L'art est un jeu entre tous les hommes de toutes les époques.

Il y a eu un incident en 1912 qui m'a un peu tourné les sangs, si je puis dire, c'est quand j'ai apporté le Nu descendant un escalier aux Indépendants et qu'on m'a demandé de le retirer avant le vernissage. Dans le groupe des gens les plus avancés de l'époque, certains avaient des scrupules extraordinaires, ils montraient une sorte de crainte. Des gens comme Gleizes, qui étaient pourtant extrêmement intelligents, ont trouvé que ce nu n'était pas tout à fait dans la ligne qu'ils avaient tracée. Il y avait deux ou trois ans que le cubisme durait et ils avaient une ligne de conduite absolument nette, droite, prévoyant tout ce qui devait arriver. j'ai trouvé cela insensé de naïveté. Alors cela m'a tellement refroidi que par réaction contre un tel comportement, venant d'artistes que je croyais libre, j'ai pris un métier. Je suis devenu bibliothécaire à Sainte Geneviève. J'ai fait ce geste pour me débarrasser d'un certain milieu, d'une certaine attitude, pour avoir une conscience tranquille mais aussi pour gagner ma vie. j'avais vingt-cinq ans on m'avait dit qu'il fallait gagner sa vie et je le croyais. Puis, la guerre est venue qui a tout bouleversé et je suis parti aux Etats-Unis. (p.22)
Somme toute, l’artiste n’est pas seul à accomplir l’acte de création car le spectateur établit le contact de l’oeuvre avec le monde extérieur en déchiffrant et en interprétant ses qualifications profondes et par là ajoute sa propre contribution au processus créatif.
Philippe Collin. - Je voudrais que vous me disiez ce que l'on entend par ready-made. C'est une expression anglaise, mais qui finalement n'est pas évidente pour tout le monde.
Marcel Duchamp. - Oui. Ça veut dire "tout fait". Comme les vêtements de confection. Je suis arrivé à une conclusion, il y a assez longtemps. Il y a toujours quelque chose de "tout fait" dans un tableau : vous ne faites pas les brosses, vous ne faites pas les couleurs, vous ne faites pas la toile. Alors, en allant plus loin, en enlevant tout, même la main, n'est-ce pas, on arrive au ready-made. Il n'y a plus rien qui soit fait : tout est "tout fait". Ce que je fais, c'est que je signe, simplement, pour que ce soit moi qui les aie faits. Simplement, j'arrête là, c'est tout. c'est fini. Ça semble un peu drôle, mais c' est une conséquence naturelle, en allant au bout du raisonnement.
Mais en fin de compte qu'est-ce qu'un artiste ? C'est aussi bien le fabricant de meubles, comme Boulle, que le monsieur qui possède un "Boulle". le Boulle est aussi fait de l'admiration qu'on lui porte (p.86).
Tout ce que l'on voit - c'est-à-dire tout objet, plus le fait de le regarder - est un Duchamp. John Cage : Silence, "Les Lettres nouvelles", Paris, 1959
Cité par Pierre Cabane dans la préface à l'édition 1995.
Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel.
Depuis Courbet, on croit que la peinture s'adresse à la rétine ; ça a été l'erreur de tout le monde. Le frisson rétinien ! Avant, la peinture avait d'autres fonctions ; elle pouvait être religieuse, philosophique, morale. Si j'ai eu la chance de pouvoir prendre une attitude antirétinienne, malheureusement ça n'a pas changé grand chose ; tout le siècle est complètement rétinien, sauf les surréalistes qui ont un peu essayé d'en sortir. Et encore ils ne s'en sont pas tellement sortis ! Breton a beau dire, il croit juger d'un point de vue surréaliste, mais au fond c'est toujours la peinture au sens rétinien qui l'intéresse. C'est absolument ridicule. Il faudrait que ça change, que ça ne soit pas toujours comme ça. (p.52)
On peut voir celui qui regarde, mais on ne peut pas entendre celui qui écoute.