sentiment de quelque chose de scandaleux. A vrai dire, sans eux, tout irait mieux. Ils nuisent, non seulement à leur propre scolarité, mais aussi à celle de leurs camarades, au travail de leurs professeurs, à la vie d'un établissement. C'est intolérable. [...] Il faut dire qu'il n'y a souvent pas grand chose à faire. On n'aurait peut-être pas pu espérer mieux. Il y avait cependant une possibilité de faire un peu autrement. Se sentir responsable de cet élève jusqu'au bout. Se sentir son professeur, malgré lui, malgré nous, malgré tout. Cette attitude responsable n'est en rien une forme d'empathie, de mièvrerie, d'angélisme ou de sadomasochisme. Elle ne se traduit pas, dans un premier temps, en acte mais en esprit. C'est un axe, une idée régulatrice qui, à terme, pourrait quand même changer un peu les choses, nous permettre de sortir de cette logique d'exclusion, de rupture, d'affrontement qui occupe encore trop de place dans l’Éducation nationale.
[…] il est bien plus simple de mettre l’élève au centre du système.
Cela ne le rendra ni con, ni criminel, ni confit dans son ego. Cela ne le rendra pas acteur de sa propre scolarité ni producteur de son savoir (foutaises, il faudrait pour ce faire rendre l’école obligatoire jusqu’à trente-cinq ans tant cela prendrait du temps). Cela l’aidera sans vous transformer pour autant en larbin ancillaire pédophile pédagogue gâteux.
Doit-on accuser les parents? Certains, sans doute. Mais qui peut prétendre qu'il est facile d'élever ses enfants aujourd'hui. Surtout quand vous avez des revenus modestes, que vous parlez mal français et que la télé qui occupe si bien les enfants vous fait comprendre que, sans Nike ni portable dernier cri, votre enfant ne sera que la moitié d'un élève.
Vous ne savez plus, par exemple, si la modernité est une bonne ou une mauvaise chose et vous vous demandez si cette question a le moindre sens. Vous vous demandez aussi si vous devez fatalement enseigner en rempart, faire cours contre. Contre quoi d’ailleurs ? Le racisme. La bêtise. L’éphémère. La barbarie. L’ignorance. Notre époque. Rihanna.