AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Marcel Proust (1047)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

ISBN : 978253059097





"Je ne lirai jamais Proust," me disait un jour quelqu'un, "c'est bien trop long : jamais je n'en verrai la fin." Avec cette ampleur emblématique, les imparfaits du subjonctif qui s'égrènent avec une aristocratique distinction tout au long des pages de la "Recherche ..." constituent, en général, le second épouvantail qui, dans Proust, fait peur au lecteur honnête mais moyen et, en tant que tel, fort peu curieux de tout ce qui n'est pas son train-train. Certains, qui ont tout de même tenté d'aller un peu plus loin, vous avancent, avec une naïveté effarouchée, que, assurément, ils ne sauraient se risquer à lire un écrivain qui, à l'instar d'un autre monument de la littérature, le duc de Saint-Simon - ce mémorialiste de génie que Proust vénérait d'ailleurs comme se doit de le faire tout amoureux de la langue française - est capable d'étaler une phrase sur une seule page minimum - quand ce n'est pas deux. La chose leur apparaît marquée au coin d'un tempérament résolument insane et aussi, même s'ils ne se risquent pas à le préciser, sournoisement et redoutablement malveillant. Car enfin, qui s'y retrouverait dans une phrase de ce type à moins de n'avoir pour autre but que de faire sombrer le candide lecteur dans une incompréhension qui, s'il s'y entête, finira, c'est immanquable, par déboucher sur les sombres méandres de la folie ? Autre reproche souvent fait - et bien à tort là aussi - à Marcel Proust : son snobisme. "Les gens dont ils parlent", me disait un autre quelqu'un, "qui s'y intéresserait ? Ce ne sont que des mondains, nobles peut-être, grands bourgeois certainement, mais tous oubliés depuis belle lurette et qui, au contraire, je vous l'accorde, de certains de leurs ancêtres, n'ont pas marqué l'Histoire. Des inutiles, des coquilles vides, et c'est tout."



Enfin, vous avez ceux - j'en ai tout de même rencontré un ou deux spécimens - qui se refusent à lire Proust parce qu'il était 1) homosexuel et 2) d'origine juive, et par sa mère, détail encore plus accablant. Ceux-là, mieux vaut vous enfuir tout de suite dès qu'ils vous exposent leurs raisons de vouloir continuer à ignorer l'un des plus grands représentants de la littérature française. Inutile de chercher à les convaincre : leur cerveau a la taille d'un pois-chiche et leur coeur est en plus piteux état encore.



Maintenant, reprenons les arguments des détracteurs de l'oeuvre proustienne - à l'exception des deux derniers exemples parce que c'est lundi et que, de toutes façons, les chacals ont beau aboyer dans le désert de leur sottise, rien n'empêchera la caravane de poursuivre son chemin.



1) La longueur du texte, tout d'abord. C'est un argument qui s'effondre de lui-même. Des oeuvres bien plus longues, il en existe bien d'autres, à commencer par celle d'un certain Honoré de Balzac - peut-être le champion toutes catégories en la matière. Certes, les personnes qui ont lu "tout" Balzac sont elles-mêmes assez rares mais cela ne tiendrait-il pas avant tout au fait que beaucoup de romans de ce géant, notamment parmi ses premières oeuvres, si étroitement liées à la politique commerciale du roman-feuilleton, avec les horreurs stylistiques et les monstruosités techniques qu'entraîne cette gênante parenté, se révèlent absolument imbuvables, et ceci quoi que nous puissions penser par ailleurs du "Père Goriot", de "La Rabouilleuse" ou d'"Eugénie Grandet" ?



Chez Proust, cette disparité excessive n'existe pas. Tout est fluide, continu et le fleuve ainsi créé coule majestueusement, dans la certitude d'atteindre tôt ou tard et avec la même sérénité au vaste océan de la Littérature universelle.



2) Les imparfaits du subjonctif. C'est vrai, ils sont là, pratiquement tous au grand complet. C'est-à-dire que Proust ne se contente pas de la troisième et somme toute bien placide personne du singulier : les autres aussi se manifestent, çà et là, nous adressant ce salut légèrement hautain mais non teinté de bienveillance qui vient rappeler aux plus anciens d'entre nous et révéler aux plus jeunes que la langue de Rabelais, la langue de Voltaire, la langue de Zola - notre si belle et si délicate langue française - non seulement descend en droite ligne du Latin et de ses conjugaisons si complexes mais que, de surcroît, elle a tout lieu (et j'ajouterai surtout en notre époque sinistre et vulgaire) d'en être fière.



De là à s'imaginer que "La Recherche ..." ne s'exprime qu'à l'imparfait du subjonctif, il y a un abîme d'ignorance grammaticale rigoltourne : Proust l'eût-il voulu que la chose eût été impossible, n'importe qui ayant un minimum de connaissances en grammaire française vous le dira. Pour Proust, ce mode et ce temps sont des outils précis, qu'il utilise ainsi que nous devrions continuer à les utiliser de nos jours au lieu de, comme par exemple les Editions Hachette, troquer le passé simple au bénéfice du passé composé afin que les chères têtes blondes ne soient pas "traumatisées" ... et fassent par la suite de bons, de doux et de stupides moutons de Panurge - en d'autres termes, d'excellents chômeurs qui, ne sachant ni lire, ni écrire correctement, ne songeront jamais à la révolte.



Mais ceci est un autre débat.



3) Une page pour une seule phrase. Bon, d'accord, c'est vrai : comme Saint-Simon, Proust en est capable. Mais il n'abuse pas du procédé. Et puis, après tout, c'est très bon pour la mémoire. Vous retrouver dans les phrases labyrinthiques de ce type et vous réciter des listes et des listes de vocabulaire (français, anglais, tout ce que vous voudrez ...), faites-le le plus longtemps possible, jusque sur votre lit de mort si vous le pouvez, et vous verrez que la maladie d'Alzheimer vous oubliera.



Et puis d'abord, une phrase entière sur toute une page - ou une page et demie - c'est beau, c'est sublime. Je suis de parti pris, peut-être, mais je suis une littéraire pur-sang et je me dois, sur cette question, d'être de parti pris.



4) Le snobisme. Peut-on accuser de snobisme un homme qui, en dépeignant les membres d'une certaine société, les montre tels qu'ils sont, et surtout avec leurs propres petitesses ? Les hasards de la naissance et de la Fortune ont permis à Proust de fréquenter certains milieux à la beauté superficielle desquels il a certainement été sensible - ne l'aurions-nous pas été, nous aussi, à sa place, en tous cas un temps ? - mais dont il n'a pas manqué de repérer les laideurs. Puisque, en écrivain et en créateur-né, il n'a pas tu celles-ci, on ne saurait lui reprocher un quelconque snobisme.



Au demeurant - mais il faut l'avoir lu et bien lu pour le savoir - il a aussi décrit les plus humbles, en usant du même oeil impartial et vif. Et c'est toujours le même régal.



Ajoutons deux qualités qu'on évoque rarement quand on parle de "La Recherche ..." : le naturel inouï des dialogues - et croyez-moi, c'est loin d'être à la portée de tout le monde, fût-ce les plus grands - et ... l'humour. Marcel Proust, qu'on représente trop souvent soit comme un dandy intégral, soit comme un asthmatique éternellement enfoui sous ses couvertures dans sa chambre tapissée de liège, Marcel Proust avait un sens de l'humour qui ne dédaignait ni la férocité, ni l'humour carrément noir.



Avec tout cela, comment encore vous recommander de lire "A La Recherche du Temps Perdu" ?



1) Déjà, ne le prenez pas pour un pensum ou "parce qu'il faut l'avoir lu" : abordez-le sans a priori ridicule mais aussi sans nécessité absolue, soit par curiosité, soit par plaisir.



2) Ne baissez pas les bras à la première phrase un peu plus longue, au premier verbe un peu choisi, au premier imparfait du subjonctif qui passe. Proust est mort l'année même (soit en 1922) où paraissait pour la première fois dans son intégralité - et d'ailleurs à Paris - l'"Ulysse" de Joyce. "La Chambre de Jacob" et la célébrissime "Mrs Dalloway", de Virginia Woolf, datent respectivement de 1922 et de 1925. D'autre part, bien qu'il ait commencé à publier dès 1919, William Faulkner, qui fera lui aussi tellement pour la "déconstruction" du roman et une nouvelle façon de le vivre et de l'écrire, ne publiera son premier roman qu'en 1926 et "Sartoris" en 1929. Remettez donc Proust dans le contexte de son époque, en n'oubliant pas qu'il naquit ... l'année de la Commune, c'est-à-dire en 1871.



3) Et si, contre toute attente, eh ! bien, vous n'accrochez pas : tant pis, ne soyez pas déçu. Rangez soigneusement votre exemplaire - surtout si vous êtes jeune. Et patientez. Recommencez de temps à autre, quand vous vous sentez en phase. Qu'importe que vous ne parveniez à lire "A La Recherche ..." que le jour de vos soixante-dix ans ! Seuls les snobs véritables - les cousins des Verdurin proustiens - affirment d'un ton docte que, si vous n'avez pas lu Proust pour vos vingt ans, vous ne méritez pas le titre de lecteur. Il faut de tout pour faire un monde et chaque livre, chaque oeuvre attend son heure.



Non, ne baissez pas les bras, ne vous découragez pas, attendez votre heure vous aussi : et n'oubliez jamais que, si Proust est digne de vous, vous êtes digne de lui. ;o)
Commenter  J’apprécie          21029
Au bonheur de lire : Les plaisirs de la lec..

Je sors de cette lecture, brève et agréable avec une folle envie de lire Comme un roman de Daniel Pennac et la résolution, bien plus courageuse, de mettre dans ma pile à lire À rebours de Joris-Karl Huysmans.

Dans cette compilation de textes autour de la lecture et des livres, chaque fragment se lit avec plaisir, mais l'ensemble manque un peu d'ambition je trouve. Il y a de la part de l'éditeur une intention vague de regrouper les extraits en trois parties, non nommées mais désignées par des courtes citations. J'ai de loin préféré la dernière, tout comme j'ai « nimbé de marqueurs fluorescents » ce passage de Daniel Pennac : « Il n'y a pas si longtemps, j'ai vu de mes yeux vu une lectrice jeter un énorme roman par la fenêtre d'une voiture roulant à vive allure : c'était de l'avoir payé si cher, sur la foi de critiques compétents, et d'en être tellement déçue. Le grand-père du romancier Tonino Benacquista, lui, est allé jusqu'à fumer Platon ! Prisonnier de guerre quelque part en Albanie, un reste de tabac au fond de sa poche, un exemplaire du Cratyle (va savoir ce qu'il fichait là ?), une allumette… et craque ! une nouvelle façon de dialoguer avec Socrate… par signaux de fumée. »

Je ne jette jamais les livres, car je me fie à babelio et que je ne suis ainsi presque jamais déçue. Pour ce qui est de fumer j'ai heureusement arrêté il y a longtemps. Ma drogue quotidienne reste la lecture.

Commenter  J’apprécie          17712
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Le croyant dit "Je crois que..."

Le savant dit "Je sais que..."

Le critique d'une œuvre littéraire, lui, a une position un peu intermédiaire, pas évidente à tenir, car il possède une conviction invérifiable et imparable relevant de sa propre idiosyncrasie, probablement plus proche de celle d'un croyant que de celle d'un savant. Mais, dans le même temps, un critique doit être capable d'expliquer cette vision personnelle par une suite d'arguments tangibles ou crédibles, plus ou moins vérifiables ou falsifiables et, si possible, admis du plus grand nombre ou disons simplement, du plus grand nombre possible. Aussi, sa position relève-t-elle plus, par cet aspect, du travail d'un scientifique.

En somme, le critique a le droit de tout dire, pour peu qu'il soit en mesure de l'argumenter de façon tant soit peu convaincante.

Le critique dit donc "J'aime parce que" ou "Je n'aime pas parce que".

Certes, certains arguments sont plus frappants que d'autres mais on ne pourra probablement pas taxer d'illuminé de mauvaise foi un critique ayant déroulé un éventail cohérent d'arguments liés au texte et concourant à son amour ou à son désamour de l’œuvre littéraire qu'il critique.



Si je vous écris que j'aime "Du côté de chez Swann" parce que ma grand-mère s'appelait Madeleine, okay, c'est un argument, mais pas franchement décisif, car non seulement il vient tout seul et que de plus on peut avouer sans honte qu'il est de peu de retentissement parmi les quelques malheureuses âmes qui n'ont jamais connu ma grand-mère.

Par contre (attention je vais essayer de faire une phrase à la Marcel Proust), si vous dites que vous avez été émus par l'habile capture de la sensation sur notre être et de son immense pouvoir à susciter ou à ressusciter les moments révolus qui ont marqués des pans entiers de notre existence, éveillant au passage, par-ci par-là, quelques bouffées de nostalgie, en précisant deux ou trois passages du texte particulièrement significatifs à vos yeux à propos de cette qualité de l’œuvre, on pourra alors certes ne pas partager votre vision ou votre émotion de lecture, mais on ne pourra certainement pas vous taxer de mauvaise foi, de partialité ni d'être aucunement bonimenteur ni affabulateur.



Vous avez compris que si j'ai pris la peine d'un si long préambule sur la difficulté d'être critique, c'est que justement, pour le coup, avec Proust je sèche complètement.

Ce que je sais, c'est que j'ai bien aimé. Pas adoré, mais vraiment bien aimé. Or, ceci dit, je me sens totalement incapable de dire pourquoi ou d'en dire plus. Force m'est de reconnaître que bien que ce livre possède un statut très particulier pour moi, qu'il revêt une vraie importance, je suis incapable d'en parler aux autres. Preuve probablement qu'il a touché quelque chose d'intime ou que ma pudeur inconsciente m'interdit d'extérioriser. Telle une toile dans un musée, dont on sait qu'elle nous plait, mais on ne saurait l'expliquer à qui que ce soit. La toile a cependant l'avantage de l'immédiateté ce qui n'est pas le cas d'une œuvre écrite de l'envergure et de l'ampleur de ce livre. C'est un mystère même pour moi. J'ai bien deux ou trois idées sur la question mais je ne me convaincs pas moi-même. Il est vrai que j'ai lu Du Côté De Chez Swann il y a bien trop longtemps maintenant et qu'une relecture s'imposerait très certainement, mais tout de même. J'ai l'impression de ne pas avoir tant oublié que cela et que ce n'est pas un défaut de mémoire qui m'empêche d'en dire plus et mieux sur ce livre. Je ne me l'explique pas, c'est ainsi, il faut accepter parfois de ne pas tout comprendre de son propre fonctionnement ni d'être en mesure de tout expliquer.

Je sais seulement que ce livre a eu un effet sur moi. Après sa lecture, je n'ai jamais plus eu peur d'aucun livre, aussi gros et impénétrables soient-ils. Après la lecture de "Du côté de chez Swann", je me suis dit que je n'étais peut-être pas totalement hermétique aux choses de la littérature, pensée qui était assez solidement ancrée en moi auparavant.

Me voilà donc bien fine, avec au creux des mains un livre pas si petit que ça, que j'ai passé un certain temps à lire, dont je puis affirmer que je l'ai bien aimé et avec tout cela, je suis pourtant incapable d'expliquer pourquoi. C'est bête, n'est-ce pas ? Certes mais c'est mon ressenti, ce qui signifie, plus que jamais, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1514
À la recherche du temps perdu - Intégrale

Parler de la Recherche, c'est tenter d'en comprendre la mécanique, de saisir les raisons qui poussèrent un homme mondain, snob, destiné à entrer à la Cour des Comptes à entreprendre un jour la rédaction de cette "épopée".



En 1896, à 25 ans, Proust publie Les Plaisirs et les Jours, l'insuccès est total. Puis vient Jean Santeuil, roman inachevé ... L'auteur souffre d'être reconnu pour sa préciosité élégante, son dilettantisme mais tenu pour un amateur en matière littéraire. Une large part de lui-même demeure insatisfaite.



Au-delà d'une forme de paresse et plus inhibitrice encore, il y a la certitude d'une insuffisance, d'une impuissance qui l'empêchent à tout jamais d'être un écrivain :

"Je sentis une fois de plus ma nullité intellectuelle et que je n'étais pas né pour la littérature."



La mort de sa mère, en 1905, provoque chez lui une véritable conflagration, il pense ne jamais pouvoir surmonter cette terrible douleur:

"Ma vie a désormais perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation."

Au-delà de cette empathie filiale, une espèce de travail de deuil lui fait prendre conscience d'un gaspillage de talent, d'une fêlure, de toute une érudition gâchée que ne saurait combler le vide existentiel de son parcours de dandy.

A ce moment, il réalise que l'objet de sa vie est d'en faire une oeuvre d'art, dont le besoin s'était en lui, lentement, inconsciemment inscrit.

La disparition de sa mère l'a exilé du paradis de l'enfance, il estime le moment venu d'essayer de le recréer.

Il va donc tenter par l'écriture de saisir cette réalité qui lui a toujours échappé, parce que, pense-t-il, par un travail de mémoire, l'oeuvre d'art arrêtera enfin le Temps, lui donnant une forme.

Il rentre donc en littérature, dans une quête de quelque chose d'important, d'immatériel. Il sait que le livre sera long, à l'idée de celui des Mille et une Nuits qu'il affectionne ; que son architecture "bâtie comme une robe ou une cathédrale" (cela m'évoque la Sagrada Família) s'établira sur plusieurs volumes, qu'il y sera question de temps passé, d'espace quitté, de sentiments perdus, d'une société en allée.



Proust rassemble ce que sera son esthétique : les matériaux de son oeuvre seront constitués par sa vie passée, mondanités, "la vie des autres" voyages, amitiés, amours.

Il se retire petit à petit du monde, se calfeutre, au sens propre, dans sa chambre tapissée de liège. Il remplit la nuit d'innombrables cahiers rafistolés de "paperoles" collées.

Son roman va se confondre avec sa vie, en une sorte de mise en abyme. le livre devra se terminer au moment où le Narrateur (un certain "Je", encore appelé parfois Marcel) commencera le sien, celui-là même que nous lisons... en une sorte de circularité du temps, de boucle achevée. La vie du héros va être rejetée dans le passé et son rappel organisé par le jeu de la mémoire. Celui qui raconte est le même ou plutôt serait le même que celui qui est raconté, s'il n'y avait le temps.

Proust entrevoit une conception du temps d'abord discontinu, considéré comme perdu, relégué dans un passé lointain, inutile. Il se sert pleinement de ses sens exacerbés, les ré-activant en quelque sorte, afin que le charnel devienne littéraire par l'élaboration de ce livre à écrire en une lutte (chronologique) contre le doute, le découragement , la maladie (l'asthme) et la mort.



C'est la recherche d'un absolu, hors du monde, du temps arrêté et pourtant contre lui.

J'étais décidé dit Marcel Proust à consacrer à cette oeuvre toutes mes forces qui s'en allaient comme à regret.

Ce roman épousera tous les genres littéraires : la fois comique, tragique, érotique, poétique, onirique (la place du rêve est souvent évoquée).

Il prend conscience que ce n'est pas par des reconstitutions intellectuelles qu'il parviendra à rendre l'impression vraie du temps et à ranimer le passé :

"Le passé est caché hors du domaine de l'intelligence et de sa portée, en quelque objet matériel que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir ou que nous ne le rencontrions pas."

Ce sera l'épisode fameux de la madeleine ("son plissage sévère et dévot") ou des pavés disjoints, qui sera le signe, qui ouvre une vision perspective de l'espace et du temps. Proust fait ainsi l'expérience de la mémoire sensitive, involontaire, fonctionnant parce que les images du souvenir, fugitives trouvent le support de la sensation présente.

Dès lors, ces régressions seront les thèmes de sa pensée, selon laquelle nous vivons plusieurs époques à la fois (liées par plusieurs moi), de sorte que le passé nous est souvent plus présent que le présent même.

La mémoire se fait action et non réservoir de souvenirs figés mais plutôt recueil de sensations "engrammées".

"Des minutes affranchies de l'ordre du temps où un passé perdu se réveille".

Il s'attache ainsi à trouver ce qu'il appelle "la vraie réalité" (ou "les réalités invisibles"), à la manière, me semble-t-il de ces peintres impressionnistes (ou pointillistes) : patiemment, méticuleusement, touche par touche, comme s'il élaborait sa composition avec nombre d'aplats, de réserves, de repentirs, de jeux de couleurs et de matière, dans une progression appliquée où l'ensemble va finir par s'ordonner en une "clé finale révélée" :

"Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence, et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher entièrement, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie."

A cette forme d'esthétique d'un inconscient pressenti - certes le narrateur n'est pas en analyse et ses réflexions ne s'apparentent pas à celles d'un analysant en cure, il n'en demeure pas moins qu'il s'abandonne parfois à un même lâcher prise, aux mêmes libres associations amenant alors à une sorte d'abréaction prodigue - à ces sensations, cette intuition préférées à l'intelligence (Proust est le contemporain de Freud et le cousin de Bergson) répondent aussi les vertus de l'oubli :

"Aux troubles de la mémoire, sont liées Les intermittences du coeur" (les amours perdues de Gilberte, de la duchesse de Guermantes, d'Albertine).

Ce qui appelle le réflexion de Jankélévitch :

"Le temps est le grand pacificateur de la contradiction"



"Ce qui est beau à Guermantes, c'est que les siècles qui n'y sont plus y essaient d'être encore ; le temps y a pris la forme de l'espace, mais on le reconnaît bien."

Ainsi, dans cette abolition de l'intervalle entre ce qui fut et le présent, l'écrivain nous rend le temps réversible comme l'espace et même parfois, grâce à ce médium, il apporte la conjonction de ces deux entités.

C'est en ce sens qu'il rend l'homme plus contemporain de lui-même, tente, en dépit de ses fractures mnésiques, de le faire davantage coïncider avec les occurrences de son présent, l'homme, "cet être des lointains"...



"Les lieux que nous avons connus n'appartiennent pas qu'au monde de l'espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n'étaient qu'une mince tranche au milieu d'impressions contigües qui formaient notre vie d'alors ; le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues sont fugitives, hélas ! comme les années."



En ce sens, peut-être n'est-il pas vain de considérer la mise en garde du Hussard bleu de Roger Nimier :

"Charmes du souvenir, qui ne sait vous prévoir ne sait pas son bonheur."



Un bonheur épiphanique qui convierait l'image de Claude Monet, ces Impression(s), soleil levant d'un Temps, en son essence, retrouvé.



















Commenter  J’apprécie          12831
Sur la lecture

Tout Babeliote et tout lecteur trouvera intérêt et plaisir à méditer les coups de cœur de Marcel Proust « sur la lecture » :

• Comment se souvient-on de nos lectures ? Nos souvenirs associent un livre à des lieux, des jours, des personnes, des atmosphères qui, par les sons, les parfums et les images que nous en conservons, ancrent leurs contenus dans nos sens et notre mémoire. En se remémorant ses lectures d’enfance, Marcel Proust revit les déjeuners et les gouters, qu’il a partagés avec sa famille, ses amis, ses camarades, et revoit le cadre de ces agapes. Et cette recherche des lectures perdues fait revivre ces personnes et ces lieux.

• La lecture est-elle « une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés qui en ont été les auteurs » ? Cette affirmation de Descartes, partagée par Ruskin, est contestée par Proust qui affirme que notre sagesse commence où celle de l’auteur finit et distingue donc les « conclusions » de l’auteur des « incitations » pour le lecteur. « Le terme de leur sagesse ne nous apparait que comme le commencement de la nôtre ».

• Pourquoi la préférence des grands écrivains va-t-elle aux livres des anciens ? Parce que « la langue où ils furent écrits, est comme un miroir de la vie ». Cette recherche du temps perdu ne se réduit pas à la lecture et l’auteur élargit son propos à la musique, à l’architecture et conclut en nous menant à Venise contempler les colonnes de la Piazetta qui exaltent dans leur splendeur un temps enseveli et inégalé.



Comme on le constate Marcel Proust évoque des questions qui, un siècle plus tard, malgré les apparences, sont au cœur de nos préoccupations :

• Lire, comprendre, retenir sont-ils synonymes ?

• La mémoire enregistre-t-elle identiquement un texte lu sur un livre (papier) et sur une liseuse (écran) ? (certains départements replacent les livres scolaires par des ordinateurs portables ou des tablettes).

• La lecture est-elle un gavage imposant ses diktats ou un aliment nourrissant le cœur et la réflexion ?

• Retraduire tous les cinquante ans les œuvres étrangères et « adapter » les textes de Victor Hugo et Zola pour « faciliter » leur lecture est ce légitime, est ce utile, ou est ce un moyen de gommer le passé ?



La lecture peut être salutaire ou dangereuse observe Marcel Proust qui parie, malgré tout, sur le progrès intime de notre pensée et l’effort de notre cœur.



Un pari qui rappelle que pour notre écrivain national la lecture, plus qu’une démarche intellectuelle, est un cheminement d’amoureux.



Un opuscule que je relis au fil des ans, que je prête, sans espoir de retour, et que je rachète toujours avec le même intérêt car je le considère comme une base de toute bibliothèque.
Commenter  J’apprécie          1145
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Imaginez que le paradis existe et que la liste de mes péchés ait été supprimée suite à un problème informatique indépendant de leur volonté. Au terme d'une vie trop courte, des proches quittés trop tôt et une PAL toujours pas achevée, j'arrive à l'accueil du paradis. Une hôtesse en tailleur sombre me remet un dossier et un bic mordillé et me dit : « remplissez le en caractères bien lisibles et SURTOUT, rendez moi le stylo ». Dans la partie 7.3, je dois indiquer les noms des trois personnes que je souhaite revoir. J'inscris : 1/ ma mémé qui était bien gentille, 2/ mon chien Snoopy qui était bien gentil, il ne mordait jamais que les inconnus, et 3/ par curiosité et un peu par hasard, Marcel Proust.



Je remets mon dossier et j'entre dans le saint du saint, un peu surpris par le nombre de barrières couvertes de barbelés qui donnent à l'endroit un aspect de centre pénitentiaire. J'apprendrai peu après que la luxure, l'alcool et les Smartphones sont interdits dans l'enceinte de l'établissement. Ils sont donc nombreux à vouloir s'enfuir.



Mémé n'est pas dispo, elle écosse des haricots. Elle a le sourire Mémé, elle pense à tous ceux qui lui ont fait des misères et qui vont finir comme ses haricots, bouillis dans une marmite. Elle repense à la tête qu'a fait Pépé quand il a appris qu'il serait privé de vin rouge pour l'ETERNITE ! Ptdr. Snoopy, fidèle à moi-même et à lui-même, après une démonstration de joie toute en bonds, reste mutique, la langue pendante. Il n'a visiblement pas grand-chose à me raconter, bravo. Je pars donc à la rencontre de notre écrivain national. Il se tient au fond d'un salon de thé, le visage blême, la gorge cachée par un foulard couleur crème, et manifestement, il me fait la gueule.



Ayant fréquenté de nombreux auteurs grâce aux "soirées rencontres" Babelio, je ne suis pas impressionné. Je lui lance un « coucou Marcel » histoire de rompre la glace en douceur. Il pose sur moi son regard noir et me lance, essoufflé : « je n'étais même pas dans ton top 6 Babelio, livres pour une île déserte ». C'est mal parti. Je m'assois à ses côté, penaud et je lui rétorque « mais Marcel, c'est pas ce que tu crois et en plus ta note moyenne sur Babelio est de 4.27, t'es un caïd Marcel, t'as fumé Guillaume Musso».



Les plus malins d'entre ceux qui auront eu le courage de lire ce texte jusqu'ici (ça doit plus faire beaucoup de monde) auront deviné que je noie le poisson, que je vous parle de tout sauf du roman. Mais j'ai du mal à parler des belles choses. Et je trouve qu'il serait grossier de disséquer un tel chef d'œuvre, de poser à nu sur une table en plastique ses tripes stylistiques. Je ne prendrai pas de faux airs de prof de français. J'avoue n'avoir saisi qu'une partie des intentions de l'auteur mais par contre, à mon modeste niveau, j'ai grave kiffé le flow de Marcel !



J'ai connu deux échecs avant de venir à bout de ce premier tome de « la Recherche ». J'ai quinze ans, je suis fougueux (plus pour longtemps), je débute le livre et m'arrête dix pages plus tard. En clair, je me suis endormi avant le narrateur… Dix ans plus tard, nouvel essai. J'ai lu cent pages, un long voyage au bout de l'ennui, j'abandonne une nouvelle fois. Dix ans plus tard - bis repetita -, je reprends le roman et je découvre qu'avec un peu d'efforts, je parviens à rentrer la tête la première (c'est une image) dans ces longues phrases et cette ponctuation alambiquée.



Et maintenant ? Ce livre fait toujours partie de moi. J'en conserve des images au fond de ma mémoire, notamment les clochers de Martinville et les haies d'Aubépine. Des personnages la Recherche ont laissé une trace dans mon esprit : Françoise, la Duchesse de Guermantes, Swann, M. Vinteuil et bien d'autres encore. J'ai parfois l'impression de les avoir rencontrés. Et puis il y a cette géographie qui me parle encore : Méséglise, Combray, la Vivonne, et déjà Paris et Balbec.



Si vous n'avez pas lu ce roman, attendez le bon moment et lancez vous. Si vous en aviez abandonné la lecture, offrez vous une nouvelle chance. C'est plus qu'un roman, c'est un univers parallèle dont l'accès demande de petits efforts de lecture. Vous en sortirez marqué et grandi (déclaration non contractuelle).



P.S.: J'ai été un peu long, Marcel aussi : la Recherche détient le record du plus long roman dans le Livre Guinness des records.
Commenter  J’apprécie          11016
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Plus efficace que les cartes postales anciennes, il y a Proust.

Plus savoureux que les madeleines de Liverdun, il y a Proust.

Plus méticuleux que ma Belle-Maman, il y a Proust.

Plus cérébral que Proust, il y a... euh, personne, en fait.



Alors, voilà, depuis qu'enfant j'ai découvert la littérature, pas moyen d'échapper à Proust et pour des raisons qui échappent à ma mémoire - vite, une madeleine ! - je nourrissais un très vilain a priori négatif sur ce grand auteur. Bref, je pensais détester à l'heure de me lancer à mon tour dans l'aventure proustienne.



Marcel Proust impressionne fortement les lecteurs, qu'il les fascine ou les horripile, c'est ce qui se dit généralement ; en ce qui me concerne, il a fait les deux, alternativement. J'ai d'abord été presque transcendée par la première partie du récit décrivant l'enfance du narrateur à Combray, la villégiature de famille en Normandie, m'extasiant sur la beauté du style et la poésie de la narration. C'est notamment ici que se niche la fameuse madeleine. Je me suis régalée.



Exaspérée, ennuyée et désabusée, je l'ai ensuite été avec "Un amour de Swann", récit dans le récit, et qui constitue la seconde et plus conséquente partie de ce premier tome de "La recherche". L'amour passionnel - et cependant beaucoup trop cérébral à mon goût - de Charles Swann pour Odette de Crécy, une demi-mondaine vulgaire et manipulatrice, se fraye un chemin mouvementé dans le Paris mondain de la "fin de siècle" - période très intéressante pour l'étude des moeurs bourgeoises, soit dit en passant.



Swann, grand intellectuel, célèbre dilettante, mémorable érudit, indécrottable esthète, cultivé, sophistiqué, mondain, rationnel, rigoureux, chic... va connaître l'amour et tomber de son piédestal jusqu'à s'avilir dans le rôle peu glorieux du cocu. Même si "Un amour de Swann" recèle des trésors de psychologie et d'analyse émotionnelle méticuleux, j'avoue que sans le style brillant de l'auteur, j'aurais abandonné ma lecture, mais comme le noyé qui voit au loin surnager la bouée qui lui promet le salut, je me suis accrochée au récit, ce en quoi j'ai bien fait afin de renouer en dernière partie avec notre narrateur de Combray devenu adolescent, revenu à Paris et... amoureux de la fille de Swann !



Ce que je retiens de mon premier contact avec Proust, c'est la nécessité impérieuse de devoir abandonner ma maîtrise du temps, de "laisser le temps au temps", c'est accepter de me laisser bercer par une prose certes ardue mais unique en son genre, et c'est enfin voyager dans un Paris bourgeois plus vrai que nature où les codes sociaux semblent à la fois si étrangers et si familiers.



Au panthéon de toute culture littéraire, c'est indéniable, il y a Proust.





Challenge XXème siècle

Challenge PAVES 2015 - 2016

Challenge MULTI-DEFIS 2016

Challenge 19ème siècle 2016
Commenter  J’apprécie          11022
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

De l'art de la réminiscence sensitive…



Grâce à « A la recherche du temps perdu » j'ai retrouvé le temps lent de la lecture, celui qui permet de revenir en arrière, de lire puis de relire plusieurs fois une même phrase pour en retirer la substantifique moelle, de la noter, de la savourer, de la lire à voix haute, de poser le livre en songeant à la structure entière de l'oeuvre qui se dessine peu à peu sous nos yeux. Un temps retrouvé pour soi, salvateur, permettant de suspendre la frénésie livresque qui ne manque pas de nous menacer ici et de nous ensevelir tant nous sommes passionnés. Ce livre n'autorise pas une lecture rapide au risque de passer totalement à côté.



« J'appuyais tendrement mes joues contre les belles joues de l'oreiller qui, pleines et fraîches, sont comme les joues de notre enfance ».



Ce qui s'est peu à peu imposé à moi, dessiné devant mes yeux, fut une construction étrange en trois éléments assez distincts, quoique liés. Il me plait d'évoquer une figure géométrique, voire, pourquoi pas, un animal chimérique.

Il y aurait tout d'abord une tête, porte par excellence des sens, multiples dans notre cas, un ensemble vaporeux et onirique, d'une beauté renversante, doté d'un regard qui vient vous vriller le cœur, vous sonder, explorer vos propres sens ; puis un ensemble plus carré, plus descriptif représentant une sorte de corps où bat un cœur envouté, soutenant l’œuvre, la contextualisant, et enfin une petite queue en panache tel un bouquet final permettant de donner du sens à l'ensemble. Le tout recouvert d'une toison liant ces trois parties, un fil conducteur, celui du sentiment amoureux et de la crainte de la perte de l'amour, et des souvenirs associés. Voilà comment je me représente ce premier tome de la recherche, naïvement et instinctivement.



La première partie, « Combray », se déroule quinze ans après sa deuxième partie « Un amour de Swann ». Nous y découvrons le narrateur, Proust lui-même, qui évoque ses souvenirs d'enfance en Province, à Combray notamment, dans une dilatation, une confusion, une rétractation, parfois une ronde donnant le tournis, de l'écoulement de la temporalité.

La chronologie linéaire est éclatée, seules les sensations, décortiquées de façon étonnante, sont des repères dans ce passé, sensations ayant le don de ralentir ou d'accélérer le temps subjectif et psychologique. Les sensations sont d'une précision à la fois chirurgicale, décortiquées au scalpel, tout en étant étonnement poétique tandis que la temporalité est, elle, confuse et imprécise, aucune date n'étant donnée. L'âge du narrateur qui attend avec douleur le baiser maternel le soir et qui trempe sa madeleine dans la tasse de thé donnée par la tante Léonie, est juste supposé, une dizaine d'années peut-être mais ayant gardé cette habitude enfantine du baiser du soir, habitude qui a le don d'agacer profondément son père…Quel âge a-t-il d'ailleurs lorsqu'il se souvient ensuite de ces scènes ?

Entremêlement vaporeux du temps, loin de la linéarité du temps calendaire, et étincellement des sensations comme seuls points fixes et brillants telles des pépites dans ce temps proustien, voilà comment se caractérise cette première partie qui m'a totalement subjuguée et captivée. Sans oublier les repères géographiques qui eux aussi sont particuliers comme ils peuvent l'être à hauteur d'enfant pour qui les distances sont déformées, l'espace ayant lui aussi une action sur le temps et les sensations…

Il y a tout d'abord cette confusion des chambres à son réveil, le temps de se réveiller, de se glisser de nouveau dans la temporalité, de reconstituer l'intégralité de son corps, de remettre les meubles à leur place, les fenêtres aux bons endroits, trouble merveilleusement dépeint par Proust. Est-il dans sa propre chambre, dans celle de la maison de tante Léonie, dans une autre encore ?

Alors que la nuit abolit le temps et donc les lieux, le réveil nous remet progressivement sur les rails du temps linéaire et restitue par là même le lieu de notre présence.

« Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l'ordre des années et des mondes ».

A cela s'ajoute les frontières du domaine de l'enfant, autour de sa maison à Combray, il n'y a que deux chemins de balade ayant chacun des durées différentes, l'un étant plus long que l'autre, le plus court étant du côté de chez Swann et le plus long, du côté de Guermantes. le premier permet des rencontres dans le village, le second autorise la famille à aller s'aventurer en pleine campagne. le premier est idéal en cas de temps incertain, le second est toujours rempli de soleil.



Dans cette première partie, très nostalgique, nous découvrons un enfant particulièrement sensible et d'une belle et incroyable imagination. Nous faisons la connaissance par ailleurs de Swann, ami de la famille dont on évite les abords de la propriété de peur d'y rencontrer sa femme, nous faisons également connaissance de sa tante Léonie, malade gardant toujours la chambre mais qui occupe une grande place dans la vie de la famille, de sa grand-mère qui aime se promener sous la pluie, de Françoise la fidèle cuisinière, de certains habitants du village. Sont évoquées également les longues promenades avec ses parents, mais aussi son goût très important pour la lecture et l'écriture. le baiser du soir tant attendu et la fameuse Madeleine y sont des moments forts et très connus de cette partie, nous pourrions y ajouter la description absolument magnifique des nymphéas le long de la Vivonne, lors d'une balade du côté de Guermantes, ou encore la découverte par hasard de l'homosexualité féminine lors d'une promenade solitaire. Dans toutes ces scènes, c'est à partir d'un goût, d'une odeur, ou d'une silhouette, par les cinq sens et le corps enfin, que le narrateur se souvient, qu'une foule d'éléments du passé revient à son esprit.



Swann est le fil conducteur qui va relier la première et la seconde partie. Ami de la famille à la fois aimé et un peu méprisé du fait de sa condition sociale que la famille pense, à tort, modeste et de son mauvais mariage, sa présence dans les souvenirs du narrateur est associée à l'obstacle, celui par qui, du fait de sa présence auprès des parents en soirée, bouscule le sacro-saint baiser maternel du soir qui est alors retardé, voire refusé, écourté au mieux au grand dam de l'enfant qui attend ce moment, inlassablement, toute la journée.



La deuxième partie se focalise ainsi sur Swann faisant disparaitre le narrateur, ce qui n'a pas manqué de m'étonner. C'est une partie indépendante, qui a même fait l'objet d'un livre à part. Même si j'imagine que nous pouvons le lire de façon indépendante, certains personnages seront ensuite présents dans la Recherche comme, par exemple, la fameuse Odette.

Charles Swann, jeune homme, vit alors dans la capitale. Riche collectionneur d'objets d'art, il fréquente les cercles bien fermés bourgeois. Au sein de celui des Verdurin, riches bourgeois mécènes qui aiment réunir tous les soirs chez eux des artistes, fidèle parmi les fidèles, nous le voyons tomber fou amoureux d'une cocotte, d'une mondaine, Odette de Crécy, véritable passion le consumant à petit feu lorsque cette femme va peu à peu, après avoir su habilement l'embraser, se servir de lui, de son argent notamment. Elle va beaucoup faire souffrir Swann avec ses infidélités, lui, se consumant de jalousie de façon passive de peur de la perdre. Puis enfin, lassé par les nombreuses infidélités d'Odette, Swann va recouvrer sa liberté, s'étonnant d'avoir été ainsi amoureux de façon obsessionnelle d'une femme qu'il n'a jamais vraiment aimée constate-t-il avec le recul et qui ne lui plaisait même pas.



Cette partie, au-delà d'observer avec une minutie incroyable le processus de construction puis de déconstruction amoureux, est riche d'enseignement sur le milieu bourgeois parisien du début du XXème siècle. Marcel Proust dresse le portrait des salons mondains de son époque tout en se moquant, à travers notamment le personnage de Madame Verdurin qui est pathétique et absurde. Etude vivante à la fois sociologique et anthropologique, les sens ne seront pas écartés de l'analyse, même s'ils ne sont pas aussi centraux, comme le prouve l'effet lancinant et hypnotique de la musique dans la construction du sentiment amoureux, la sonate de Vinteuil revenant tel un leitmotiv, cimentant la complicité du couple qui l'a écouté pour la première fois ensemble.

Alors que la première partie est extrêmement sensorielle et ne porte que sur les souvenirs du narrateur enfant, souvenirs guidés par tous les sens, dans cette partie, les mondanités le disputent aux réflexions philosophiques, l'analyse sociologique à l'histoire d'amour, le tragique à l'humour, la gravité à la légèreté.



Dans la troisième et dernière partie, Nom de Pays, nous retrouvons le narrateur alors âgé d'une douzaine d'années. Malade car de constitution très fragile, il a dû renoncer à un voyage à Venise auquel il rêvait depuis longtemps. Au cours de ses promenades aux Champs-Elysées avec Françoise, il rencontre Gilberte , la fille de Charles et d'Odette Swann (Charles et Odette ont fini par se marier en effet), qu'il revoit régulièrement, nouant un amour qui ne semble pas vraiment partagé. Là encore, indirectement, Swann est présent en filigrane dans cette troisième partie. C'est en effet ici au narrateur de vivre à son tour un amour compliqué, impossible, ce qui fait de cet enfant un double de Swann, un alter ego. Nous comprenons alors pourquoi Swann occupe une place si importante dans ce premier tome de la recherche.



« On n'aime plus personne dès qu'on aime ».



L'écriture, constituée de longues phrases, comportant le plus souvent une imbrication de propositions, est certes exigeante et nécessite parfois plusieurs lectures, soit pour bien comprendre soit pour déguster le style de Proust, mais permet, de par sa précision, ses étonnantes métaphores, ses circonvolutions, de faire surgir des images tout bonnement stupéfiantes et marquantes.



« Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l'avait heurté, suivi d'une ample chute légère comme de grains de sable qu'on eût laissés tomber d'une fenêtre au-dessus, puis la chute s'étendant, se réglant, adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable, universelle : c'était la pluie »



« Comme dans ce petit jeu japonais où l'on trempe de ténus bouts de papiers qui, aussitôt plongés dans le bol, s'étirent, se contournent, deviennent des fleurs, des personnages, toutes les fleurs de son jardin, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église, et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardin, de sa tasse de thé ».





Du côté de chez Swann, publié en 1913, est donc le premier roman du cycle A la recherche du temps perdu. Ensemble autobiographique dans lequel Marcel Proust se met en scène, les milieux mondains de la Belle Epoque sont mis à l'honneur et moqués, prétexte pour, en réalité, mettre en lumière la mémoire et la manière de retrouver son passé, notamment grâce aux sens. Si la première et la troisième partie, les deux ensembles dans lesquels le narrateur se met en scène, m'ont épatée tant par leur écriture que par leur manière de convoquer les sens, la seconde partie, de nature plus sociologique et anthropologique, m'a un peu moins séduite du fait de quelques longueurs, même si l'analyse de la passion amoureuse, de sa naissance, en passant par son acmé et sa fin, est fascinante.

Ce livre est la recherche d'un temps perdu, celui d'un temps non linéaire, pas assassin et éternellement présent. Celui des souvenirs resurgissant sans cesse grâce à l'activation des sens au point de constituer un présent éternel, quasi mythologique. Celui de l'amour que l'on voudrait éternel, qu'il soit maternel ou amoureux.



Un roman nostalgique, à l'image de Swann, rempli de loisir, parfumé par l'odeur du grand marronnier, des paniers de framboises et d'un brin d'estragon…Un roman inoubliable.





Commenter  J’apprécie          10952
Journées de lecture

Dans cette préface à un ouvrage de John Ruskin, Proust nous invite à quelques réflexions sur l’expérience de lecture.



« Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilités. » Qu’y a-t-il de formidable dans la lecture ? Elle est la face de Janus de la conversation, on reçoit une autre pensée tout en restant seul. L’expérience de lecture s’accompagne d’une solitude féconde, où nous avons accès à des réflexions beaucoup plus profondes et singulières que celles du quotidien, glanées dans les commérages de notre entourage ; nous n’avons pas à nous encombrer davantage du langage social, avec ses déférences, ses rires de circonstances, tous nos réflexes sociaux et nos frivolités sont étrangers à l’expérience directe de la lecture, même Molière ne nous arrachera pas un rire si la réplique n’est pas drôle voyez.



Il n’y a pourtant rien d’une apologie naïve de la lecture, elle reste « au seuil de la vie spirituelle ; elle ne peut nous y introduire : elle ne la constitue pas ». La lecture ne dispense pas de la vie, on ne peut faire l’économie d'exister ; cela constitue, pour Marcel Proust, un danger de la lecture. D'ailleurs si l'on vivait moins peut être la littérature n'aurait pas tant d'écho.



Proust concède que les dépressifs, les abouliques, peuvent avoir besoin de lecture pour leur insuffler l’esprit de la vie, la force de la volonté un peu comme « les psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques ». On se souvient du personnage d’Oblomov, champion toute catégorie de cette « sorte d’impossibilité de vouloir » tentant, sans succès, par la lecture de quitter son inertie.



Alors, quelle est la place de la lecture ? est-ce du temps perdu ? la littérature ne serait-elle « que » divertissement ? Sorte d’école des « façons de l’esprit » ? Et pourquoi avez-vous une prédisposition pour les auteurs anciens, malgré l’effort de la langue, pour les vieilles pierres des lettres françaises, les poètes corinthiens et les dramaturges marmoréens ; « on aime toujours un peu à sortir de soi, à voyager quand on lit » ?



A lire pour constater comme Proust-lecteur est proche de nous, dans l’expérience sensible dont il rend compte, tout en nuances ; sans compter ce style singulier, avec ses longues, longues phrases chargées de poésie, d’ironie et d’érudition ; et que les becs sucrés se rassurent, on trouvera même en prime quelques madeleines de jeunesse, alors régalez-vous !
Commenter  J’apprécie          903
A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Bien que ceux qui me connaissent sachent que je ne perds pas une occasion de parler de Proust et de la Recherche, il m'est en réalité très difficile d'écrire un retour sur l'un des volumes composant cette oeuvre époustouflante. D'abord, parce que son découpage artificiel en sept tomes me contraint à limiter ma réflexion à l'un d'eux en particulier alors que je ne cesse au cours de mes lectures successives de jeter des ponts de l'un à l'autre, m'attachant à embrasser l'oeuvre dans sa totalité. Ensuite, parce que la relation que j'entretiens avec la Recherche est ancienne, intime, profonde, relevant davantage du sentiment amoureux avec tout ce que cela suppose de passion et d'aveuglement que d'une rigoureuse approche universitaire et qu'au fond, cet amour ne regarde que moi.

Et puis, que vais-je pouvoir dire dans le cadre particulièrement restreint d'une critique sur Babelio? Vous résumer l'argument d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs? Mais même cela, outre que c'est d'un intérêt limité, dépasse le cadre de ce tome-ci. Par exemple, si je vous dis que dans la première partie qui a pour cadre Paris (la seconde se déroulant à Balbec), le jeune narrateur se rend, frétillant d'espoir et d'excitation, à une représentation de l'immense actrice La Berma dans Phèdre dont il ressort incroyablement déçu, incapable de ressentir le plaisir tant attendu — « j'avais beau tendre vers la Berma mes yeux, mes oreilles, mon esprit, pour ne pas laisser échapper une miette des raisons qu'elle me donnerait de l'admirer, je ne parvenais pas à en recueillir une seule » — j'éprouve aussitôt l'irrésistible envie de vous dévoiler ce qui nous sera révélé dans le tome suivant, le côté de Guermantes :

« (…) le talent de la Berma qui m'avait fui quand je cherchais si avidement à en saisir l'essence, maintenant, après ces années d'oubli, dans cette heure d'indifférence, s'imposait avec la force de l'évidence à mon admiration. »



Rien que sur ce minuscule épisode, il y aurait beaucoup à dire. Je pourrais vous dire que l'insondable déception du narrateur assistant pour la première fois à la représentation tant désirée illustre le hiatus maintes fois énoncé dans la Recherche entre « la porte d'or » de l'imagination et « la porte basse et honteuse » de l'expérience. En tirant ce fil, je pourrais également vous parler de l'incapacité de notre esprit, minutieusement analysée par Proust, à penser à la fois l'état antérieur, celui où l'on rêvait de la Berma et l'état actuel, celui où, assistant enfin à la représentation tant attendue, on ne ressent rien. Même si ce trait psychologique n'est pas explicitement souligné par Proust dans l'épisode de la Berma, il y court en filigrane. Il fait partie, avec d'autres, des quelques obsessions de l'auteur que l'on retrouve, sous des formes diverses et changeantes, tout au long de l'oeuvre. Plus précisément, il appartient aux « lois générales des caractères » que l'écrivain, s'appuyant sur un rigoureux travail d'introspection, tente de mettre au jour. À l'occasion de sa récente et formidable chronique du Métier de vivre, Eduardo (@creisifiction), m'apprenait que Cesare Pavese le mentionne dans son journal :

« Proust est obsédé par l'idée que tout espoir, en se réalisant, soit remplacé exactement par le nouvel état et efface en conséquence l'état précédent. »

Cet effacement de l'état d'esprit antérieur par l'état d'esprit actuel trouve une illustration parfaite lors de l'introduction tant espérée et enfin advenue du narrateur chez Odette Swann dans la première partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs :

« J'avais pu croire pendant des années qu'aller chez Mme Swann était une vague chimère que je n'atteindrais jamais ; après avoir passé un quart d'heure chez elle, c'est le temps où je ne la connaissais pas qui était devenu chimérique et vague comme un possible que la réalisation d'un autre possible a anéanti. »



Je pourrais également vous parler, en continuant à m'appuyer sur l'épisode de la Berma, du constat, là encore maintes fois analysé dans la Recherche et d'une justesse confondante, selon lequel il est impossible d'accéder à un plaisir en s'y efforçant. le plaisir se donne, il ne se prend pas. Une autre façon de le dire : ce n'est pas par un acte de volonté qu'on ressent du plaisir ou du chagrin, mais dans l'oubli et l'abandon. C'est lorsque le narrateur est devenu indifférent à la Berma, c'est lorsqu'il n'est plus obnubilé par la nécessité de ressentir un plaisir indicible lors de la représentation, c'est lorsqu'il cesse d'énoncer mentalement les raisons qu'il aurait d'éprouver ce plaisir qu'enfin l'incroyable talent de l'actrice s'impose à lui dans toute sa plénitude.



Mais ce dont je voudrais vous parler en réalité nécessite de prendre encore un peu d'altitude. En m'appuyant sur les deux expériences antagonistes du narrateur lors de la représentation de la Berma dans Phèdre, l'une, décevante, restituée dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs, l'autre, épanouissante, reproduite dans le côté de Guermantes, je souhaiterais développer un thème essentiel à mes yeux que Proust résume joliment dans la seconde partie du volume :

« Mme de Sévigné est une grande artiste de la même famille qu'un peintre que j'allais rencontrer à Balbec et qui eut une influence si profonde sur ma vision des choses, Elstir. Je me rendis compte à Balbec que c'est de la même façon que lui qu'elle nous présente les choses, dans l'ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d'abord par leur cause. »



Ce que nous dit Proust à travers son narrateur, c'est que la révolution picturale induite par l'impressionnisme a eu une influence profonde sur sa vision des choses. Les peintres impressionnistes et leurs précurseurs, en s'attachant à restituer le réel dans l'ordre des perceptions, nous montrent d'abord l'illusion qui nous frappe, d'abord l'effet, non la cause. Proust précise quelques pages plus loin qu'Elstir ne cherche pas à exposer les choses « telles qu'il savait qu'elles étaient, mais selon les illusions optiques dont notre vision première est faite. »

Ainsi que le suggère Vincent Descombes dans Proust, philosophie du roman, l'écrivain songe sans doute ici au mot de William Turner, qu'il cite dans son texte sur Ruskin. À un officier de marine qui lui reprochait d'avoir dessiné un vaisseau sans ses sabords, le peintre rétorqua que ces sabords n'étant pas visibles depuis le mont Edgecumbe, il n'avait pas à les représenter : « Mon affaire est de dessiner ce que je vois, pas ce que je sais. »

Cette découverte, fondamentale pour le narrateur, ne l'est pas moins pour Marcel Proust qui, tout au long de la Recherche, s'attache à décrire l'expérience des choses, l'impression qu'elles produisent, plutôt que les choses elles-mêmes, autrement dit, à peindre ce qu'il voit ou ce qu'il ressent, pas ce qu'il sait, ou encore à « peindre les erreurs dans une recherche de la vérité » selon la formule de Vincent Descombes.

Peindre les erreurs au sens de Mme de Sévigné ou d'Elstir fixant un mirage, c'est peindre un enchantement : ainsi lorsque le narrateur, rêvant d'entrer dans le Saint des Saints, la « demeure enchantée » des Swann, se les représente comme des « êtres surnaturels » n'appartenant pas à la communauté des mortels, ou lorsqu'à Balbec deux ans plus tard, découvrant pour la première fois la petite bande des jeunes filles progressant le long de la digue « comme une lumineuse comète », il les pare des grâces et des beautés créées par son imagination. Mais lorsque le narrateur fait connaissance avec le baron de Charlus et, trop naïf et trop jeune pour saisir, sous le discours emphatique et ironique du baron, les sous-entendus sexuels, ce n'est plus un enchantement qu'il nous peint, c'est le fait de se tromper sur quelqu'un.



Peindre les erreurs, peindre l'aveuglante clarté afin de mettre en lumière la vérité tapie dans les ténèbres… N'est-ce pas là l'explication ultime de la construction de la Recherche, ainsi que l'une des raisons pour lesquelles cette oeuvre unique a donné lieu dès sa parution et encore aujourd'hui à une somme de malentendus et de contresens assez considérable? Proust en avait conscience, ainsi qu'en témoigne une lettre à Jacques Rivière en date de février 1914 :

« Je suis donc forcé de peindre les erreurs, sans croire devoir dire que je les tiens pour des erreurs; tant pis pour moi si le lecteur croit que je les tiens pour la vérité. le second volume accentuera ce malentendu. J'espère que le dernier le dissipera. »



Pour quelqu'un qui avait tant à coeur de se faire comprendre et aimer que Marcel Proust, ce dut être une perspective fort désagréable, voire franchement angoissante. Mais l'écrivain savait que c'était le prix à payer pour bâtir une oeuvre plus grande que lui.

Commenter  J’apprécie          8889
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sod..

Où Marcel, à l’affut derrière sa fenêtre, guettant la fécondation d’une orchidée par un insecte pollinisateur, surprend une scène qui lui révèle la véritable personnalité du baron de Charlus. S’en suit un long développement sur ce qu’implique socialement et personnellement le fait d’être inverti, dans une société qui condamne de tels penchants, et dresse un catalogue qui pourrait être une élégante façon de suggérer comment identifier ce que l’on cherche à cacher.



Suit une soirée chez la princesse de Guermantes, source d’angoisse préalable puisque Marcel ignore jusqu’au dernier moment s’il est invité ou non. Une fois introduit dans la place, outre l’observation de Charlus, chez qui il tente de confirmer ce qu’il a vu quelques jours plus tôt, Marcel scrute, analyse et se fait une idée de la mondanité dont il tente tant de se rapprocher.



Ses certitudes quant aux moeurs de Charlus font le pendant de ses doutes vis à vis d’Albertine. Si elle clame sa détestation de Gomorrhe, le docteur Cottard est loin d’y croire et en fait la démonstration au malheureux jeune homme.



Marcel poursuit son éducation mondaine, et se fait une place encore ambiguë au sein de ces élites dont il tente de se rapprocher, tout en réalisant les illusions de supériorité qu’il leur attribuait.



Un opus au cours duquel Marcel allège le ton général , en s’adressant au lecteur, puis en rapportant avec humour les défaillances langagières du maitre d’hôtel de Cabourg.



Et toujours magie de cette prose unique, cette petite musique si reconnaissable et envoutante.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          842
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Longtemps je m'étais dit que le bonheur ressemblait à cela.

Je ne savais pas que lire du côté de chez Swann me ferait cet effet-là. Je ne savais pas qu'une phrase comme celle-là, innocente et déliée comme une vague, entrerait en moi pour ne plus me quitter.

Mais quelle phrase ? Toutes, elles sont toutes aussi belles l'une que l'autre.

Tout d'abord, je m'étais préparé comme on se prépare à rencontrer quelqu'un qui s'appelle Marcel Proust. C'est étrange les représentations qu'on a, je m'étais dit si un jour je devais rencontrer Marcel Proust, ce serait dans un jardin public. Je m'étais dit qu'il préfèrerait me rejoindre au jardin du Luxembourg, alors que moi je l'aurais plutôt invité au parc Montsouris. Vous voyez la différence ?

En abordant cette lecture, je me suis demandé : comment pourrais-je passer ici après Louis-Ferdinand Céline, après Victor Hugo, après les P'tites poules ? Quelle crédibilité avais-je finalement de produire ce qui serait la deux-cent soixante-deuxième critique... ? Amateur d'ésotérisme, je suis allé voir un peu à droite et à gauche, - plutôt à gauche vous commencez à me connaître, ce que ce chiffre représentait, est-ce que ce chiffre était un rendez-vous ? Était-ce LE bon moment ? Pour moi ? Pour vous ? Pour la postérité ? Bon, il y avait plein de calculs à faire et cela m'a barbé, quoique les mathématiques ne me barbent jamais, nullement. Au contraire d'ailleurs... Un jour j'y reviendrai, mais seulement par amour, par amour des mathématiques, mais voilà que je digresse...

L'avantage est qu'ici je ne risque pas de divulgâcher quoique ce soit, ce roman ne raconte rien et c'est ça qui est génial. Je fais le malin bien sûr, ce roman raconte des choses, évoque des situations, des personnages, les met en scène. Ne serait-ce que le narrateur...

Mais le bonheur qui vient après cette lecture est à un autre endroit.

Longtemps j'ai presque eu honte d'avoir aimé ce livre. Et je me demandais pourquoi...

Longtemps je m'étais dit que je ne lirai pas cet auteur.

Puis vint le temps où je l'ai lu. Il y a longtemps. Je l'avais tenté par trois fois et comme un surfeur, la troisième vague fut la bonne. L'écriture de Proust est une vague et c'est à force de regarder la mer presque tous les jours que j'ai compris cela. Je ne surfe pas, mais je les observe depuis le bord du rivage.

Et donc, je l'ai relu. Mais quel plaisir !

Aïe ! Je pense à la fameuse vague et aux pauvres terriens, les vrais terriens retirés au fin fond des villes et des campagnes, mais ce n'est pas grave, il suffit de fermer les yeux et d'entendre la phrase de Marcel Proust, lu par quelqu'un d'autre. Pour moi cette phrase fut celle lue par Daniel Mesguich.

J'ai aimé ce que j'ai lu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai ressenti. Profondément. Éperdument.

Je reviens au livre. J'ai tout d'abord regardé cette manière de dire le texte. Je me suis demandé si cela se limitait à la façon de dire les mots. Et peu à peu, la phrase s'enroule, emporte et délivre ce qu'elle porte en elle. Porte autre chose forcément, mais quoi ?

J'ai aimé ici toucher du doigt l'enfance, le désir, les relations amoureuses, la jalousie, la tristesse, puis le temps si fragile à nos yeux et que nous voyons s'effriter aussi parfois entre nos doigts et à cause de nous.

Ce temps qui file, est-il inutile ?

J'ai une petite idée sur la question...

Aussi, je ressens une difficulté infinie à vous parler de mon ressenti. Cette lecture reste en moi, voilà je fais un temps d'introspection, je respire longuement, je pense au livre, j'y reviens mentalement, c'est comme un voyage intérieur...

Ce livre va forcément m'aider à grandir et ne me demandez pas comment, pourquoi, ni quand... Je n'en sais strictement rien. Je sais seulement que je vais grandir et rien que pour cela, cette chronique m'est indispensable, comme une consolation... Sans doute aussi parce que ce livre ne parle de rien d'autre que de nous et de notre immense et inconsolable besoin d'amour...

Je pense brusquement que la forme du texte m'a entraîné de manière sublime vers son vertige, mais à vrai dire je n'en sais rien...

Ce livre est un très grand roman.

Commenter  J’apprécie          7963
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

On dit de ce roman que c'est un monument de la littérature française qu'il faut avoir lu une fois dans sa vie et j'avoue m'être lancée à corps perdu dans ce défi que j'ai abandonné maintes fois par le passé car c'est vrai qu'il y a des longueurs et des lenteurs emblématiques chez Proust, des phrases qui s'étirent comme un chat au soleil d'été, une ponctuation utilisée avec parcimonie qui compromet fortement la notion spatio-temporelle - c'est bavard, certes, la prose est ardue, les digressions foisonnent et l'emploi du subjonctif rebute notre déformation de lecteur 2.0 habitués à ce qu'une information arrive rapidement pour qu'on puisse vite la synthétiser et vite la transmettre et vite l'analyser - , sauf qu'ici chez Proust cette prouesse n'est pas possible car tout se passe très lentement et il place son décor dans le Paris bourgeois avec une notion de castes plus que de classes sociales, où la vie coule comme un fleuve tranquille et où l' on prend le temps de vivre, le temps de voir passer le temps, il y ajoute quelques études psychologiques des personnages et des sentiments tel l'amour teinté de vénération d'un enfant pour sa mère, même si cette histoire prend trente-deux pages et demi, épuisant ainsi notre quota de bonne volonté car vraiment il faut l'admettre c'est une lecture difficile, laborieuse, digne des marathoniens qui aiment l'effort, qui ne se découragent pas face à la difficulté et à la douleur ; mais il y tout de même de belles descriptions et notions, surtout celle de la force des souvenirs qui restent, qui résistent à tout.



Ouf, je reprends mon souffle après l'écriture du paragraphe le plus long de ma vie. Proust eût été fier de moi ;)



Et voilà, c'est fait ! Je promets que dorénavant j'aurai plus de patience avec ma vieille tante qui débite 25 mots à la seconde ! Et en plus les madeleines auront désormais une autre saveur !





Commenter  J’apprécie          7717
A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Il y a 104 ans, le 10 décembre 1919, le prix Goncourt couronnait Marcel Proust pour son roman « À l'ombre des jeunes filles en fleurs. L'auteur n'en était pas à sa première tentative pour obtenir le précieux prix et les critiques étaient déjà nombreuses à l’époque pour dénoncer la difficulté de son œuvre…



Cet Everest du monde littéraire, je l’ai gravi en cordée avec des amis babelionautes et sur une durée d’un mois. Je n’étais pas le premier mais pas non plus le dernier. Je me suis accroché pour ne pas m’effondrer dans les premières pages. De plus, s’attaquer directement au tome 2 de la recherche du temps perdu pouvait paraître risquer pour le commun des lecteurs… l’auteur des 856 mots dans une seule phrase ne me faisait pas peur et je pouvais compter sur l’esprit d’équipe pour arriver à mes fins.



Le style et la personnalité de marcel Proust ne se limitent pas à la longueur de ses phrases bien que celles-ci restent sa marque de fabrique. Si elles sont interminables pour le quidam, ses phrases demeurent pourtant fluides et dynamiques à la manière d’un véritable tsunami littéraire. Si l’on peut se perdre les premières heures dans le style proustien, les idées qu’il énonce sont claires et bien ordonnées. Avec le temps - et dieu sait qu’il est important chez l’écrivain - on commence rapidement à accepter sa prose et voir même à l’apprécier. La monotonie du départ laisse vite la place à la curiosité pour ce foisonnement de sentiments et d’émotions naissantes. On finit par accepter sa marque de fabrique.



Mais on ne peut pas s’intéresser à Proust sans parler de ses personnages. Le trait fondamental du personnage proustien réside dans sa description complexe mais aussi précise. Dans la recherche du temps perdu, il y a plus de 200 personnages. L’écrivain sait les faire évoluer sans les figer dans leurs traits de caractère. Comme dans la vraie vie, leurs attitudes évoluent au grès du temps ou de l’instant présent. Chez notre ami Marcel, l’individu change suivant qu’il est seul ou en compagnie. Le lecteur peut se perdre dans cette multitude de « faux semblant » et de « paraître-être ». S’ils sont à la fois sincères et sympathiques, ils peuvent aussi devenir snobs voire cruels. On peut les croire artificiels mais ils sont souvent comme on les imagine être du moins comme on voudrait les voir, la question étant de savoir s’ils sont faits pour être aimés ou admirés.



Enfin on se doit aussi de parler de l’amour proustien et des filles qui émoustillent tant le jeune Proust dans ce roman. De la jeune paysanne portant une jarre de lait qu’il voudrait ne plus quitter à la belle Albertine au polo noir qu’il veut épouser, en passant par l’espiègle Gisèle ou la mature Andrée, son cœur (d’artichaut) ne sait ou ne peut choisir. L’impossibilité de les différencier va rendre la décision de l’auteur très compliquée. Pourtant, le désir chez Proust semble trouver son paroxysme dans le manque ou l’inachevé plutôt que dans l’atteinte ou la réalisation de ses amours. «J'aime ce que je n'ai pas et je n'aime plus ce que j'ai ». Gilberte qui vit à Paris en compagnie de ses parents les Swann, en fera également les frais dans la première partie du roman.



Avec Proust, nous restons dépaysés tout au long de notre lecture. Le narrateur, héros principal, nous entraîne et nous bouscule dans une succession de souvenirs sans chronologie et sans fil conducteur au grès de ses pensées. La mémoire du temps passé et présent se mélange pour nous donner la représentation réelle du monde qui nous entoure ou plutôt du monde que nous percevons plus par l’esprit que par les yeux. Avec cet écrivain, nous rentrons pleinement dans la pensée du narrateur et nous ne faisons plus qu’un avec lui. Le « je » de l’auteur devient notre propre « je ». C’est cette fusion d’esprit qui nous permet d’être transporter au sein même du récit en nous permettant de partager en parfaire osmose, tous les sentiments du héros.



C’est cette expérience incroyable et unique que je vous invite à expérimenter seul ou en groupe. Elle vous permettra d’assister à la représentation de la pièce de théâtre Phèdre jouée par Sarah Bernard (La Brema) ou de dîner dans le restaurant du Grand Hôtel de Cabourg (Balbec) comme visiter l’atelier du peintre Whistler (Elstir) ou de fréquenter la bourgeoisie parisienne durant l’affaire Dreyfus. Vous pourrez vous promenez sur le Champ de Mars avec Odette Swann et sa fille Gilberte ou vous baladez sur la côte normande avec Robert, marquis de Saint Loup. C’est tout ça aussi l’ombre des jeunes filles en fleur…



Je tiens encore une fois à remercier mes amis 4bis, AnnaCan, Berni_29, Cathe, Djdri25, gromit33, H-mb, HundredDreams, Isacom, MisssLaure, mylena, Nicolak pour leurs échanges constructifs et soutiens tout au long de notre ascension littéraire.



Commenter  J’apprécie          7590
A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Dans ce deuxième opus de La recherche, Marcel est un ado avide de relations avec des jeunes filles. Il est plus amoureux de l’amour que des jeunes personnes en question, à un tel point que quelque soit la demoiselle entrevue, elle devient l’objet exclusif d’un désir envahissant et incontrôlable. Gilberte Swan, la fille de Swann et d’Odette de Crécy est la première à ouvrir le bal. Malgré sa conduite peu amène envers le jeune homme qui est un peu collant dans son insistance à croiser son chemin et à manigancer pour se retrouver en tête à tête avec l’élue de son coeur, Marcel persiste et signe. Et cette passion l’entraîne dans des stratagèmes complexes, y compris fréquenter plus que la convenance ne l’exige les parents de Gilberte. D’autant que ceux-ci connaissent l’écrivain à succès Bergotte, bénéfice secondaire non négligeable pour un aspirant écrivain. Au cours de cette première partie, Marcel assise pour la première fois à une pièce théâtre dans laquelle joue la Berma. Et Proust décrit à merveille le désarroi de Marcel, qui voudrait à l’unisson de ceux qui sont sensé connaître les codes, admirer ce qui ne lui inspire que peu d’émoi. Comment sait-on que ce que l’on voit est admirable ? Quel sont les critères pour décider de la valeur d’une artiste ?



Peu à peu Marcel se désintéresse de Gilberte et le départ vers Balbec signera la fin de cet amour.



Mais Balbec sera le lieu d’autres passions : l’amitié de Saint-loup, les échanges avec le peintre célèbre Elstir, puis la rencontre d’Albertine.



Marcel observe, avec avec finesse, le comportement de ses contemporains afin d’en comprendre les règles qu’il ne manque pas de s’approprier, tout en étant conscient de son inexpérience.



Proust analyse avec une grande acuité le comportement de son narrateur, qui trouve dans la es situations les plus banales l’occasion de décortiquer les processus psychiques en cause.



Même si cela reste une lecture complexe, du fait du style, de ces longues phrases à tiroir, il n’en reste pas moins que la lecture est passionnante.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          743
A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Longtemps je me suis fait une montagne de Proust. Pas une montagne magique, non… Un chemin laborieux peuplé d'aubépines aux branches piquantes et acérées.

Longtemps les amateurs et amoureux de Proust m'ont également fait tout autant peur. Mais lorsque j'en ai rencontré quelques-uns, - quelques-unes devrais-je préciser, j'ai pu me rendre compte qu'ils étaient comme moi faits de chair et d'os, surtout de chair, et non pas quelques rombières évanescentes trempant des madeleines rances dans des tasses de thé à la verveine.

Longtemps j 'ai considéré que je n'étais pas prédisposé à lire et aimer Proust. Je portais un regard façonné de représentations toutes les unes plus fausses que les autres : une oeuvre écrite par un mondain pour des mondains, un monde peuplé de snobs et de dandies qui n'avaient rien d'intéressant à me dire, une écriture datée et hermétique.

« Je tournai le dos comme un baigneur qui va recevoir la lame. »

On dit qu'À l'ombre des jeunes filles en fleurs serait la suite logique et chronologique du premier volume d'À la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann.

Deux ans se sont passés depuis la fin d'Un amour de Swann, élément central du tome précédent. Y étaient décrites les turbulences de la liaison entre Swann et Odette de Crécy. On les retrouve mariés, au début de ce tome II, sans que rien n'ait été dit sur la façon dont ce mariage a été amené et sur la manière dont la cérémonie s'est déroulée. Cette union conduit Swann a descendre d'un cran dans le niveau de ses relations sociales.

Dans mon voyage qui m'amène à revenir vers Proust, deux mois se sont écoulés. Cette attente a été faite d'impatience et de peur.

C'est sans doute le ton d'une confidence qui m'a convié à ce nouveau rendez-vous avec Proust.

Alors j'ai pris mon temps pour lire ce second opus. D'ailleurs, existe-t-il une autre manière de lire Proust que de prendre son temps ?

Me croirez-vous si je vous avoue que ces pages sont emplies de sortilèges ?

Je pourrais vous parler de quelques personnages de ce roman, mais pour ceux qui n'ont jamais lu Proust, ce serait comme vous parler de mes amis ou de la fête des voisins… Si je vous évoque les Verdurin, Swann et Odette de Crécy, Elstir, la Berma, Bergotte, Françoise, Andrée, Gilberte, la grand'mère, Albertine… cela ne vous parlera sans doute guère et vous aurez raison car ce n'est pas ce qu'il y a de plus important dans ce texte. de même que les lieux évoqués dans ce roman sont évocateurs, le salon des Verdurin, le Grand Hôtel de Balbec, l'atelier d'Elstir, l'hôtel des Guermantes…

Il y a bien sûr un arc narratif qui sous-tend le texte, qui convoque des personnages, des lieux, une histoire…

Mais le personnage principal de ce roman est bien pour moi son écriture et ce qui compte aussi c'est la façon de convoquer par le cheminement de cette écriture intelligente, nuancée et parfois ironique il faut bien l'avouer, des émotions, des sensations, l'éveil des sens, le désir, des rebuffades, des regrets, une manière de dire la douleur du chagrin avec sensibilité et élégance.

C'est une écriture emplie d'enchantement par sa finesse et sa subtilité, une écriture qui ouvre des possibles.

Il ne se passe rien ici, la seule aventure c'est l'écriture. Proust remplace ici l'imagination par la sensibilité des ressentis. C'est la réalité qui se prend pour un rêve éveillé, dans l'immobilité des choses.

L'écriture de Proust m'a fait entendre une voix, un vertige, mes propres émotions de lecteur, peut-être d'homme tout simplement. Elle est pour moi un chemin inouï pour entrer dans ce rapport intime au monde, pour le visiter, en éprouver non pas une certaine vision, mais plutôt les sensations.

À l'ombre des jeunes filles en fleurs, il y a un mot qui m'a tout de suite interpelé dans ce titre. Non, non, vous ne m'entraînerez pas sur ce chemin espiègle et polisson… Quoique j'y reviendrai plus tard… Je voulais seulement parler ici de l'ombre citée dans le titre qui sous-entend qu'à un autre endroit existe une lumière vive, arrogante presque, celle peut-être d'un soleil qui écraserait le paysage et parmi lequel la vue soudaine de quelques jeunes filles sur une plage offrirait la protection d'une ombrelle ou d'un parasol. J'y ai vu la sensibilité douloureuse d'un homme, disons le Narrateur, une sensibilité à fleur de peau justement, fuyant la brutalité du monde et découvrant la possibilité d'y trouver une connivence intime à sa musique intérieure. Plus tard, c'est peut-être cette lumière qu'Elstir répand dans ses tableaux qui exalte justement les ombres, ces ombres sous lesquelles le Narrateur cherche à abriter les bruits de son âme.

Le Narrateur n'est pas Proust et Proust n'est pas le Narrateur. Je me souviens de m'être fait cette réflexion à plusieurs reprises durant ma lecture et pourtant le Narrateur lui ressemble tout en étant son contraire. Nous voilà bien avancé !

J'ai aimé suivre l'errance de ce Narrateur dans le clair-obscur de cette écriture, entrer dans la lumière d'un tableau figurant un soleil couchant, épier les jeunes filles en fleurs au détour d'une dune, les observer comme lui, y voir des constellations.

Proust m'a rendu le monde à son ingénuité, comme si j'en avais furieusement besoin dans ce temps qui passe parfois trop vite.

C'est sans doute dans cette image à la fois cocasse et touchante que j'ai deviné la dimension sociale de ce récit, le Narrateur éprouve un désir effréné à entrer dans le groupe composé de ces jeunes filles en fleurs "étourdies, coquettes et

pieuses", partager leur vie, peut-être qui sait, devenir l'une d'elle enfin. J'ai eu l'impression soudaine d'être le Narrateur à mon tour et d'avoir déjà vécu cet instant fragile et fugace…

J'avais l'impression de me transformer au fur et à mesure que je pénétrais les volutes du texte. L'oeuvre était là, immuable, ne m'avait pas attendu pour saisir d'autres lecteurs dans sa nasse ou les repousser à jamais vers d'autres rivages moins opaques et je ne l'avais pas attendu non plus pour exister à ma manière.

Je me suis pourtant rappelé combien la littérature peut nous façonner par d'insoupçonnés et imperceptibles mouvements, par des chemins inattendus qui innervent ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir.

L'écriture de Proust m'a apporté ici sa légèreté et l'envie vorace de ne plus être ankylosé par des livres qui ne me parleront jamais.

Les livres qui ne m'intimident pas ne m'intéressent plus. Enfin, à quelques exceptions près, bien sûr...

Je continuerai de craindre l'écriture de Proust, mais maintenant je sais un peu mieux l'apprivoiser…



« Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre

Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs ».

Les Fleurs du mal – Charles Baudelaire



Cette lecture commune avec quelques amis fut un délicieux moment très inspirant. Merci à eux pour les échanges si riches durant cette aventure proustienne insolite.

Commenter  J’apprécie          6445
A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

S’il fallait ne choisir qu’un des sept tomes de La recherche du temps perdu, ce serait sans doute celui-là. Il arrive comme une apothéose, l’épanouissement d’une fleur qui a progressivement ouvert ses pétales, la clé d’un cheminement qui a pu paraître erratique.



On y retrouve un certain nombre des personnages qui avaient fait l’objet d’une étude dans les précédents tomes, vieillis, changés physiquement et moralement et décalés socialement, l’immuabilité apparente des rôles et des titres ayant été fort perturbée par le temps et les événements, d’autant que le narrateur est resté longtemps à distance, isolé pour des problèmes de santé.



Nous sommes en 1916. La guerre éliminera certains personnages centraux, comme Saint-Loup, faisant de Gilberte une jeune veuve, qui feint d’ignorer les penchants de feu son mari.

Le baron de Charlus n’a jamais été aussi bas : outre le fait qu’il affiche une sympathie pour l’Allemagne, le narrateur découvre l’existence de ses soirées consacrées au vice dans un hôtel mal famé tenu par Jupien.



Mme Verdurin promue princesse de Guermantes par son mariage, perd cependant de sa superbe. Son sens de la répartie a souffert, ternissant par ce biais le nom même de cette lignée, si adulée dans les premiers épisodes de l’oeuvre.



Ce qui fait aussi tout l’intérêt de cet opus, c’est le fait que les constats du narrateur sur l’évolution du monde qui l’entoure sont un puissant stimulant qui le décident à coucher sur le papier l’histoire des tous ces personnages et donc d’écrire la recherche, dans une mise en abîme remarquable .



Certes l’oeuvre n’est pas une lecture facile, il faudra passer par une période d’essais et d’abandons, jusqu’à ce que la mélodie de cette écriture si particulière se laisse entendre et comprendre, mais pour faire place ensuite à un vrai bonheur de lecture.



447 pages Folio 2 novembre 1990


Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          641
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Demain, cela fera 100 ans que Marcel Proust est mort.

Je voudrais par mes quelques lignes rendre un hommage vibrant à son oeuvre: A la recherche du temps perdu, source inépuisable des sentiments humains, une écriture fascinante, empreinte de poésie et de cette nostalgie du temps qui passe.

Cela fait bien des années que j'ai commencé à arpenter "les lieux proustiens", de la rue d'Auteuil à la rue Hamelin sans oublier le Grand hôtel de Cabourg et naturellement : Illiers-Combray avec la maison de la tante Léonie.

Que d'émotions j'ai ressenti en 'faisant tinter la petite cloche qui annonçait les visiteurs tant redoutés par Marcel Proust, puisque ces " étrangers" à son cocon familial lui volaient le baiser du soir donné par sa mère et sans lequel, il ne pouvait s' endormir.

La première partie de la Recherche se situe à Combray, le pays des vacances, le paradis de l'enfance.

Que de magnifiques pages pour nous faire découvrir ces après-midi de lecture ou ces promenades du côté de Méséglisse ou du côté de Guermantes, nom enchanteur pour le narrateur qui tombe amoureux de ce nom, de cette duchesse jamais vue.

Quelle analogie subtile est faite entre le baiser volé du narrateur et celui si difficile à obtenir pour Swann, ce voisin qui vient le rendre régulièrement visite d'Odette de Crécy.

Marcel Proust, avec une plume très sensible va nous décrire les tourments amoureux qu'il s'agisse de l'amour filial du narrateur pour sa mère ou celui de Swannn " qui a gâché des années de sa vie pour une femme qui n'était pas son genre".

La passion, la jalousie, la peur de ne plus être aimé sont admirablement traités et dépeints.

La première partie de la Recherche porte en germe tous les personnages et les passions qui se développeront tout au long de ces 15 tomes, chez Gallimard.

Quel plaisir de relire cette œuvre dans ce papier jauni par le temps car il y a bien longtemps que ces volumes vivent avec moi.

Marcel Proust est mon meilleur ami littéraire, j'y ai tout trouvé, c'est un bonheur de relire aujourd'hui son œuvre.

J'espère que beaucoup de lecteurs auront à cœur de découvrir cette Recherche. .

Commenter  J’apprécie          6318
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Critiquer : désolée mais pas cette fois !



" A La Recherche du Temps Perdu " , c'est cent vingt six billets sur notre site préféré .

Le net , les bibliothèques , les librairies regorgent d'études, de thèses , de biographies, d'analyses etc...

Je me sens petite fourmi , minuscule face à ce monument.

Alors, mon billet sera un témoignage car je veux juste partager quelques miettes de ...bonheur !



" du Côté de chez Swann " , premier tome .

Je l'ai lu et étudié pendant mes études mais par morceaux choisis .

Proust depuis ce moment , je dirais quelques décennies , est toujours resté dans un petit coin de ma tête , jusqu'à devenir un rêve : celui de lire toute " La Recherche ...".

Et puis, le tourbillon de la vie , les rares moments à soi , l'actualité littéraire etc... toujours est-il que j'ai dû attendre de nombreuses années avant de trouver LE moment propice pour m'isoler avec Marcel .



Alors voilà , j'ai enfin pu goûter aux délices de Combray , revoir les Swann et me laisser porter par la magnificence de style Proustien .

Je serais quand même de mauvaise foi en oubliant de mentionner l'effort qu'il faut parfois fournir face à la densité de certains passages , mais ça , tout le monde le sait .

En revanche , que dire de l'émotion suscitée par l'intensité poétique et je m'en voudrais d'oublier de parler de la finesse d'un humour pince sans rire ponctuant le récit . Que d'esprit !



D'autre part , j'ai eu la curiosité de lire quelques articles biographiques sur l'auteur ; le texte étant écrit à la première personne j'ai eu besoin d'éclaircissements pour mieux situer les personnages , le cadre familial ou social , ou encore les noms de lieux .

Fiction et réalité étant mêlées , ça donne en quelque sorte une biographie tronquée et c'est parfois déroutant.

Ainsi , le narrateur , jeune , se place en fils unique au coeur de sa famille or, Marcel Proust avait un frère de deux ans son cadet . Il l'a complètement occulté il n'apparaît nulle part . En revanche , de ce fait , il nous livre peut-être là , en filigrane , une des clefs de sa construction mentale liée à une certaine souffrance . Troublant .

Emouvante aussi cette relation mère-enfant illustrée ici par le si célèbre " baiser du soir " ...



J'ai choisi de lire " La Recherche ..." dans l'ordre , pourtant , certains Proustiens émérites n'en font pas une nécessité .

Jusqu'à présent , arrivée au milieu du deuxième volume, je reste persuadée que c'est plus aisé pour appréhender l'évolution de l'oeuvre et surtout l'impressionnante et foisonnante galerie des personnages de cette gigantesque comédie humaine .



Ainsi , je suis en immersion dans un autre siècle , dans une oeuvre étonnante de modernité , goûtant une pensée philosophique profonde , tellement percutante , qu'il est aussi bien doux de se laisser bercer par une prose qui parfois tutoie les étoiles .

Commenter  J’apprécie          6318
A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Un challenge organisé par le forum de lecture que je fréquente a été pour moi l'occasion de m'attaquer à un monument de la littérature: A la recherche du temps perdu de Marcel PROUST. Ou du moins à son premier tome: Du côté de chez Swann. Mes premiers pas dans l'oeuvre ont été difficiles, je l'avoue. Les phrases longues, très très longues, partent dans tous les sens et souvent j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour en comprendre le sens. Mais PROUST est ainsi. Il faut savoir prendre son temps pour savourer son écriture subtile et sublime. Oui, il a su me conquérir. Sa prose sensible et délicate croque à merveille la société qui l'entoure, les petits travers de ses contemporains et les rapports sociaux si strictement réglementés. On lit PROUST tous les sens en éveil. Avec lui, on sent les douces fragrances des jasmins du jardin de Swann, on découvre Combray, son églises, ses ruelles, ses prés comme si on y était, on entend les conversations de salon et bien sûr, on a sur la langue le goût de la fameuse madeleine trempée dans le thé de tante Léonie. Quand au détour d'une page, on tombe sur cette anecdote cultissime, on sait que l'on touche à l'essence même de cet écrivain incomparable.

Il faut lire PROUST! Une fois dans sa vie de lecteur, il faut se promener tranquillement avec lui, à Combray ou sur les Champs-Elysées, et tout doucement se laisser bercer par ses petites histoires sur le temps, l'amour, les gens.
Commenter  J’apprécie          622




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs de Marcel Proust Voir plus

Quiz Voir plus

Que savez-vous de Proust ? (niveau assez difficile)

De combien de tomes est composé le roman "A la recherche du temps perdu" ?

5
6
7
8

8 questions
532 lecteurs ont répondu
Thème : Marcel ProustCréer un quiz sur cet auteur

{* *}