De Mai 68 aux Gilets jaunes, carnets d'un anthropologue sur les barricades
Marc Abélès est anthropologue, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, directeur de recherche CNRS et titulaire de la chaire Anthropologie globale du luxe. Voilà quarante ans qu'il étudie les lieux de pouvoir, du Parlement européen à la Silicon Valley, en passant par le pays du luxe, dans le cadre d'une "observation participante". Cette fois, il passe de l'autre côté des barricades et signe "Carnets d'un anthropologue : de Mai 68 aux Gilets jaunes" (Odile Jacob, 2020), un essai sur l'esprit de révolte.
La Grande table Idées d'Olivia Gesbert émission du 14 février 2020
À retrouver ici : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/saison-26-08-2019-29-06-2020
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Ce qui caractérise l'époque actuelle, c'est l'extraordinaire diversification des formes culturelles, inséparables des dynamiques migratoires, de l'existence de diasporas intercontinentales, de l'intensification de déplacements professionnels et touristiques. Dans ces conditions, l'image d'une planète en voie d'homogénéisation et d'occidentalisation se trouve contredite par les faits. Ce qui se dessine, c'est plutôt le nouveau visage de sociétés où les frontières se brouillent entre l'authentique, le traditionnel, et les apports culturels issus de civilisations lointaines, mais qui circulent d'un bout à l'autre de la planète.
D’une utopie de l’usine modèle pour communistes modèles à une utopie de la société marchande où on trouverait de tout à vendre et du fétichisme à revendre . C’est cette trame des utopies et du réel que j’ai cherché à démêler tout au long de l’enquête. Il y est question d’avant-gardes, de négoce et de politique. Une histoire sans point final, ni morale. Bienvenue au pays de cocagne !
McDonald's et Disney sont devenus les symboles de cet impérialisme qui contribue à uniformiser les expressions culturelles. [Disney :] même propension à rationaliser le processus de production, à maximiser les profits et à diffuser auprès de millions de clients, par-delà toute frontière territoriale, non pas des repas, mais des images qui façonnent l'imaginaire de populations aux enracinements les plus divers.
Dans un monde en mouvement où les migrations sont susceptibles de renverser les majorités existantes [...] on ne s'étonnera donc pas de constater à quel point les vingt dernières années ont été propices à a floraison des conflits ethniques, alors qu'on nous prédisait un après-guerre froide où le capitalisme trouverait sa pleine réalisation sous le signe de la paix et de la fin de l'histoire.
S'impose ainsi l'idée d'une anthropologie axée sur les frictions, les assemblages, les irruptions - sur les processus et les interactions, jouant de l'immersion et du déplacement ; bref une anthropologie ouverte et critique, prête à affronter lucidement les nouveaux désordres du monde.
On a vu ainsi se développer une élite cosmopolite de cadres supérieurs travaillant pour des multinationales, traitant entre les grandes capitales du monde et acceptant d'autant mieux cette forme de déterritorialisation qu'elle s'accompagne de hauts salaires et de perspectives de carrières très attrayantes. Il n'en reste pas moins qu'une grande partie de la population migrante est constituée de travailleurs manuels, ouvriers du bâtiment, travailleurs saisonniers, chauffeurs de taxi, etc. Beaucoup d'entre eux sont des illégaux qui ont l'espoir d'obtenir à terme un document qui officialisera enfin leur présence sur le territoire d'accueil.
Jean Baudrillard dépeint ainsi la postmodernité comme le triomphe du superficiel, de l'image en mouvement : l'Amérique marque pour lui "le triomphe de la surface et de l'objectivation pure sur la profondeur du désir".
La mobilité croissante des capitaux induite par le développement des marchés financiers globaux transforme l'équilibre des pouvoirs entre Etat et marché et génère des pressions sur l'Etat pour développer des politiques favorables au marché, en limitant les déficits publics et la dépense sociale, la baisse de l'impôt, la privatisation et la dérégulation du marché du travail.
D'un point de vue anthropologique, on pourrait définir la globalisation comme une accélération des flux de capitaux, d'êtres humains, de marchandises et d'images et d'idées. Cette intensification des interactions et des interconnexions produits des relations qui transcendent les frontières géographiques et politiques traditionnelles.
L'emploi du concept de globalisation apparaît adéquat pour rendre compte du niveau d'intégration et d'interconnexion qui est désormais atteint et qui se traduit par la perception empirique chez les individus, par-delà leurs attaches territoriales et leurs identités culturelles, d'une appartenance à un monde global.