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Citations de Marc Klapczynski (20)


Munis de longues perches , les deux hommes et la femme avancaient d'un pas vif , courbés dans le crépuscule du matin . Quelques corbeaux obstinés et bavards accompagnerent leur progression en tournoyant au-dessus de leurs têtes . Les brins d'herbes crissaient sous leurs pas . Des lagopèdes s'égaillerent sur leur passage . Au loin , des chevaux prirent le galop dans un nuage de givre .
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Soudain à travers le brouillard formé par les particules glacées qui tourbillonnent autour de lui , le jeune homme croit voir s'élever la fumée .
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Quelles lois les hommes anciens ont-ils transgressées pour que les esprits se détournent d'eux ?
Aô sait qu'il est désormais le dernier survivant du clan. La mort du vieillard ne l'affecte pas. Il a été jusqu'à la limite de ses forces.
Aô pose les armes du défunt sur sa poitrine ainsi qu'un quartier de viande pour montrer à l'esprit du vent qu'il était un chasseur, un homme qui a lutté jusqu'à ses dernières forces pour la survie de son clan. Comme les autres qui l'ont précédé dans la mort, il compte désormais sur Aô pour guider son âme vers l'endroit où vivent encore les anciens hommes. En attendant, il pourra vagabonder dans la toundra en compagnie du vent.
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Rien ne les arrêtait dans leur quête incessante de gibier, ni les fleuves, ni les gorges profondes, les marais ou les montagnes abruptes. Harassés, après une longue course vaine, à peine dépités, la vue du moindre gibier les remettait d'aplomb, et les voilà repartis, infatigables sur leurs jambes courtes et robustes. Et partout où leurs pas les menaient, retentissait leur rire. À la façon d'Oïgur, ils riaient pour chasser l'angoisse et les mauvais esprits, tromper la mort qui rôdait, oublier la faim et le froid, assurés qu'ils étaient d'être des chasseurs, prêts à tous les exploits pour inscrire leurs noms dans la mémoire du clan.
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pour info (je ne sais pas où le mettre)
voilà ce que j'ai trouvé à propos de ce livre : (sur le site du livre en question : http://www.ao-neandertal.fr/Jeunesse.php )
Devant l’intérêt manifesté par les plus jeunes lecteurs pour Ao et son histoire, Marc Klapczynski s’est inspiré de son roman «Ao l’homme ancien» pour écrire ce roman pour la jeunesse. Ce texte original, enrichi de nouvelles péripéties et personnages, a bénéficié du talent d’Emmanuel Roudier qui en a réalisé les illustrations
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Elle doit l'emmener là-bas. Apparemment, il ignore la nature des risques qu'il encourt ! Même s'il est sur ses gardes, elle n'aura aucun mal à se débarrasser de lui.
La haute stature du garçon se profile déjà au sommet de la pente. Elle ne peut s'empêcher d'admirer son allure, la vigueur qui émane de son long corps, alors qu'il dévale prestement le sentier.
Trois sagaies, attachées dans son dos, s'élèvent au-dessus de sa tête. Voilà pourquoi il a voulu retourner au camp ! Elle sourit. Il s'est préparé à combattre les habitants du marais...
Ils cheminent côte à côte en silence. Owk lui impose de nombreux arrêts pour vérifier qu'il n'y a personne aux alentours. Il ne tient manifestement pas à être vu en sa compagnie, ce qui n'a rien d'étonnant.
A l'approche du territoire interdit, elle observe le visage impassible du garçon. Elle concède qu'il ne manque pas de courage.
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Ce matin, l'eau ne coule presque plus dans la caverne. Aki observe Ao. Comme chaque jour, il s'apprête à sortir se dégourdir sur le plateau. Mais cette fois, il a rassemblé ses maigres biens. En partant, il pose le dernier poisson à côté d'elle.
La pluie a cessé. Une brise légère chasse les nuages.
La jeune femme ne lui a pas fait part de ses intentions. A-t-elle décidé de rester ici ? Les hommes oiseaux ne trouveront pas la grotte. La rivière n'est pas très loin. Elle pourra chasser et pêcher. Ao n'a aucune raison de s'attarder davantage. Pourtant il semble indécis. Il scrute l'entrée de l'abri comme s'il espérait la voir surgir. Mais elle ne vient pas. A contrecoeur, il finit par s'éloigner.
Aki devrait se réjouir du départ de l'homme ours. Mais ce n'est pas le cas. Elle se surprend même à espérer son retour, sans y croire vraiment. Elle l'a vu prendre son épieu et poser ostensiblement le poisson sur le haut de la dalle. Il l'a abandonnée à son sort. Qu'espérait-elle donc ? Elle n'a pas manifesté de gratitude à son égard, seulement de la méfiance et de la peur. Il a partagé sa nourriture avec elle. Il l'a laissée tranquille. Il n'a même pas pris le couteau. Maintenant il lui cède la place ! Que pouvait-il faire de plus ?
La jeune femme s'en veut Elle regrette de n'avoir pas cherché à communiquer. Il aurait peut-être consenti à ce qu'elle le suive jusqu'au fleuve.
Sans lui, elle serait sans doute morte de faim. En récupérant des forces, elle a repris espoir. Elle constate le vide laissé par son départ. Seule avec son enfant, la caverne lui paraît sinistre. En l'espace de quelques jours, elle s'était habituée à la compagnie de cet être taciturne. En partageant sa nourriture avec elle, il avait fait preuve de compassion. Son calme et cette impression de force irrésistible qui émanait de sa personne la rassuraient. En sa présence, elle se sentait en sécurité.
L'angoisse la saisit à nouveau.
Elle réalise soudain qu'elle est peut-être en train de laisser échapper son unique chance de survie. Il ne doit pas être loin. Elle le suivra à distance. Elle s'affole. Il faut faire vite.
Hormis quelques tiraillements et une lourdeur dans le bas-ventre, Aki a bien récupéré de l'accouchement. Dehors, le ciel est dégagé. La silhouette trapue de l'homme ours se dessine vers le couchant. Il a pris la direction qu'elle aussi doit suivre. Sans hésiter, elle s'élance sur ses pas.
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Avant de se séparer, les chasseurs veulent examiner la captive dont Taoum a pris possession. Ayawakoum va la chercher dans la hutte où elle gît, entravée. En apparence, rien ne distingue cette femme de leurs compagnes. Elle ne porte sur elle aucun signe ostensible d'une parenté avec les esprits puissants qui lui ont permis de défier la fureur des chasseurs de mammouths. La différence est plus subtile, et son délabrement apparent n'en facilite pas la perception. Seuls les plus perspicaces soupçonnent que son abattement et sa docilité ne sont ni de la résignation ni de la soumission. Kîma ne comprend pas leurs questions. Elle se contente de répéter quelques mots dans un langage incompréhensible.
Dépités, les chasseurs se désintéressent d'elle. Aucun d'eux ne songe à la disputer à Taoum. Même s'il n'est plus leur chef, il n'a rien perdu de sa force.
Personne n'aurait envie de se quereller avec lui pour cette femelle boiteuse et épuisée, dont le temps de vie est compté.
Ce soir-là, Kîma subit le contrecoup de l'humiliation infligée à Taoum. La rage du chef déchu se déverse sur elle avec une violence qui lui fait craindre pour sa vie. Elle pressent que Taoum est à l'affût de la moindre provocation de sa part pour la tuer. Elle a compris que les autres se désintéressaient de son sort.
Désormais, il peut disposer d'elle à sa guise. Seul le soulagement éphémère que procure à cet homme humilié le spectacle de son désespoir et de sa souffrance peut repousser un certain temps l'échéance de sa mort.Mais qui voudrait d'un tel sursis ? Pourtant, sous l'influence d'une volonté qui semble étrangère à la sienne, son esprit refuse encore d'abdiquer ; instinctivement, elle tente de protéger se tête et son ventre des coups. Son calvaire se prolonge tard dans la nuit.
Dans la hutte voisine, Iktia ne dort pas. Elle aussi a compris que les chasseurs avaient tacitement décidé d'abandonner cette femme à Taoum. ( . . . )
Les cris de la femme indiquent à Iktia qu'elle est toujours en vie. Alors, elle s'accroupit dans son coin et frappe le sol de la hutte avec une pierre pour éloigner la mort. Plus encore que les cris de la captive, ce martèlement ininterrompu et les incantations psalmodiées par la jeune fille perturbent le sommeil des autres occupants de la hutte. Sourde à leurs protestations, imperturbable, Iktia poursuit son manège jusqu'à l'aube. La cadence lente, le son mat, les vibrations du sol et sa litanie rendent l'atmosphère lugubre. La nuit durant, elle maintien ainsi le contact avec la captive.
En ouvrant les yeux, Kîma voit le visage grimaçant d'une femme penchée sur elle, occupée à secouer son corps inerte. Ses vociférations résonnent douloureusement à l'intérieur de son crâne meurtri. La vie, qui s'était tapie quelque part, se répand à nouveau dans ses veines, réveillant la douleur. Elle voudrait retourner dans le néant où elle s'était réfugiée. Pourtant, mue par cette volonté extérieure, elle obéit aux injonctions et se redresse avec difficulté.
Iktia voit la silhouette vacillante s'extirper péniblement de la hutte et claudiquer derrière la compagne de Taoum.
En s'approchant un peu, elle distingue son visage tuméfié et son air hébété. Iktia sait que la captive n'a aucune compassion à espérer de la part de ces femmes dont le sort est à peine plus enviable.
Après avoir subi la fureur de Taoum pendant la nuit, Kîma découvre l'existence quotidienne qui sera désormais la sienne.
Malgré sa faiblesse, elle se voit imposer les tâches les plus exténuantes. Il reste peu de temps avant les grands froids ne s'abatte pour longtemps, et les femmes se hâtent de fumer les la viande des derniers animaux abattus - principalement des rennes et des bisons -, récupérer et faire fondre la graisse, traiter les peaux indispensables à la confection des vêtements et des couvertures.
Kîma est chargée de racler les peaux de mammouth qui n'ont été encore que grossièrement écharnées.
A travers elle, Iktia découvre le sort de Waâ. Elle prend conscience de l'extraordinaire endurance de sa mère. Elle l'imagine sans peine à la place de cette femme, mal protégée du froid nourrie irrégulièrement de restes, s'épuisant à gratter les immenses peaux rêches des mammouths, sous la férule de ces femelles braillardes, brutalisée par les chasseurs, harcelée par les plus jeunes, méprisée de tous. Jamais à ce point, elle n'avait réalisé l'âpreté du combat mené par sa mère pour survivre aussi longtemps dans de telles conditions. C'est là que son pouvoir a germé et grandi. Pourtant, Waâ n'avait de ressentiment contre personne et ne se plaignait jamais. Ce n'était pas seulement le prodigieux entêtement déployé par cette femme pour préserver sa vie et celle de sa progéniture qui avait subjugué le vieux Bao, c'était aussi son humeur égale, sa joie, son enthousiasme, sa faculté de s'accommoder de toutes les situations et de résister à l'abattement. Le vieil homme s'extasiait souvent devant la force de son corps souple et dur. Il n'exagérait sans doute pas quand il disait qu'elle n'aurait pas démérité aux côtés des meilleurs chasseurs de son clan, lorsqu'il était leur chef.
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Pressé d'en finir, il poursuivit son discours.
- Les chamans demeureront dans les falaises blanches qui surplombent la toundra, à la frontière entre la plaine et la grande vallée, là où se trouve l'une des entrées du monde souterrain. En contact avec les forces invisibles, ils veilleront à maintenir les équilibres dans cette partie de la toundra et les Ouyams retrouveront leur pouvoir. Les acclamations de l'assistance déchirèrent les tempes du chaman comme autant d'élancements. Une profonde lassitude s'empara de lui. Dans son dos, il sentit Tara vaciller. Zéé l'attrapa discrètement par le bras. Il était temps d'en finir. L'illusion ne durerait plus très longtemps. Il leva à nouveau les mains pour réclamer le silence.
- Chaque année, lorsque le grand gel se retirera vers le nord, les jeunes Ouyams viendront se faire reconnaître des esprits. Ils recevront leurs noms et pourront chasser les rennes aux côtés de leurs aînés. En retour, les chamans percevront leur part de gibier de la main des Ouyams. Alors les esprits seront satisfaits et l'ordre régnera dans la grande vallée.
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A chaque arrêt, Baâ ranimait le feu qui couvait dans la cage. Le vieux chasseur veillait à renouveler régulièrement sa réserve de combustible. Grâce à lui, en tous lieux et par touts les temps, les flammes jaillissaient en quelques instants. Le feu était un membre à part entière du clan. La veille Aza le consultait souvent.
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Je suis Iktia, la femme chaman. Je suis venue prendre ma place auprès de ceux qui vivent sur le territoire de mes ancêtres.
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Ses yeux se posent sur les fresques de la voûte qui l'entraînent dans le monde invisible, là où s'affirme la volonté qui donne sens à toute chose. Les esprits la reconnaissent et lui confirment son pouvoir. Ses certitudes se renforcent. Le regard d'Iktia, la femme chaman, traverse les montagnes à la rencontre de celui de l'homme ancien.
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Bien que toujours tenue à l'écart, Iktia est gagnée par l'impatience des autres. Elle escalade quotidiennement le sommet culminant des collines environnantes, où elle passe de longs moments à scruter l'horizon. Elle ne regrette plus d'avoir été exclue de l'expédition. En l'absence des chasseurs, elle a pu s'aventurer dans la toundra, découvrir de nouveaux espaces et les moeurs des grands herbivores.
Forte de ses observations, elle s'aventure sur leurs traces et se risque à les affronter. Elle manie désormais la sagaie avec dextérité et prend chaque jour d'avantage conscience de sa force. Sa musculature se développe, sans pour autant estomper sa féminité. Elle goûte le plaisir de fouler les étendues infinies de la steppe. Elle réalise qu'à l'instar du loup elle peut courir très longtemps. Devant elle, la proie la plus véloce s'épuise peu à peu, la distance décroît. Au terme de cette longue traque, l'anima épuisé meurt rapidement de sa main.
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Le chaman-ancêtre pénètre dans la grotte en psalmodiant sans interruption une litanie, destinée à avertir le mort de ses intentions.
Malgré la protection dont il est censé bénéficier, une sourde appréhension fait battre son coeur plus vite. Ce qu'il découvre frappe son imagination débridée, vouée depuis son jeune âge à l'interprétation des signes par lesquels les puissances spirituelles se manifestent. Lorsqu'il revient au camp, voilà ce qui prétend avoir vu : le corps du vieux Bao se trouvait dans la partie haute de la grotte. Le squelette n'était pas encore complètement nettoyé. Sur le crâne, subsistaient quelques lambeaux de chair desséchés et de longues touffes de cheveux flancs, éparses, qui permettaient encore de l'identifier facilement. La mort l'avait saisi dans une posture tout à fait inhabituelle. Afin d'éviter de s'affaisser en mourant, il avait calé son buste avec un épieu, ce qui l'avait maintenu en position assise, adossé à la paroi. Sa main droite était fermée sur la hampe d'une sagaie, ses armes entreposées autour de lui. Ses orbites vides et sombres semblaient fixer l'entrée de la grotte d'un air farouche. La vision était saisissante car on avait l'impression qu'il s'apprêtait à projeter sa sagaie en direction de quiconque pénétrait dans la grotte. Mais ce n'était là qu'une partie de la scène.
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Aki examine sa jambe. La chair est violacée sur toute la longueur. Les plaies profondes n'ont pas cicatrisé et suppurent. Une odeur infecte en émane. Aytamak est condamné. Il souffre atrocement et attend la mort comme un bienfait. Leurs regards se croisent. Aki lit la résignation dans ses yeux mais aussi la tendresse et la gratitude. Il reprend la parole.
- Aytamak va mourir. Mais son esprit est en paix. En disant cela, son regard s'attarde un moment sur Oummaï.
- Ma femme et mon fils sont en vie. Grâce à cet homme là ! Il point sa main tremblante en direction d'Ao. Sa voix se fait plus ferme pour marquer l'importance de son propos.
- Qui il est et d'où il vient importent peu ! Cet homme a nourri mon fils et ma femme. Il a protégé leurs vies. Quiconque s'en prendra à lui offensera mon esprit.
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Le bébé s'agite. Il tente de s'extirper de sa prison de bras et de fourrure. Sa petite tête rouge pointe et son regard aveugle se pose sur le garçon qui l'observe. Il cherche son pouce mais, chaque fois qu'il est sur le point de le trouver, il le perd. Ao saisit la minuscule main entre ses gros doigts et l'approche de la bouche du bébé. Aki se réveille brusquement. Elle a un mouvement de recul en voyant l'homme ours penché sur elle. Ao retire aussitôt sa main et s'écarte pour lui laisser la place, conscient de l'effroi qu'il a lu dans ses yeux. Aki veut dissiper la gêne qui s'est instaurée entre eux. Elle lui tend son enfant à bout de bras avec un sourire engageant pour l'inciter à le prendre. Un peu intimidé, Ao s'en saisit.
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Mais un jour, une petite bande d'hommes oiseaux était venue dans les collines. Les chasseurs du clan les avaient tués. Ils avaient mis une pierre dans leurs bouches pour empêcher leurs esprits de s'échapper et d'aller informer leurs congénères de ce qu'il était advenu d'eux.
Puis ils avaient mangé leur chair.
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Réservée autrefois à certaines cérémonies, la consommation de viande humaine s'était banalisée.
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Les noms apparaissent et s'imposent d'eux-mêmes le moment venu.
Le plus souvent, ils se révèlent à la chasse et dans les rêves, quand l'âme s'envole parcourir la steppe, portée par le vent.
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Le froid s'intensifie. Iktia voit la femme dépérir de jour en jour. Elle n'a manifestement pas renoncé à la vie, l'avidité avec laquelle elle se jette sur la moindre nourriture à sa portée en témoigne, mais elle n'a pas la résistance de Waâ. Iktia se désole de ne pas réussir à l'approcher. La compagne de Taoum ne la quitte pas des yeux, et Iktia elle-même fait l'objet d'une surveillance constante de la part de Taoum et des chasseurs qui lui sont restés fidèles. Elle doit désormais faire preuve de la plus grande vigilance, car sa vie est menacée. Son comportement, au cours de la nuit suivant la destitution de Taoum, a ébranlé le fragile consensus dont elle avait bénéficié après la chasse aux mammouths. En révélant ainsi sa connivence avec cette femme, elle a fourni aux partisans de Taoum, encore nombreux parmi les chasseurs, une explication à l'invraisemblable défaillance de leur ancien chef. Quelques-uns insinuent désormais que la présence néfaste d'Iktia n'est pas étrangère aux atermoiements de Taoum, au cours du combat qui a coûté la vie à plus de la moitié des membres de l'expédition. Son cas divise à nouveau la communauté. Certains n'hésitent plus à réclamer sa mort. Quant à Taoum, depuis sa destitution, il vit dans un état de rage perpétuelle, réagissant violemment à la moindre provocation. Iktia s'évertue à l'éviter au maximum car chacune de leurs rencontres met sa vie en péril. Son regard brûlant de haine ne laisse aucun doute sur ses intentions.
Heureusement, Zintaka et le chaman ont contesté l'éventualité d'un lien entre Iktia et les chasseurs de rennes. Mais l'impuissance du chaman à fournir une autre explication à l'attitude de cette femme à grosse tête fragilise à nouveau son autorité. ( . . . )
Pour parvenir à ses fins, Taoum n'a aucun intérêt à abréger la vie de la captive. S'il veut mettre en évidence ses liens avec la fille à grosse tête, il faut qu'elle vive encore un peu. En la voyant dépérir, l'autre sera forcée de réagir et plus personne ne doutera de leur connivence.
( . . . )
En attendant, elle a obtenu ce qui lui manquait : du temps, un sursis pour elle et la captive. Leurs sorts sont désormais liés. Peu importe que le chaman ne soit plus en mesure de la protéger car bientôt elle sera hors de portée de Taoum. Iktia en est désormais convaincue : les esprits se sont manifestés en envoyant cette femme, elle est venue la chercher.
A force de persévérance, elle finit par attirer son attention à l'insu des autres. Malgré la brièveté de ce contact visuel, le sourire d'Iktia traverse le mur de souffrance et de détresse qui isole Kîma du monde des vivants.
Les jours suivants, prudente, Iktia ne se montre pas. Kîma en vient à douter de la réalité de cette vision fugitive. Pourtant, l'impression d'une présence bienveillante perdure. Un matin, la créature souriante resurgit à peu près au même endroit avant de disparaître aussitôt. Quelques jours plus tard, elle se montre à nouveau mais elle a changé de place. Puis les apparitions se succèdent à intervalles variables, à des moments et des endroits différents. Même si elle en ignore encore la signification, Kîma est convaincue qu'une intention anime l'auteur de ces manoeuvres. Quoi qu'il en soit, elles révèlent une exigence de discrétion par elle-même significative.
Peu à peu, un véritable langage s'instaure entre elles, fait de regards subreptices et de gestes furtifs. Sans parvenir à lui en donner la raison, Iktia confirme à sa complice la nécessité de garder leur relation secrète. Kîma ne tarde pas à se rendre compte du statut très particulier de cette femme singulière, dont les autres semblent contraints de tolérer la présence, alors même qu'elle paraît totalement étrangère à leur communauté.
Désormais, Kîma vit dans l'attente de ses rencontres muettes et éphémères, où elle vient puiser cette volonté qui l'avait déjà soutenue au cours de cette terrible nuit dont tout son corps garde encore les stigmates. Chaque jour, elle mesure sa dépendance à l'égard de cette jeune femme. Lorsque son absence se prolonge, elle vit dans la hantise de sa disparition, son courage décroît rapidement. Malgré la relative tranquillité que lui accorde Taoum et le réconfort procuré par la présence de cette alliée inattendue, son état physique ne cesse de se dégrader. Les faibles quantités de nourriture qui lui sont octroyées ne lui permettent pas de lutter contre le froid de plus en plus vif, ni de compenser les efforts physiques auxquels elle est astreinte. Quels que soient son courage et sa volonté, aucun être humain ne survivrait très longtemps à ce régime !
Iktia se désole de ne pas trouver un moyen de lui procurer de quoi manger à l'insu des autres. Lorsqu'elle est dans le camp, Taoum ou l'un de ses fidèles ne la quitte pas des yeux un seul instant. Pourtant, le temps presse. L'hiver n'en est qu'à son début et la captive manifeste déjà des signes d'épuisement.
Le moment est venu de mettre Owk à contribution. Il n'aura aucun mal à lui faire parvenir de la nourriture. Depuis son exploit face au grand mammouth, le jeune homme s'est encore illustré à plusieurs reprises au cours des chasses de fin de saison. Absent la plupart du temps, Iktia n'a pas eu souvent l'occasion de le rencontrer. Ne pouvant compter que sur elle-même pour subvenir à ses besoins et accumuler des réserves en prévisions de l'hiver, elle n'est pas non plus restée inactive. Pas question de l'aborder dans l'enceinte du camp. Heureusement, Owk n'a pas perdu le goût de la chasse en solitaire.
Un matin, elle le voit s'en aller, armé de sagaies. Pour ne pas éveiller la suspicion de ceux qui guettent ses moindres faits et gestes, elle attend un certain temps avant de partir dans la direction opposée. Après un large détour, elle trouve les traces du jeune chasseur. Le sol givré garde l'empreinte des pas ; elle n'a aucun mal à suivre sa piste.
A la mi-journée, elle l'aperçoit. Accroupi, il examine les déjections d'un animal. A l'appel de son nom, il se retourne et fronce les sourcils en la voyant courir dans sa direction.
Surpris, il l'observe en silence, tandis qu'elle reprend son souffle.
Soudain intimidée de se retrouver seule avec lui, elle ébauche un sourire auquel il répond par une grimace. Troublée, elle ne sait pas comment aborder son sujet.
Owk réagit le premier. Il jette un regard inquiet autour d'eux.
- Marchons par là, dit-il en indiquant un sentier qui s'engage dans les buissons bordant un ruisseau. Nous sommes trop près du camp.
Le calme du jeune homme rassure Iktia et l'encourage à parler.
- Iktia a besoin d'Owk.
Se méprenant sur le sens de sa requête, le jeune chasseur opine de la tête.
- Owk a déjà parlé pour Iktia. Mais alors, tout était bien. Aujourd'hui, les chasseurs sont dépités. Beaucoup d'hommes sont morts. Taoum a perdu une partie de son pouvoir et sa colère s'est répandue dans le camp. Le chaman affirme que ceux qu'ils ont affrontés n'ont aucun lien avec Iktia, mais les autres ne sont pas convaincus. Iktia a fait ce qu'il fallait pour ça ! ajoute-t-il sur un ton sarcastique.
La jeune femme réagit vivement.
- Iktia n'est pas venue pour parler d'elle ! Elle est venue pour la femme que Taoum a ramenée. Cette femme va mourir et Iktia veut qu'elle vive !
Exaspéré par son arrogance, Owk se fâche :
- N'as-tu pas assez à faire avec ta propre vie ! Tu ne peux rien pour cette femme ! Taoum ne la laisse vivre que pour te pousser à te compromettre avec elle et contraindre ainsi le chaman à accepter ta mort.
Mais Iktia s'obstine :
- Cette femme peut vivre si quelqu'un lui procure de la nourriture. Iktia ne peut pas l'approcher mais Owk le fera pour elle.
- Il n'en est pas question ! Pourquoi Owk devrait-il encourir la fureur de Taoum pour cette femme !? Sa vie appartient à Taoum. Owk n'a pas à se mêler de ça !
Iktia hausse les épaules.
- Owk n'a nul besoin d'affronter Taoum ! Avec l'arrivée du grand froid, les femmes doivent souvent aller ramasser du bois. Elles sont accompagnées par un chasseur. La captive est de toutes les sorties. A cette occasion, Owk pourrait lui remettre de la nourriture sans avoir à prendre aucun risque. Si Owk refuse, décrète-t-elle d'une voix ferme, alors Iktia se chargera de tuer Taoum.
- Femelle entêtée ! rugit Owk, fou de rage, en s'éloignant à grandes enjambées.
Iktia renonce à le suivre. Elle n'a pas parlé à la légère. Sa résolution est prise. Si Owk n'agit pas, elle trouvera le moyen de tuer Taoum. Il lui arrive aussi de partir seul. Elle le suivra et prendra sa vie.
Le lendemain, elle rit en voyant Owk rassembler les femmes pour aller chercher du bois. Avant de quitter le camp, il tourne brusquement la tête dans sa direction et lui adresse un regard furibond.
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