Aude reçoit David Didelot auteur et Marc Falvo auteur éditeur
(vidéo publiée le 31 mars 2024)
Tous des enflures.
Coupables désignés. Cibles idéales de ta colère.
Pourquoi essayer de mourir alors que des salauds vivent ?
Pourquoi se punir soi-même quand tant d'autres le méritent ?
– Pourquoi me dérange-t-on au milieu de la nuit ?
– Il est quinze heures.
– Rien n'est plus subjectif que la nuit.
- Tu sais pas ce que c'est que l'ironie... Le journaliste fixait la rue devant nous. L'ironie, c'est un magasin d'alcool fermé alors que ton portefeuille déborde ou une tonne de bouffe qui te tombe dessus quand t'as pas faim... L'ironie, petit gars, est une sacrée salope qui t'oblige à trimer quarante ans dans la même boîte, serrer un tas de foutus boulons pour te flinguer d'une crise cardiaque deux jours avant la retraite, pendant que ta femme se fait tringler par un berger allemand, ouais, en voilà de la belle putain d'ironie...
Un illuminé qui se la pète en arborant une posture martiale et une sordide tronche de cake, use de la même aura et du même culte de la personnalité que celui ou celle qu'il dénonce.
– Je vais lui dire que tu m'as peloté les nichons, et puis le cul, et puis que tu voulais me mettre un doigt dans la chatte...
– Il te croira pas.
– Il me croira. Mon père croit tout ce que je dis. Et puis c'est facile, les mecs veulent toujours mettre un doigt dans ma chatte...
Tu dînes tôt, devant la télé.
Plus de Léonard Cohen. Plus de musique. Tu ressens le besoin de te replonger dans l’affaire qui t’intéresse. T’as toujours été comme ça. Incapable de te poser trop longtemps si quelque chose ou quelqu’un occupe tes pensées. Inapte au repos. Tu as l’obsession facile.
Tes tagliatelles maison à la sauce tomate sont succulentes.
En toute franchise.
Elles feraient fondre n’importe quelles papilles, sauf les tiennes. Difficile de s’extasier sur de la nourriture lorsqu’on mange seul face à un écran plat diffusant des mystères. T’as l’occasion de revoir le reportage sur la chaîne d’infos en continu. Tu te demandes l’intérêt de diffuser autant de fois les mêmes images en si peu de temps, assorties de commentaires identiques. Si c’est le téléspectateur qu’on prend pour un crétin ou si l’homme est réellement devenu, au fil des ans, un foutu poisson rouge. Si ce gavage médiatique ne l’entretient pas dans une sorte de confort. Lui donnant l’impression – factice, si on y réfléchit plus de trente secondes – de contrôler la marche inexorable du monde et le cours des événements.
Alexandre Vitali, fils du sénateur Charles Vitali, a disparu depuis quasi quarante-huit heures maintenant. Aucun indice, trace de lutte ou demande de rançon, ne laisse à penser qu’il s’agit d’un enlèvement, pourtant aucune piste n’est à exclure. La police et l’avocat du père se planquent derrière leur devoir de réserve, manière élégante d’affirmer qu’ils ne savent rien.
L’interview de Manon tourne en boucle.
Tu observes, le cœur serré, les larmes de ta fille. Ses yeux rougis. Tu lui trouves une certaine ressemblance avec Laura, une Laura dix ans plus jeune… Toutes deux ont les mêmes cheveux bruns courts. La même froideur apparente. Tu chasses vite cette pensée pour te concentrer sur l’affaire. Cette idée qui a germé en toi.
Aux dernières nouvelles, ta fille unique se lançait dans des études d’avocate. Tu ignores si elle les a réussies, comme tu ignores en combien d’années un diplôme d’avocat peut s’obtenir. Ça fait environ trois ans que vous ne vous êtes pas vus. Retrouver Manon dans ces circonstances te paraît absurde. Autant que d’avoir perdu contact. Même si tu n’as pas été l’unique artisan de cette cassure. À l’époque, suite au divorce houleux avec sa mère, tu as juste senti qu’entre vous le courant ne passait plus. Que tu devenais indésirable. Alors toi-même, prétextant en sus le caractère illégal et dangereux de ton job, tu t’es éloigné d’elle. Pour son bien.
Il faudrait la rappeler, elle aussi.
L’interroger.
Mais pourquoi, au fond, désires-tu autant savoir ?
Tu préfères suivre ton instinct. Ne pas t’appesantir. Tes tripes te commandent de fouiner du côté de cette disparition – banale, en vérité – alors tu exécutes leurs ordres. Ça t’a souvent réussi. Te fier à tes tripes, à ton flair.
Tu te sers un autre verre de rouge quand ton portable sonne.
Tant que ça restait une enfilade de crimes sordides et d'histoires crapoteuses, que ça cadrait pile avec un déni total de la dignité humaine, Bélial pouvait en choisir au moins l'égout et les couleurs. (p.21)
Alcmène se retrouve vite enceinte de Zeus puis donne naissance à un bébé qui deviendra plutôt célèbre. Hercule. Ouais, ouais... le balèze et ses douze travaux, alors vous imaginez bien ce que l'Histoire aura finalement retenu. Tout ça pour dire qu'Amphitryon, pauvre gars, c'est un peu le loser poissard de la mythologie grecque.
– Monsieur Kurtz, me lança-t-il d’une voix grave, ne partez pas…
– Vous m’emmerdez, Émile.
– J’ai quelque chose à vous demander… Une faveur.
– Je vous préviens. Si c’est sexuel, vous risquez gros.
Il me jeta un regard désolé.
– Monsieur Kurtz… Vous êtes détective ?
Je pus y lire la détresse d’un homme à qui on venait d’enlever son bien le plus cher.
– C’est votre travail de retrouver les personnes disparues ?
Il prit le temps avant de poursuivre. Bail interminable où il se servit un verre, se signa une paire de fois puis s’installa dans un des fauteuils de cuir moelleux.
– Monsieur Kurtz, ma fille a disparu.
– Je savais pas que vous aviez des gosses.
– Je n’ai pas DES gosses, j’ai UNE fille. La prunelle de mes yeux…
Grève surprise.
Rien que ce nom le faisait rire.
(...) La grève n'était surprise que pour le pauvre cochon de contribuable, heureux de partir en congé loin de sa grise routine et cloué par un imprévisible marteau sur les sièges plastique du hall surchargé.