Couvert de bleu je me cachais
Dans la lumière
Ma voix devançait la saison
Le temps ses vieux oiseaux
Et grain de sel
Trempé déjà dans ce pays où tout
Se perd
Sans laisser de trace
J’attendais
Puisque la mer habitait mon silence
L’heure
De mon élargissement.
Tu ne chantes plus
La terre n’est plus qu’un vieux chemin
Le ciel un mot dormant
L’été
Sur le carreau des marelles
Et quand les grands cerceaux dévalent
En pente douce
Nos mémoires
Longues comme l’enfer
On a de la craie plein les yeux
C’est à peine si l’on voit la mer encore
Par temps clair.
Tu reviens de voyage encore
Sans une histoire à raconter
Sans une ombre portée au tableau
Des marées
Des passages grands ouverts des rencontres
Claires comme le jour
A peine
Cette signature légère des choses de
Là-bas
Poussière du temps
Il y a de petits cercles de sel
Sur tes bras.
Si le comble du désir est de préparer une déception, la descente aux baies impossibles de Finikes, de Thekla, de Sarandes, nous aura comblés. Ces petites criques de galets, ouvertes au plein nord, auxquelles on accède par de périlleux éboulis de chemins de chèvres à pic, sont impraticables. La mer y est sauvage, travaillée en permanence par des rouleaux qui rendent la baignade impossible. Les grèves ne sont qu’une monotone succession de décharges marines avec leur petit chaos de plastique et d’éponges goudronnées, leurs débris de bois dépeints et cette multitude de petits flotteurs à filets, roses et durs, stériles, injouables. On songe alors aux carrés de liège que le jusant abandonnait autrefois au faîte des laisses, parmi les fucus emmêlés. On y découpait des navires qu’on mâtait d’une plume de goéland. Le couvercle plat d’une huître faisait la quille. Les premiers voyages. L’enfance de l’art.
Cigüeña
À chaque clocher sa fleur d’épine
son grand bûcher de paille vive
on s’y griffe les yeux en Avril
les mains nous brûlent comme la neige là-haut
sur GREDOS
la saison dure ce qu’elle dure
et si on croche dans sa lumière
c’est qu’on a peur
que l’oiseau qui se pose ce grand oiseau
noir et blanc
ne rejoigne la lenteur ancienne des pierres
mais l’heure crépite comme un chant de fagot
le temps ne pèse plus
que de son poids de plumes
Avila Avril 1991
Tout près de la femme à l’orgue, le hasard a fixé le beau visage d’une Madeleine éplorée du Corrège. Elle se tient à mi-corps, le buste nu et clair, noyé dans un drap bleu profond comme une fleur issant de sa gaine de nuit. Accoudée sur un livre, la main gauche supporte la joue tandis que de la droite elle tient à la fois le suaire, sorte d’écoulement blanchâtre et défait que le peintre, étrangement, semble avoir laissé inachevé, et la couronne d’épines. La chevelure, selon la tradition, est belle et longue, blondissant sur les seins, presque transparente sur le ventre. Pas de ciel mais un fond brouillé, sinistre comme le précipité effaré d’un Golgotha mental. Tout ici désigne de façon ostentatoire, superlative, la mélancolie et pourtant on n’y croit peu. Car la belle à l’évidence pose, pense déjà à autre chose. C’est son corps qu’elle montre, transfigurant du même geste, à l’insu même de son désir, toute la souffrance du monde.
Il y a à droite du village sur les hauteurs qui dominent le port, un petit quartier blanc. Les touristes ne le visitent pas et les pèlerins l’ignorent. On n’y vend rien. Les gens y vivent, y habitent simplement. On peut le prendre par le travers, comme la mer, mais si l’on descend du plus haut jusqu’au port, vent arrière, en glissant sur ces larges pavés lisses et chaulés, rejointoyés de lumière, ce sont les jeux de luge d’autrefois que l’on retrouve. Un hiver absolu, définitif, écrasé de soleil. Les bougainvillées débordent des courettes ; les femmes le soir s’attardent sur la grosse marche accotée aux façades, cette sorte de banc fruste comme une tranche de féta et qu’on dirait taillé dans la masse même des maisons. Les portes sont basses. On plonge dans la fraîcheur des cuisines aussi sombres que des caves. Partout des chats, très minces et noirs. Immobiles.