Le pitch : Entre 2022 et 2072, alors qu'un nouveau virus baptisé Ev-77 menace l'humanité d'extinction, une réalité virtuelle émerge. L'hologramme vient en effet peu à peu régler la vie d'une société totalement numérique sur fond de pouvoir conquis par les femmes.
Le coeur de l'histoire : Tout commence en 2022 quand Max, un homme d'âge mûr chaviré par une peine de coeur, va découvrir ce terrible virus, puis se retrouver mêlé à une affaire d'espionnage et devenir un survivant malgré lui.
Grâce à la fiabilité des algorithmes, des avancées fulgurantes sur plusieurs décennies améliorent le quotidien offrant progressivement une vie rêvée à tout un chacun.
Sur cette lancée, on traverse donc les époques pour arriver en 2072 et voir Emma Sim, une étudiante de vingt ans, quitter la vie digitale basée sur des suites de 1 et de 0 pour fêter le centenaire de sa grand-mère dans un environnement jusqu'alors inconnu. Quels inavouables secrets de famille entourent les origines de la jeune femme ?
Ressenti : J'avais découvert Marc Gervais avec L'éditrice, un roman d'une belle densité sur les arcanes de l'édition. Même si l'auteur aborde ici un tout autre registre, j'ai eu plaisir à retrouver une écriture plaisante couplée au rythme d'un page-turner très fouillé, qui emprunte cette fois la voie de la dystopie.
Si le poète prophétise « La femme est l'avenir de l'homme », rares sont ceux ayant eu l'audace d'affirmer que le monde serait un jour dirigé par le deuxième sexe. Même en littérature où en principe tout est permis et que l'auteur de l'Antiquité Aristophane avait ouvert une brèche avec sa désopilante Assemblée des femmes. L'auteur a donc fait ce pari osé.
Tout discours d'anticipation a pour vertu d'offrir une autre lecture des dérèglements du monde et d'alerter sur ce que l'avenir nous réserve. Et en ces temps de pandémie toujours pas éradiquée et de menace nucléaire, le sort de notre bonne vieille planète ne peut laisser indifférent. Comme justement tout va très vite, la littérature éclaire parfois le présent. le risque quand on s'oriente vers la politique fiction est de justement mêler des personnages réels et des périls certains à un récit inventé. Après tout, pourquoi pas ? Observer Michelle Obama et Vladimir Poutine discourir avec désinvolture des modèles de smartphones n'est pas plus stupéfiant que de suivre à la télé le compte rendu des échanges téléphoniques entre un monstre sanguinaire et le président Macron, utilisé par ledit monstre comme attaché de presse personnel…
Là où je reste plus dubitative, c'est sur la façon dont la moitié du genre humain ayant coutume d'asservir l'autre sans états d'âme vit un grand chambardement. Autrement dit comment les hommes n'ont-ils pas réagi avec plus de férocité à la suprématie féminine ? Étonnant quand on sait que d’ordinaire ces messieurs s'agrippent à leurs prérogatives comme des mollusques à un rocher par une tempête de force 12… Dans les faits, j'ai mal cerné le rapport de cause à effet entre ce virus dévastateur et l'arrivée des femmes à tous les postes de pouvoir. Comme si, dès l'instant où l'apocalypse approche, on n'était plus à une calamité près ! J'ai bien compris que le ton se voulait drôle, voire cynique et délirant par moments malgré la gravité du sujet, mais j'aurais tout de même apprécié une explication. N'importe laquelle, même la plus farfelue. Qu'on ne passe pas sous silence les raisons qui ont amené un beau jour à se dire : les hommes, ça suffit ! Que des femmes intelligentes réussissent à instaurer un ordre nouveau, armées de leur bouche en coeur et d'un cerveau supérieur, semble bien utopique. Sans grande surprise toutefois, on voit que seul un indécrottable bastion – en l'occurrence le Vatican – résiste à la tentation du féminin, demeurant cohérent avec son éternelle vision de la femme à l'origine de tous les malheurs du monde.
Ceci étant dans ce monde particulier, chaque individu peut suivre une scolarité adaptée à ses capacités avec un emploi assuré après ses études. Révolution également côté éducation avec des parents déchargés de leur progéniture. Les problèmes auparavant insolubles se trouvent réglés : le chômage et la pauvreté n'existent plus et la retraite à 45 ans n'a rien d'une douce dinguerie. Grâce au recours à la chimie, les pulsions se voient dominées et guerres et perversions sexuelles reléguées aux oubliettes. Au point même d'oublier qu'un virus ayant perdu de son agressivité a un jour été à l'origine de tous ces bouleversements…
L'intrigue met aussi le focus sur le fonctionnement d'une société de contrôle et la dérive vers un régime totalitaire. Immatérialité et communication virtuelle trouvent d'ailleurs un écho avec notre quotidien. Ce qui n'est pas nouveau du reste. En un sens, l'étalage d'une vie factice sur les réseaux sociaux que nous connaissons bien nous ramène encore à l'Antiquité. On pensera volontiers au mythe de la caverne de Platon et à cette autre réalité, toujours plus attrayante que celle dans laquelle on vit.
En refermant ce livre on peut conclure que, même si l'amour, la haine, la passion, la soif de domination ou encore l'instinct de protection persistent envers et contre tout, entraînant dans leur sillage le meilleur comme le pire, l'espoir reste permis.
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