Tentons tout de même de trouver une unité de pensée au travers de la fluidité de la sensibilité. Tout ce que crée la nature est beau et bon affirme-t-il car fait pour vivre (et mourir). Un mouton à 5 pattes ne serait pas viable. Un crocodile qui ne ferait pas crac ne survivrait pas, il serait croqué. La beauté de chaque être fait partie intégrante de lui, structure, forme, fonction, symétrie, harmonie. Ce n'est pas une qualité surajoutée ni une qualité en lien avec le regard de l'observateur. L'observateur peut évidemment savourer, apprécier cette beauté, s'en émerveiller, à condition d'être dans la contemplation, sans visée utilitariste, genre chasseur, pêcheur, paysan. Cette beauté émerveillante ne peut être appréciée que par l'homme, être pensant, pensant et accueillant dans l'Ouvert. Les animaux, les végétaux sont dans leur monde, fermé, leur umwelt. Ces mondes ne communiquent pas entre eux. Cette incommunicabilité des mondes va jusqu'au monde singulier de chaque animal. Il y a le monde de l'araignée qui n'est pas celui du serpent. Il y a le monde arachnéen de cette araignée, son for intérieur, inaccessible à telle autre araignée et à l'observateur. Devant cette impossibilité de comprendre ces mondes, l'attitude juste, humaine est la bienveillance. On sort délicatement l'araignée qui s'est nichée dans un coin. La bienveillance intègre le respect de la vie. Marcel détestait le boucher venant égorger le cochon dont les cris le faisaient pleurer ou garde un très mauvais souvenir de l'anguille jetée vivante dans l'eau bouillante et dont les cris, les pleurs, la douleur étaient poignantes pour lui, pas pour son père, pêcheur ni pour sa tante, cuisinière.
Cette vision des mondes animaux et végétaux correspond-elle à ce que la science nous décrit aujourd'hui, des arbres en particulier, des échanges souterrains et aériens entre eux, même espèce ou espèces différentes. Je suis porté à croire qu'il y a des inter-relations, des inter-connections, des échanges complexes, subtils entre les mondes soi-disant fermés. Le monde végétal, tel que décrit par Emanuel Coccia, m'en semble la preuve, monde profondément lié au soleil (héliotropie nourricière) et à la terre comme sous-sol (également nourricier). La pollinisation est de ce point de vue, un phénomène de toute beauté et de toute nécessité (de transfert, de transport, de transformation). L'écologie met l'accent sur les connexions, les liens, les inter-actions en chaîne, chaînes alimentaires de prédation et dévoration, chaînes de coopération; la notion d'éco-système met en évidence que chaque élément dépend des autres, agit sur les autres. Je pense donc que la vision des mondes proposée par Marcel ne correspond plus à ce que nous apprend la science et que savaient déjà les permaculteurs, apiculteurs et autres praticiens respectueux et connaisseurs empiriques du fonctionnement de l'environnement. Aujourd'hui, on a pris conscience des dégâts provoqués par l'activité humaine industrielle sur l'environnement (océans, eaux terrestres, air, sous-sols, climat... avec les risques d'effondrement, de collapse, d'ailleurs en cours). Et ce que la collapsologie montre, c'est l'effet domino, enchaînement des effets provoqués par l'hubris masculin..
La beauté contemplée par Marcel, du cerisier, de la rivière, des différentes lunes, du vent, de l'araignée est source d'émotions, elle mobilise la sensibilité, favorise l'apaisement, sollicite l'imagination, propose des comportements en lien avec une éthique (refus de la viande, de l'alcool, de la cigarette, rituel de la dégustation de la figue) et une morale, la morale universelle des droits de l'homme, étendus, universalisés à tout ce qui vit. Peut-elle être dite, décrite, exprimée ? ou suffit-il de la vivre, de la ressentir ? Marcel ne s'aventure pas sur le terrain du dire, de l'expression sauf deux poèmes mais cela ne vaut pas les merveilleux vers de Rimbaud (Sensations par exemple ou Les chercheuses de poux). Dire la beauté de la nature, c'est l'affaire sans doute de certains artistes et de certaines pratiques, musique, peinture et poésie. Marcel n'évoque pas ces prolongements artistiques.
Dans l'essai Septembre 2019, pages 91-92, Marcel apprend avec 7 ans de retard, le suicide, le 8 octobre 2012, à 44 ans, de Bibiane, professeur de philosophie suisse qui l'avait invitée et accueillie à Saint-Maurice dans le Valais, les 15 et 16 septembre 2007, pour une conférence sur La Beauté et sa signification. Depuis Le Revest, j'étais allé chercher Marcel à Treffort dans l'Ain et nous avions embarqué un de ses amis, philosophe italien. Voyage dans des paysages somptueux à allure modérée pour profiter des paysages et de mes compagnons. Visite de Saint-Maurice. J'ai filmé la conférence. On y voit Bibiane. Retour vers Treffort puis redescente en solo vers le midi. J'ai dû chanter tout au long de l'autoroute. Paix à Bibiane.
Lien :
http://les4saisons.over-blog..