Citations de Marcel Conche (140)
Le progrès de la civilisation ne fait que multiplier les besoins, les tentations, les plaisirs. Or selon Epicure, pour être heureux, il suffit d'avoir de l'eau, une nourriture simple, un vêtement, un abri, d'être philosophe et de vivre en communauté d'affection avec ses amis.
La philosophie est un moyen de s’absenter, de prendre du recul par rapport à la temporalisation. Mais il y en a d’autres. Lire des romans, des poèmes par exemple, après sa journée de travail, c’est une manière de faire une pause. S’absenter de la temporalisation, c’est un élément très important de l’art de vivre. Il ne faut pas attendre qu’on vous accorde un jour de congé ou des vacances, mais il faut savoir se ménager des pauses dans son emploi du temps habituel. Le repos de l’intelligence, le moment de liberté sont nécessaires. Il nous revient, à nous, au cœur de notre vie quotidienne, de ménager des ouvertures sur la sérénité tranquille, sur la paix qui doit toujours être au fond de nous, à notre disposition. À la surface de notre âme, il y a l’agitation, les vagues, les tempêtes, les harcèlements, les impatiences, mais dans le fond, comme dans la profondeur de la mer, doit régner un calme absolu.
Je dois avouer une certaine sympathie pour le désordre, étant naturellement hostile à tout ce qui me limite, donc aux lois. Il m’a même fallu longtemps pour m’accommoder du port de la ceinture de sécurité en voiture ! Du reste, le désordre est créateur. D’où peut venir l’ordre sinon du désordre ? C’est ce qu’enseigne Épicure.
En revanche, hors de ce milieu d'étudiants, je reconnais en moi cette humilité de mon père, qui me vient de ma condition de paysan. (...)
Je n'approuve pas cette humilité chez moi, c'est l'un de mes défauts contre lesquels je ne peux rien. Le caractère ne dépend pas seulement du patrimoine génétique mais de la vie que l'on a vécue dans l'enfance, des conditions dans lesquelles on a grandi et de la façon dont on s'est comporté avec vous. (p.33)
Depuis, j'ai toujours eu dans l'esprit des questions de cette nature: " Pourquoi le monde existe ? et moi, pourquoi j'existe ? Le monde, est-il fini ou infini ?" Bien de jeunes enfants se posent pareilles questions, mais par la suite ils songent à autre chose, comme trouver du travail ou faire la cour à des personnes d'un charme particulier-ou même d'un charme ordinaire !... tandis que ces questions ont rempli ma vie, mue par une unique passion pour cette maîtresse qui ne vous trahit jamais : la philosophie. (p.14)
On est héros par volonté, on est génial par grâce. L'héroisme, vous le décidez, le génie vous est donné. L'héroïsme, c'est vous. Le génie, c'est la Nature qui a décidé pour vous. On peut dire : "Je rêve d'être un héros." On ne peut pas dire : "Je rêve d'être un génie."
J’aime dialoguer avec les Grecs et ce dialogue est une part essentielle de ma vie. J’ai parfois l’impression que mon bureau de la Maisonneuve, que je trouve pourtant trop petit pour y parler avec un ami, est peuplé de Grecs : Héraclite, Parménide, Anaximandre, Épicure sont mes visiteurs permanents. Avec eux, ce qui est présent, c’est la Nature. C’est elle qu’ils m’aident à penser, grâce à un étonnement initial, une naïveté première ; non à partir de mots conceptuels aux significations réduites par les définitions mais des mots encore vivants du langage mi-commun, mi-poétique. La Nature est le Poète premier, ai-je souvent dit, et la philosophie a sa source dans la poésie. C’est cette poésie des lieux, là où la philosophie, après être née en Ionie, a connu son âge d’or, qui m’a frappé et envahi lorsque je suis allé à Athènes pour la première fois, en 1986.
Selon Epicure, un hasard fondamental se trouve à l'origine de toute chose. Et je crois qu'il a raison : le fond éternel de la Nature est un désordre fondamental. Comme le désordre, ou le hasard, produit ce tout de la Nature, toutes les combinaisons possibles, il est inévitable qu'à un moment donné apparaisse une combinaison ordonnée. Le désordre produit l'ordre parce que l'ordre n'est qu'un cas particulier du désordre.
La clef de la sagesse est qu'il faut penser toute chose sur le fond de l'infini.
Autrement dit, le but n'est pas là pour être atteint mais pour donner l'occasion d'agir, il n'est que le moyen de l'action même.
L'homme est dans le non-savoir. Il ne peut en aucun cas sortir de la caverne platonicienne et accéder à la lumière. Pourquoi cela ? C'est que le monde de l'homme est entièrement celui du devenir, où ni les choses, ni le sujet, ne se prêtent à la connaissance.
Si l'homme vient à exprimer cette insatisfaction fondamentale, et d'origine non empirique, il dira quelque chose comme: que vaut la vie que je mène? Ou, comment homme orienter ma vie d'homme? quel est, homme, le sens de ma vie? Bref: qu'est ce que vivre en homme? Qu'est ce que l'homme?
Donner la vie et élever,
aider à vivre sans s’approprier,
œuvrer sans rien attendre,
guider sans dominer,
voilà la Vertu intime.
Car si penser n'est pas nécessairement connaître, pour connaître, il faut penser.
Pour discuter, il faut à priori accepter de se rendre aux raisons de l'autre, sinon aucune argumentation sérieuse n'est possible.
La certitude que le monde n'a aucune part au divin et que tout en lui s'explique par l'aveugle nature et le hasard met fin à la terreur sacrée qu'inspirent les météores comme à l'interrogation anxieuse sur l'origine du ciel et de la terre ou sur la régularité des phénomènes astronomiques. Mais il reste la mort. (...) Mais, dans la mort, il n'y a rien à craindre. La douleur, en effet, est le seul mal. Or pour souffrir, il faut sentir, c'est-à-dire vivre, car vivre et sentir ne font qu'un. La mort serait à craindre si l'âme vivait et sentait après la mort du corps. Mais elle meurt avec lui.
Des désirs naturels, c'est peut-être le désir sexuel qui se perd le plus facilement dans l'illimité du désir vain. Epicure critique la passion amoureuse, en ce qu'elle modifie le désir sexuel naturel : il devient intense mais insatiable, et la passion n'est jamais comblée - même par la satisfaction sexuelle. La passion amoureuse nous fait tomber dans un délire qui s'alimente de l'illusion d'un bonheur inatteignable. Ce bonheur absolu avec l'être désiré se fait toujours attendre, même lorsque la passion est partagée. Si elle ne l'est pas, alors c'est une souffrance inutile, une désespérance gratuite, un tourment stérile que l'on s'inflige et qu'aucun être raisonnable, donc aucun philosophe, ne peut souhaiter pour soi.
Enfin, sont vains les désirs sociaux, ceux que l'on éprouve en se laissant capter par l'esprit des villes : désir des honneurs, de l'argent, de la gloire, de la notoriété, du pouvoir, etc. Le caractère de ces désirs est de créer, eux aussi, l'espoir du "toujours plus".
A la différence de l'homme, qui est, en général, imparfaitement homme, l'animal est un être parfait. La mésange n'est pas plus ou moins "mésange". Tout l'être de l'animal est un "oui" à la vie, sans que l'animal ait à dire "oui", puisqu'il ne peut dire "non". Car l'animal n'a pas à exister sa vie, alors que l'être de l'homme n'est pas seulement vie, mais existence.
Epicure ne conçoit pas le bonheur solitaire : il appartient à l'essence même du bonheur d'être partagé.