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Critiques de Marcel Proust (1045)
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

L’Homme qui vivait dans sa tête

OU

L’ultime, le magnifique refuge.





Je m’étais dit, il y a quelques mois, qu’il fallait avoir lu quelque chose de Proust, mais j’avais retardé l’échéance, croyant trouver un auteur rébarbatif. Des monologues interminables, écrits dans un style baroque, remplissant un roman où il ne se passe rien. C’est vrai qu’on peut ressentir Proust comme cela. Les phrases de plus d’une page, les subjonctifs, les arbitrages évaluant le moindre petit événement. Mais en rester là, c’est comme admirer un monument en comptant le nombre de pierres dont il est constitué … il faut lire au-delà.



Revenons d’abord sur Proust, qui naît dans un milieu parisien très aisé, juste après la Commune, à la croisée de deux cultures : juive par sa mère, catholique par son père. Petit garçon chétif, qui a failli mourir d’une crise d’asthme sous les yeux de ses parents, et que sa mère appellera toujours “ mon petit serin” ou “mon pauvre loup”. Scolarisé normalement, mais souvent absent des cours. Il commence à lire très tôt prose et poésie …Les photos de l’époque montrent un petit bonhomme à l’air rêveur et aux yeux cernés, contrastant avec l’apparence sérieuse et décidée de Robert Proust, son frère cadet, qui deviendra chirurgien comme le fut leur père.



Sa curiosité, et sans doute l’oisiveté des maladies, lui ouvrent les portes de la littérature, comme la fortune et les connexions familiales lui permettront plus tard d’écarter celles des salons. Plus difficile était l’approche des filles de son âge, qui ne mènera pas à grand’chose. Peut-être Proust était-il bisexuel, et que l’absence de succès d’une part l’aura encouragé à le chercher de l’autre ? Une porte qu’il n’essaiera même pas d’ouvrir, en tous cas, est celle de l’emploi, dont il n’a pas besoin financièrement, et où il s’avère incapable de fixer un choix ou de s’y tenir. C’est sans doute sans grand enthousiasme qu’il passe une licence de lettres.



Sans grand enthousiasme, car il me semble que Proust se réfugie assez tôt dans l'imaginaire . A tel point que le réel, ou si vous préférez, le vécu extérieur, devient très vite une source de matière première destinée à alimenter l’imaginaire, un imaginaire qui finit par se métamorphoser en écriture. Métamorphose pénible, car Proust réécrivait de façon compulsive, et, comme Balzac, enrageait ses imprimeurs.



e vois donc Du Côté de chez Swann comme un travail de réécriture du réel, qui d’ailleurs a une structure fractale: le thème de la réécriture se répète à l’intérieur de l'œuvre. Mme. Verdurin construit autour d’elle une coterie, sorte de monde social miniaturisé, qui la dispense de fréquenter “les ennuyeux” laissés au-dehors. La chère tante Léonie, devenue veuve, choisit de ne plus fréquenter le monde même restreint de Combray, et se retire dans son lit de “malade”, où elle se fera soigner, écouter et consoler par une servante. Swann voit une vierge de Giotto en Odette, une courtisane plus ou moins fatiguée, et à ce titre emporte son image dans son musée mental, tombant follement amoureux d’elle, ignorant que si l’on peut s’emparer d’une image, la personne, elle réside dans ce monde extérieur dont on s’est désintéressé, et conserve son libre arbitre, que l’argent peut louer, mais jamais acheter. L’ami du jeune héros de Combray, enfin, affirmant que “ Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier", et se couvrant de ridicule.



Ainsi La Recherche est-elle une invitation à parcourir quelques épisodes du vécu Proustien, tels qu’il les a revus, interprétés et sans doute profondément remaniés. C’est la visite d’un univers mental, à la fois création et demeure, où vous pourrez rencontrer un homme, sans doute masqué, qui a préféré faire sa vie … ailleurs.











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A la recherche du temps perdu, tome 5 : La ..

Où il est question des vicissitudes sentimentales du narrateur pour Albertine…

Le narrateur hésite encore à épouser Albertine. Ils vivent dans le même appartement. Ils ont chacun leur chambre et leur salle de bain, jointives, ce qui leur permet de dialoguer pendant leurs ablutions. Il découvre qu’il est jaloux quand elle n’est pas avec lui, car il n’est pas sûr de sa fidélité. Il a toujours en tête des soupçons de relation saphique entre Albertine et Andrée qu’il convoite lui-même, mais aussi avec Mlle Vinteuil et Léa, comédienne et lesbienne reconnue…

« … Je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être, qu’en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant à jamais des joies de la solitude. Et pas de celles-là seulement.» Il souligne là un fait entendu par toutes et tous mais rarement ouvertement reconnu de cette part de liberté sacrifiée sur l’autel de la relation amoureuse et dont l’importance est toute relative à chaque individu.

Alors que la relation du narrateur avec Albertine commence à connaître le bonheur, émerge dans la pensée de celui-ci le doute. Il témoigne de ce besoin irrépressible de remettre tout en question, car si cette union a atteint son point idyllique, il arrive le moment où il ne peut penser que cela durera pour toujours. Alors l’imaginaire envahit son esprit et creuse les fondations de ce qu’il envisage comme une tragédie, avant que la conscience n’en détecte les premiers signes, ou du moins ne croie en deviner les éléments factuels. « Et si… » engage le narrateur sur la pente vertigineuse du doute qui l’entraîne sur la piste de faits dont l’explication arrangée qu’il en fait corrobore ce qu’il aurait pu craindre le plus : la trahison. Tout n’est qu’invention dans l’esprit du narrateur mais à force de tourner, virer, prend la forme exacte d’une vérité supposée. La moindre parcelle d’emploi du temps non expliquée est pour le narrateur source de turpitudes et d’interrogations laissant le libre champs à des scénarios des plus vraisemblables aux plus loufoques. L’auteur fait la démonstration de cette propension qu’a l’humain de corrompre souvent toute relation sentimentale parfaite, trop parfaite, par cette angoisse vertigineuse qu’elle se finisse ou plus simplement en ce qui concerne le narrateur de peut-être révéler par la suite sa vraie nature. Son Moi l’inonde d’informations vraies ou fausses, impossibles à vérifier mais élaborées sur la base d’indices concordant pour que lui-même soit en adéquation avec son raisonnement paranoïaque et en déduise l’infondé de cette relation. Albertine devenant coupable, le prétexte pour s’en séparer permet de faire cesser ses vicissitudes, ses hésitations, ses questionnements, recouvrir sa liberté et lui laisser le champs libre vers d’autres horizons.

« La prisonnière » est aussi l’occasion pour l’auteur d’enfin révéler la part de fiction et de réalité entourant le narrateur, et la relation intime qui les lie. « Elle retrouvait la parole, elle disait : « Mon » ou « Mon chéri », suivis l’un ou l’autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même prénom qu’à l’auteur de ce livre eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». »

Plus il essaye « d’attraper » Albertine, plus elle lui échappe alors qu’il la voudrait sienne, soumise, « sa prisonnière ». C’est là tout le paradoxe du narrateur car lorsqu’elle serait selon ses désirs, il remarque : « Si les femmes de ce qu’on appelait autrefois les maisons closes, si les cocottes elles-mêmes (à condition que nous sachions qu’elles sont des cocottes) nous attirent si peu, ce n’est pas qu’elles soient moins belles que d’autres, c’est qu’elles sont toutes prêtes, que ce qu’on cherche précisément à atteindre, elles nous l’offrent déjà, c’est qu’elles ne sont pas des conquêtes. » Et plus loin : « On aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d’inaccessible, on n’aime que ce qu’on ne possède pas, et bien vite je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine. »

La musique de Vinteuil est présentée comme une autre madeleine de Proust, élément déclencheur de souvenirs, d’impressions qui se rappellent à nous. « Dans la musique de Vinteuil, il y avait ainsi de ces visions qu’il est impossible d’exprimer et presque défendu de contempler, puisque, quand au moment de s’endormir on reçoit la caresse de leur irréel enchantement, à ce moment même, où la raison nous a déjà abandonnés, les yeux se scellent et, avant d’avoir eu le temps de connaître non seulement l’ineffable mais l’invisible, on s’endort… Ainsi rien ne ressemblait plus qu’une belle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j’avais quelquefois éprouvé dans ma vie, par exemple devant les clochers de Martinville, certains arbres d’une route de Balbec ou plus simplement au début de cet ouvrage, en buvant une certaine tasse de thé. »

On notera dans ce cinquième tome d’ « à la poursuite du temps perdu » que l’auteur écrit deux fois le même passage, en page 165 de la collection blanche de Gallimard et en page 314, où il fait le distinguo entre ce que les gens voient de nous et l’image que nous imaginons leur envoyer. « Nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous « suivons » notre pensée, l’objet invisible aux autres, qui est devant nous. »

Dans « La prisonnière », Marcel Proust démonte avec la précision d’un horloger les rouages de la relation amoureuse, les sentiments passionnés et ses imperfections, son pouvoir destructeur, les errements de la pensée galante mais jamais la gymnastique charnelle du couple, son incarnation physique. Son approche de la relation amoureuse est cérébrale.



« L’amour, c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur. »



Editions Gallimard, 377 pages.

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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Grand cru ! Oublions un instant les accortes piquettes garnissant les devantures de nos libraires, ces « formidables romans, ces fabuleux écrivains » du moment qui ne laissent dans nos mémoires, tous comptes faits, que l'empreinte fugitive d'un agréable moment de lecture, d'une intrigue bien construite, d'un personnage attachant ou d'un contexte larmoyant destiné par l'air du temps à nous faire crier au génie. Qu'en restera-t-il dans notre mémoire d'ici deux ou trois automnes ou d'ici deux ou trois décennies dans les choix des nouveaux lecteurs ? Hum…Alors, pour une fois soyons assez audacieux pour délaisser les vins de pays et déboucher comme un flacon rarissime et hors de prix, ce Goncourt 1919. Goûtons-le et tachons de savoir s'il valait sa distinction et vérifions si l'usure de cent ans ne l'aurait pas madérisé.

Ah ! La note florale est indéniable, elle est dans le titre et court dans tout le texte. Sa dominante est, comme vous préférez, lilas, mauve (la toilette de Mme Swann), violette (comme la princesse de Parme ou les fleurs du même nom au corsage de Mme S) et son parfum épouse les senteurs marines, salines et ensoleillées de l'été, en bord de plage au temps de la prime jeunesse. Sa fraîcheur est celle de ces jeunes filles à l'ombre desquelles il était, il est et il sera toujours bien agréable de se réfugier. Non dépourvues de l'acidité de leur jeunesse qui en fait un de leurs nombreux charmes (et qui permet à un grand vin de bien vieillir), elles ne parviennent cependant pas à surpasser le plaisir puissant et capiteux que distille la magnifique Madame Swann. A tel point qu'on finit par se demander si le scénariste du Lauréat (1968 Anne Bancroft & D. Hoffman) n'aurait pas puisé son inspiration dans les fantasmes non exprimés mais, me semble-t-il bien présents, du jeune Marcel qui, charmé par les Jeunes Filles et abrité sous leur ombre, n'en regardait pas moins vers la superbe cocotte dont l'aura ne manquait pas de faire de l'ombre aux jeunes filles, sa fille Gilberte, comprise.

Le style est souvent déroutant avec des phrases qui sont des paragraphes et des verbes placés à l'allemande en fin de phrase de telle sorte que l'étourdi ou le dilettante dont l'attention n'est pas constante puisse être assez rapidement découragé. La qualité supérieure se mérite mais quel régal. Tour à tour léger, voire futile pour devenir sans crier gare d'une profondeur remarquable, le récit ne cesse de proposer des moments d'anthologie, des phrases sublimes, des descriptions picturales dont l'impressionnisme vous donne envie de foncer à Marmottan, des passages dont l'humour et l'ironie, jamais malveillante, enchantent (le directeur de l'hôtel, Françoise la cuisinière, la propre procrastination de l'auteur), des formules parfois lapidaires (oui, on en trouve aussi), des scènes touchantes, d'autres à la limite du vaudeville (finissez ou je sonne) et certaines qui sont de pures et brillantes scènes de cinéma.

La plupart du temps, le récit touche le lecteur, rappelle des sensations, ressuscite des souvenirs ou des rêves, ravive des regrets et quand ce n'est pas le cas, le texte d'une originalité et d'une élégance sans pareilles suffit à son plaisir, comme lorsqu'il décrit la table vide d'une fin de repas au restaurant avec le talent d'un peintre de nature morte ou lorsqu'il fait un sort à cet Oscar dont il assure :«Car il ne pouvait jamais « rester sans rien faire », quoi qu'il ne fît d'ailleurs jamais rien. »

Mais jamais bien loin, présent en filigrane, le thème principal reprend ses droits et nous rappelle que le Temps Perdu ne se rattrapant jamais, il faut profiter de l'instant :

« Comme sur un plant où les fleurs mûrissent à des époques différentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu'importait ? En ce moment, c'était la saison des fleurs. »



Oui, le grand cru de 1919 a bien vieilli, il est toujours sublime et il faudrait être fou pour ne pas s'essayer à le goûter.

Et pour vous en convaincre, à présent que le nectar m'enivre et juste avant qu'il ne m'égare, osons en extraire un bref passage que vous n'apprécierez que si, alors que la bienséance des moeurs actuelles ne vous autorise en société qu'à lui effleurer les joues, deux fois en une soirée, vous brûlez de tenir la main d'une femme un peu plus, beaucoup plus, que pour une poignée de mains :

« Elle était de ces femmes à qui c'est un si grand plaisir de serrer la main qu'on est reconnaissant à la civilisation d'avoir fait du shake-hand un acte permis entre jeunes gens et jeunes filles qui s'abordent. Si les habitudes arbitraires de la politesse avaient remplacé la poignée de mains par un autre geste, j'eusse tous les jours regardé les mains intangibles d'Albertine avec une curiosité de connaître leur contact aussi ardente qu'était celle de savoir la saveur de ses joues. Mais dans le plaisir de tenir longtemps ses mains entre les miennes, si j'avais été son voisin au furet, je n'envisageais pas que ce plaisir même : que d'aveux, que de déclarations tus jusqu'ici par timidité j'aurais pu confier à certaines pressions de mains… »

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A la recherche du temps perdu, tome 6 : Alb..



Avec le départ impromptu d'Albertine, une nouvelle inconnue vient se rajouter à l'équation amoureuse qui avait accaparé l'esprit du Narrateur durant le tome précédent, et dont la démonstration l'amenait alors à considérer l'accomplissement de notre désir comme étant «peu de chose, puisque dès que nous croyons qu'il ne peut pas l'être, nous y tenons de nouveau, et ne trouvons qu'il ne valait pas la peine de le poursuivre que quand nous sommes bien sûrs de ne le manquer pas». Il était donc vain, déclarait-il, d'espérer pouvoir accéder au bonheur par la simple réalisation de ses désirs, projet aussi «naïf» que celui de vouloir «atteindre l'horizon en marchant devant soi»!



Mais alors que le désir se sustenterait en définitive de ce manque à avoir dont par ailleurs l'art véritable de la séduction consisterait à bien savoir doser, qu'adviendrait-il si, se trouvant subitement en dehors de toute atteinte possible, son objet disparaissait tout simplement, ou mourait?



Dans cette mise à l'épreuve du désir par la réalité, le «manque à avoir» ne pourrait-il risquer de se voir transformer en un torturant «manque à être» ?



Proust et Freud, contemporains, incroyablement proches par de très nombreux aspects, tant au niveau de leurs centres d'intérêt intellectuels ou artistiques, que dans leur exploration révolutionnaire de la psyché profonde, sur le plan littéraire pour l'un, «herméneutique» et scientifique pour l'autre (voir à ce propos l'essai de Jean-Yves Tadié: «Le Lac Inconnu – Entre Proust et Freud»), ne se sont pourtant jamais, de leur vivant, «croisés» -dans le sens plein du mot : n'ont eu aucun type d'échange, ne se sont pas -tout au moins en apparence- lus, ou alors très peu (?), n'ont laissé dans leurs très nombreux écrits aucun commentaire digne de ce nom, aucune référence de l'un à l'autre…!

Cette indifférence royale, strictement réciproque, pourrait paraitre tout de même assez suspecte -n'est-ce pas ? Elle ne peut en effet que «poser question» ; bien plus d'ailleurs que si, par exemple, s'étant peu ou prou rapprochés, ou au moins reconnu leur existence et leurs «recherches» communes, les deux hommes ne se fussent pour une raison ou une autre appréciés, voire eussent désavoué toute parenté, toute intertextualité ou complémentarité entre leurs démarches et leurs oeuvres respectives!!



L'essai freudien consacré plus particulièrement aux mécanismes psychologiques activés par le deuil («Deuil et Mélancolie») et le roman de Proust furent en outre écrits pratiquement au même moment, à un an d'intervalle près. Aucune autre oeuvre de fiction ne paraissait en même temps susceptible d'illustrer aussi parfaitement, aussi précisément et aussi judicieusement qu'Albertine Disparue, les étapes du «travail du deuil» telles que décrites par Freud : depuis le déni initial, suivi du retrait du moi permettant de garder des liens toujours vivants et idéalisés avec la personne disparue, en passant par l'émergence de sentiments contrastés, mouvements successifs et alternés de tristesse et de colère, de faute et de culpabilité, de reproches et de pardon, jusqu'à l'acceptation, à l'avènement d'une certaine forme de résignation, d'un détachement progressif permettant, à terme, l'oubli, et à la libido la possibilité d'investir à nouveau des objets du monde extérieur.



Si le secret de cette indifférence notoire aura probablement disparu complètement avec eux, Freud et Proust restent malgré tout réunis par leur oeuvre commune dans la postérité...



Deuxième volet d'un diptyque indissociable, après La Prisonnière, Albertine Disparue (ou «La Fugitive»), est le prolongement, dernier mouvement sous forme d'adagio vénitien, de l'ode que le Narrateur consacre à sa bien-aimée ; à la fois oraison funèbre et exercice accompli d'auto-observation de la diastole douloureuse d'un coeur anéanti par la souffrance, évidé, cherchant en même temps désespérément à enfermer à jamais en son sein cette essence, aussi rare et précieuse que délicate et volatile, exhalée par un être aimé qu'on vient de perdre irrémédiablement.



Et pourtant -ne pourrons-nous peut-être nous empêcher d'y repenser-, combien de fois depuis la toute première rencontre des amants sur la plage à Balbec, jusqu'à leur dernière peine d'amour purgée ensemble dans la prison dorée de l'appartement familial parisien -avant le baisser du rideau-, n'aurons-nous tout de même entendu le Narrateur affirmer qu'il ne l'aimait pas, Albertine??



Tout compte fait, après avoir refermé ce deuxième volume de la Recherche dédié à un personnage en particulier, à celle qui fut décrite par Proust comme «l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini», celle dont le nom est cité (rassurez-vous, ce n'est pas moi qui l'ai compté !) 2 360 fois tout au long de l'oeuvre, faudrait-il encore des preuves pour nous convaincre qu'en affirmant ne pas aimer Albertine, son Narrateur ne fourvoyait personne d'autre que lui-même? Et après tout, ainsi qu'on le dit parfois en parlant de la «foi véritable», les plus grands amours ne seraient justement ceux-là même qui s'autorisent à douter de leur bien-fondé et de leur réalité?



S'il avait en effet pu songer par moments que vivre sans Albertine (voire même souhaiter qu'elle «disparaisse» d'une fois pour toutes) lui eût possibilité non seulement de s'adonner librement aux errements jouissifs de ses désirs irrésolus, ou à la solitude réclamée par les caprices d'un coeur assurément intermittent, mais aussi de pouvoir échapper aux affres d'une jalousie furieuse, envahissante, addictive -indispensable d'autre part à entretenir son désir même pour sa compagne, l'obligeant à tourner sans issue tel un écureuil dans sa roue!-, le départ, puis l'annonce de la mort accidentelle d'Albertine, le font soudain réaliser qu'au moment même où il arrive enfin à se dégager matériellement d'elle, sa vie et son avenir à lui deviennent «indissolubles d'elle»...





«Pour que la mort d'Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l'eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi. Jamais elle n'y avait été plus vivante.»



Albertine rescapée !



Le voici donc retranché dans sa chambre (Freud nous dirait «dans son moi»), isolé du monde, rideaux tirés au millimètre près, afin que le moindre rayon de soleil ne pût y pénétrer («la libido s'est retirée des objets du monde extérieur», [sic]), effeuillant à longueur de journées un album de souvenirs d'une Albertine aux reflets multiples, sans trêve projetés par le prisme de sa souffrance dans la grande galerie de glaces qui vient de s'ouvrir dans sa mémoire.



«La mémoire d'un moment n'est pas instruite de tout ce qui s'est passé depuis ; ce moment qu'elle a enregistré dure encore, vit encore, et avec lui l'être qui s'y profilait (…) Pour me consoler, ce n'est pas une, c'est d'innombrables Albertine que j'aurais dû oublier. Quand j'étais arrivé à supporter le chagrin d'avoir perdu celle-ci, c'était à recommencer avec une autre, avec cent autres.»



Albertine démultipliée.



La richesse et la profusion des images puisées dans le «répertoire" de la vie avec elle réveillera cependant chez lui toute la complexité aussi de son amour, notamment sa jalousie, qui s'y infiltrant peu à peu, se réactive «rétrospectivement».

Partagé entre la sensation contradictoire de continuer toujours à alimenter les mêmes soupçons, absurdes, s'agissant, n'est-ce pas, «d'une femme qui ne pouvait plus éprouver des plaisirs avec d'autres», mais de réussir, grâce à eux, à obtenir en même temps «le gage de la réalité morale d'une personne inexistante», l'endeuillé se voit propulsé dans un rêve éveillé à la temporalité complexe, instaurant une sorte de «double de l'avenir» dans le passé, pour un couple à nouveau reformé et «indissoluble», dans lequel «à chaque coupable nouvelle s'appariait aussitôt un jaloux lamentable et toujours contemporain».

Un avenir «double» qui aurait pu se prolonger indéfiniment, «aussi long que sa vie», s'imagine-t-il, sans toutefois qu'Albertine puisse, comme lorsqu'elle vivait encore, être là pour « calmer les souffrances qu'il me causerait».



Albertine toujours enchaînée.



Traversant ainsi, «en sens inverse tous les sentiments par lesquels a passé son amour» pour elle -sentiments devenant au fur et à mesure de plus en plus à double-fond ou réversibles («ambivalents», dirait Freud)-, égrenant à l'envi des reproches voués par la force des choses à être inopérants, adressés à quelqu'un qui n'est donc plus là pour les subir, suivis d'auto-récriminations systématiques («les affects négatifs sont alors retournés contre le moi lui-même»[sic]) tous azimuts -«par ma tendresse uniquement égoïste j'avais laissé mourir Albertine comme auparavant j'avais assassiné ma grand-mère »(!)-, l'endeuillé poursuit, selon l'expression consacrée par le grand psychanalyste viennois, son «travail du deuil», le parachevant progressivement grâce à l'intervention de ce que Freud identifierait comme étant le «principe de réalité» si cher au Moi, et dont nous retrouvons ici la trace suite aux révélations d'Andrée confirmant provisoirement les soupçons gomorrhéens du Narrateur et les mensonges faits par Albertine, suite aux résultats des enquêtes diligentées, à Balbec et en Touraine, par les bons soins de Saint-Loup et d'Aimé, et surtout, à la concrétisation, enfin, d'un projet de voyage à Venise avec sa mère.



Tous les «si» ayant décuplé jusque-là sa souffrance ( si elle m'avait tout révélé..., si je l'avais laissée libre de ses mouvements..., si je ne lui avais pas offert le cheval qui a provoqué sa mort accidentelle…) s'estompent peu à peu dans le flux de ses pensées.



Albertine émiettée, sassée, puis oubliée.



«Si bien que cette longue plainte de l'âme qui croit vivre enfermée en elle-même n'est un monologue qu'en apparence, puisque les échos de la réalité la font dévier, et que telle vie est comme un essai psychologique subjectif spontanément poursuivi, mais qui fournit à quelque distance son «action» au roman purement réaliste, d'une autre réalité, d'une autre existence, et duquel à leur tour les péripéties viennent infléchir la courbe et changer la direction de l'essai psychologique».



Qu'est-ce en fin de compte l'amour que l'on avait éprouvé?

Si ce n'était qu'un leurre, un simple mirage, c'était aussi parfois «le seul acte poétique» qu'on avait accompli dans nos existences.



Et l'oubli ?

L'on n'oublie pas quelqu'un qu'on aime parce qu'il meurt, mais parce que «nous mourons avec lui».



C'est peut-être aussi pour cette raison que le «travail du deuil», s'il est réussi, l'on cesse alors de vouloir «ressusciter» les morts, pour ramener soi-même à la vie.



Albertine, non plus enfermée dans un double factice de l'avenir dans le passé, mais délivrée désormais, oubliée mais gardée cependant au fond de lui, hors de toute conscience -«amalgamée à la substance même de son âme»-, le catalogue de ses souvenirs se dématérialisera, ses robes «fortuny» se transsubstantialiseront en un voyage à Venise, la clarté de son teint et de son regard migreront anonymes dans le visage d'autres femmes éveillant le désir du Narrateur, et l'essai psychologique de sa souffrance subjective, devenue immatérielle et universelle, mué enfin en un magnifique roman.



Albertine retrouvée...









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A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sod..

Le narrateur continue d'évoluer dans la bonne société, celle de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie, et observe les moeurs de ses membres tout en se faisant une place. Son éducation sentimentale entamée dans « à l'ombre des jeunes filles en fleur », il s'éprend d'une femme plus mûre dans « le côté de Guermantes » avec la duchesse Oriane de Guermantes. Dans « Sodome et Gomorrhe », il retrouve et entretient une relation amoureuse pleine d'incertitudes avec Albertine qui est beaucoup moins farouche. Il surprend par hasard le baron de Charlus en plein ébats amoureux avec Jupien, le giletier. C'est l'occasion pour l'auteur de développer tous les aspects de cette déviance autour du personnage du baron. Voilà pour Sodome, quant à Gomorrhe, le narrateur soupçonne Albertine d'avoir des relations saphiques avec une ou plusieurs de ses amies, ce qui le rend follement jaloux et ne fait qu'entretenir les réserves qu'il avait quant au mariage envisagé avec celle-ci. Ce quatrième tome est aussi l'occasion pour le narrateur de devenir un incontournable invité des salons de la haute aristocratie du faubourg St Germain ainsi que de celui de Mme Verdurin. Il finit par annoncer à Albertine qu'il rompt leur relation. Dans un ultime sursaut, dernière phrase de « Sodome et Gomorrhe » : « Je me suis trompé, je t'ai trompée de bonne foi hier, j'ai réfléchi toute la nuit. Il faut absolument, et décidons-le tout de suite, parce que je me rends bien compte maintenant, parce que je ne changerai plus, et que je ne pourrais pas vivre sans cela, il faut absolument que j'épouse Albertine. » le suspense est à son comble…

Editions Gallimard, 487 pages.
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Les soixante-quinze feuillets

Ces « soixante-quinze feuillets » ont été découverts au domicile de Bernard de Fallois, rangés dans une chemise cartonnée, répartis en cinq ensembles intitulées par ce dernier « Soirées de Combray », « Le côté de Villebon », « Les Jeunes Filles », « Noms nobles » et « Venise », titres partiellement conservé pour le livre publié. Rédigés de 1907 à 1908, ils constituent un témoignage étonnant de la genèse d’une œuvre : celle de « La recherche ». L’original est maintenant à la BNF, après avoir été pieusement conservé par M. de Fallois.

On retrouve bien sûr la musique, les phrases sans fin, les ratures du travailleur des mots qui écrit vite...

C’est une plongée vivifiante, même pour un non spécialiste.

D’autres manuscrits sont adjoints, études de « Jean Santeuil » ou préface au « Contre Sainte-Beuve ». L’intéressant est dans la compréhension du mystère qui entoure la création et l’approche par tâtonnement qui dévoile le cheminement parfois hasardeux de l’auteur. Difficile de retrouver quelle étude correspond à tel passage, malgré l’intimité qu’entretenait M. de Fallois avec l’œuvre de M. Proust.

J’imagine que les admirateurs de Proust, et aussi de M. de Fallois (je crois en deviner au moins un sur ce site) ne manqueront pas de se procurer ce livre à défaut de l’original.

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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

UN ETE AVEC MARCEL #2



Ahhh le temps perdu. Ces élégantes dames, les bains de mer l'été, les salons mondains. Le temps perdu de Marcel (enfin du narrateur, soyons correcte !)



Dans ce second opus, notre narrateur est adolescent... et comme tout adolescent, il sent en lui monter l'attirance amoureuse vers le sexe opposé.

D'abord Gilberte Swann (qui n'en a rien à kicker). Et cet amour occupera toute la première partie des Jeunes filles en fleurs. On y retrouvera Odette et Swann qui sont mariés maintenant. la seconde partie sera consacrée aux vacances au grand hôtel de Balbec en Normandie (ne cherchez pas, Balbec est une ville fictive), en compagnie de sa grand-mère. Elégantes, bains de mers, hypocrisie en tout genre, bonne société. Marcel nous replonge dans l'ambiance d'époque à un tel point que l'on s'y croirait. Et c'est là qu'apparait Albertine, magnifique Albertine, peu commune, dévergondée,.. ou pas.



Au cas où, je viens de résumer 800 pages en 10 lignes. Niveau intrigue, vous comprendrez par là qu'il ne se passe pas grand chose dans ce roman.

Par contre nous sommes dans un magnifique tableau dont les parties s'éclairent au fil des pages. Description des lieux, des goûts, des caractères tout fait en sorte de vous plonger dans l'histoire non à la place du narrateur mais en spectateur de la fresque qui se joue. Fresque qui nous conte les interactions de vies futiles.

Marcel ne dépeint pas le 19ème siècle, il dépeint son univers à lui, dans sa caste. Les pauvres, ça n'existe pas enfin, non, on ne les voit pas , et les liftier feraient mieux de retourner à la domesticité.

Marcel c'est aussi une langue de peste avec ses collègues écrivains ( et voilà Victor Hugo et Chateaubriand rhabillés pour l'hiver ) mais aussi dans la description des caractères où la fourberie de son monde est détaillée.



Marcel c'est surtout un style inégalé où la beauté des mots subjugue et pallie à l'intérêt limité de l'histoire.



Bien vite, je reprendrai ma madeleine de pélerine pour aller faire un tour à Guermantes admirer le nouveau tableau de Marcel.





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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

UN ETE AVEC MARCEL #1

L'an dernier, je lisais "Clara lit Proust" de Stéphane Carlier. Il parlait tellement bien de cette "Recherche" que je me suis dit que j'allais m'y atteler. Ohhhhh j'avais déjà bien essayé il y a 20 ans, mais j'avais abandonné à Guermantes. Je n'avais pas trop accroché. trop long, trop descriptif, mais c'est qui ces gens....

Et donc, qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là ? On se rachète la Recherche et on la met dans sa PAL. Oui mais, sortir 2400 pages du Galllimard quarto de sa PAL, il faut du courage ! je me suis donc lancé un petit défi. Je passé l'été avec Marcel, et l'hiver avec Emile (oui oui, Zola, j'ai aussi racheté tous les Rougon pour me les taper dans l'ordre --> Courageuse, je suis).

Fin de digression, revenons à Marcel et à Swann !



Marcel, c'est un magicien des mots. Il virevolte allègrement d'une description à l'autre mais emporte avec lui vos cinq sens. D'une phrase musicale perdue que vous croyez reconnaitre, aux éclats de bille de votre enfance, au goût de la madeleine trempée dans le thé, il plante son décor et vous emporte avec lui dans son univers. Tel un Wes Anderson, l'esthétique prime le narratif, même si narratif il y a.

Ce premier volume nous raconte l'enfance dans un milieu grand Bourgeois, partagé entre Combray (en Normandie) et Guermantes (Disneyland !... si si on est beaucoup à être allés à Guermantes !! :D) ou Paris. On y rencontre Tante Léonie avant son décès et Françoise, sa mère et son père et son premier amour. On assiste aussi à la rencontre d'Odette de Crecy et de Swann. Cet Amour de Swann, jaloux maladif.

Dit comme ça on n'y trouve pas son compte ! Oui, je sais.. (mais non, je ne vais pas le résumer!)

Marcel n'a pas son pareil pour dépeindre les travers de cette noblesse et aristocratie. Il lâche subtilement un peu de venin, un brin d'humour, un soupçon de sarcasme et nous voici devant une magnifique fresque où il dépeint son monde, son époque sans concession.

C'est un récit somptueux, d'une élégance rare, d'une beauté absolue.



Je vais me détendre un peu avec un essai sur le conflit israëlo-palestinien, avant de replonger avec délices dans les jeunes filles en fleurs.

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A la recherche du temps perdu, tome 5 : La ..

Marcel analyse un peu moins pour agir un peu plus, relativisant l’intérêt des déductions issues de l’observation :



« Ceux qui apprennent sur la vie d’un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l’explication de choses qui précisément n’ont aucun rapport avec lui ».



Si l’observation persiste , elle est focalisée sur l’objet de son tourment : Albertine l’a rejoint à Paris et demeure chez lui, partageant son quotidien dans des conditions proches de la séquestration. Si elle est libre de ses allées et venues c’est avec une surveillance de tous les instants et des interrogatoires en règle à son retour. Marcel a depuis longtemps décelée en elle une menteuse et qui plus est, peu finaude, s’emmêlant dans ses contradictions. Marcel traque l’existence non d’un amant mais d’une amante.



« Sans me sentir le moins du monde amoureux d’Albertine, sans faire figurer au nombre des plaisirs les moments que nous passions ensemble, j’étais resté préoccupé de l’emploi de son temps ».



On perçoit que seuls les avantages matériels d’une telle situation, elle qui n’a pas le sou soient la seule raison de sa présence, tant Marcel est insupportable. D’autant qu’il dit lui-même souhaite rompre, sans se décider. La jalousie qu’il ressent est une sorte de moteur central dans cette relation ambigüe.



Le baron de Charlus n’est pas en reste au cours de ce tome, de plus en plus imbu de sa personne, sans avouer ses meurs mais avec un certain prosélytisme tout de même. Un de ses cibles, mal choisie car sous-estimée, est Mme Verdurin dont il a tenté de vampiriser une de ses soirées où le musicien Morel était la vedette.



Au delà de des liens tissés avec son entourage, Proust rédige de très belles pages sur les bruits de la rue, ceux qu’il perçoit alors qu’il est encore couché, et met des images personnelles ur l’animation qui lui parvient.



Il développe aussi une analyse autour de la musique, à partir de la sonate de Vinteuil qui bien au delà de la petite phrase sorte de signature du musicien, comme il en existe dans toute oeuvre qu’elle soit littéraire ou artistique, atteint la sensibilité et la mémoire de Marcel.










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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

Le temps s’est écoulé et de nombreuses années sont passées lorsque le narrateur après de longs séjours en province pour se soigner est de retour sur Paris. Il constate que mal grès la guerre, l’effervescence de la vie parisienne est toujours aussi présente et que les salons sont toujours le lieu incontournable où se rassemblent toute la mondanité d’une société bourgeoise et aristocratique du faubourg Saint-Germain. Pour « en être », il faut fréquenter ceux de madame Verdurin et de madame Bontemps. Il est de bon ton à ces occasions, de se montrer patriote et seul monsieur de Charlus affiche sa germanophilie. Ce dernier s’est rendu anonymement propriétaire d’un lupanar qu’il a laissé en gérance à Jupien et où il se livre sans retenue à ses plaisirs coupables et sadomasochistes. Le narrateur se désespère de trouver l’inspiration qui lui fera réaliser son œuvre littéraire. Il se rend à une soirée donnée par le prince de Guermantes où les souvenirs le submergent.

« De même que le jour où j’avais trempé la madeleine dans l’infusion chaude, au sein de l’endroit où je me trouvais, que cet endroit fût, comme ce jour-là, ma chambre de Paris, ou comme aujourd’hui, en ce moment, la bibliothèque du prince de Guermantes, un peu avant, la cour de son hôtel, il y avait eu en moi, irradiant une petite zone autour de moi, une sensation (goût de la madeleine trempée, bruit métallique, sensation du pas) qui était commune à cet endroit où je me trouvais et aussi à un autre endroit (chambre de ma tante Octave, wagon du chemin de fer, baptistère de Saint-Marc). »

Alors qu’il pénètre dans la grande salle, il découvre une noble assistance déguisée. Il pense être à une soirée costumée mais ce n’est que lorsqu’il s’approche des participants qu’il se rend compte que ce n’est qu’un effet pervers du temps qui les a vieilli et considérablement abîmés. Ce qu’il prenait pour travestissements et pastiches ne sont que le produit du travail du temps.

Le jeu de ses réminiscences et de ce passé qui se fait présent est une révélation pour son projet d’écriture.

« … Je m’apercevais que ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n’a pas, dans le sens courant, à l’inventer puisqu’il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur. »

Par la suite, il est victime d’une attaque cérébrale.

« Le temps retrouvé » est le septième et dernier tome de la monumentale œuvre de Marcel Proust « à la recherche du temps perdu » (3000 pages). il est en quelque sorte la synthèse de la réflexion de l’auteur, la partie de son œuvre où il met le plus de lui-même. Ecrit avec la précieuse aide de sa gouvernante et confidente Célestine Albaret qui veillera Proust jusqu’à sa mort, il parait à titre posthume, comme les deux tomes précédents. Marcel Proust n’aura plus l’énergie pour remanier son texte une énième fois, le compléter de ses fameuses paperoles qui rendirent fou Bernard Grasset à l’époque de « Du côté de chez Swann ». Auparavant, Marcel Proust avait présenté son manuscrit à Gallimard, mais André Gide faisant parti du comité éditorial avait refusé de le publier (y voit-on là la crainte de Gide que Proust aurait pu lui faire de l’ombre ?). Ce n’est qu’en 1916 que Gaston Gallimard dépêchera Gide pour qu’il acquière les droits sur l’œuvre de Proust et l’éditera dans son intégralité.

La « recherche du temps perdu », le « temps retrouvé » sont ce recueil de souvenirs qui tapissent le nouvel horizon qui nous fait face alors que nous sommes dos à la mort.

Editions Gallimard, 331 pages.

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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..

UN ETE AVEC MARCEL #3



Bien que la rentrée littéraire avec son lot de livres alléchants pointe le bout de son nez, je continue mon été avec Marcel.

La Recherche, c'est un marathon ! On se demande parfois ce que l'on fait là, mais on tient bon et on aura sa médaille de finisher !



Que dire du troisième opus ? La première chose, c'est que pour moi l'intérêt était assez inégal. Autant je me suis ennuyée sur la première partie, que j'ai adoré la seconde.



Le côté de Guermantes, ca raconte quoi ?



Notre jeune Marcel, franchement béta et niais, vient de déménager et emménage à côté de la demeure de la Duchesse de Guermantes.

Il en tombe en amour comme une jeune fille tombe amoureuse de sa rock star préférée. Il lui prête toutes les qualités morales et intellectuelles et fait de ses pieds et de ses mains pour se la faire présenter et entrer dans son salon. C'est là que Marcel va faire son entrée dans le Monde. Marcel aime les titres, et le bas peuple ne l'intéresse pas, c'est peu dire. pauvre Albertine, pas assez bien née, et qui est tellement bête de ne pas utiliser le bon adjectif...

Dans le grand monde, Marcel augmente ses liens sociaux d'une belle tripotée d'inutiles futiles. On cause et on cause et l'on va chez l'un et chez l'autre, on fait de petites vacheries, on parle sur le dos de l'un l'autre, on astique sa généalogie dans le sens du poil. Tout ce beau monde est tiraillé par la grande affaire d'époque : l'affaire Dreyfus. La plupart sont antidreyfusards.. non pas parce qu'ils connaissent l'histoire, mais parce qu'ils sont franchement antisémites. certains sont Dreyfusards, Zwann et Bloch... normal ils sont juifs. Zola en prend pour son grade. Marcel est langue de pute parfois.



Dans le seconde partie, qui commence par le décès de la grand-mère de Marcel de ce que je peux penser être un AVC (soigné avec des sangsues), Marcel sera moins niais, enfin un peu. Il commence à se rendre compte de la vraie nature hypocrite de la société dans laquelle il erre. Sa belle duchesse de Guermantes, tout sourire et amabilitén ne lèverait pas le mignon petit doigt pour l'aider. Elle n'en a d'ailleurs strictement rien à foutre quand on lui annonce un décès prochain, elle préfère ses souliers rouges. Bien entendu, tant qu'elle est à égratigner les domestiques ou à dénigrer d'autres dames de sa coterie, ça va à Marcel... Mais quand on n'aide pas Saint-Loup, là on ouvre les yeux.



A mon humble avis, un volume un peu plus marrant que les autres sur le dernier quart. je commence à me prendre au jeu et à me poser des questions du niveau "amour, gloire et beauté" du genre, "Est-ce que Charlus va enfin se le faire ?", "Quelle est donc la mystérieuse maladie de Swann ?"



PS : pour les Belges, c'est assez comique de voir la petite gueguerre sur le titre du duché de Brabant :-)

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A la recherche du temps perdu, tome 6 : Alb..

Françoise, la bonne du narrateur, vient de lui apprendre qu’Albertine à fait ses malles et s’est enfuie. Lui qui vivait dans la jalousie obsédante de la soupçonner d’avoir des relations saphiques avec ses plus proches amies, se surprend à découvrir dans quel état de tristesse son absence le plonge et l‘amour que finalement il éprouvait pour elle. Sans réfléchir il lui envoie un télégramme la suppliant de revenir mais il reçoit le même jour la nouvelle de sa mort, scellant définitivement toute possibilité de réconciliation. Quelques heures plus tard, une lettre d’Albertine arrive où elle reconnaît son erreur de l’avoir quitter et le prie de lui pardonner l’inconséquence de son départ et d’accepter qu’elle revînt. Le narrateur est alors plongé dans une réflexion qui lui fait se remémorer tous les souvenirs qu’ils ont eu de communs.

« J’avais rêvé d’être compris, de ne pas être méconnu par elle, croyant que c’était pour le grand bonheur d’être compris, de ne pas être méconnu, alors que tant d’autres eussent mieux pu le faire. On désire être compris parce qu’on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu’on aime. »

Il en arrive à lui pardonner ce pour quoi il l’avait accablée.

« Pourquoi ne m’avait-elle pas dit : « J’ai ces goûts » ? J’aurai cédé, je lui aurait permis de les satisfaire, en ce moment je l’embrasserai encore. »

Pour cela, il interroge Andrée qu’il a installée chez lui. Il demande au maître d’hôtel du Grand hôtel de Balbec d’enquêter et ce dernier lui confirme qu’Albertine a bien séduit à l’époque une blanchisseuse.

Il retrouve chez la duchesse de Guermantes son amie d’enfance Gilberte, qui est devenue Gilberte de Forcheville alors que sa mère s’est remariée à la mort de Swann.

Lorsqu’il rentre de Venise en compagnie de sa mère, le narrateur apprend le mariage de Gilberte avec son ami Robert de Saint-Loup. Elle lui confie que son mari la trompe sans préciser que c’est avec des hommes dont Morel fait partie.

Editions Gallimard, 256 pages.

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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

C'était la chronique que je souhaitais écrire pour célébrer la 300e sur Babelio en hommage à l'un de mes romanciers préférés du 20e siècle, celui qui m'a décidé, dans ma jeunesse, à aller plus loin en littérature, du moins pour l'étudier, voilà qui est fait.

Bien que J'en avais gardé un très bon souvenir de lecture, je ne me décidais jamais à chroniquer La Recherche du Temps Perdu pourtant j'avais des velléités.

C'est un roman que j'ai lu il y a de cela bien longtemps, trop longtemps et cela me faisait peur, j'ai alors sauté sur l'occasion d'une lecture commune proposée au mois de mai et dont le compte rendu sous la forme d'un goûter (thé) final pour juillet par@4bis et d'autres « Babelionautes » très sympathiques pour me replonger dans un des tomes phares de la Recherche.

Nous avons eu des échanges d'impressions sur le roman au fil de la lecture partagée, ce qui l'a rendue encore plus vivante et chaleureuse, plus dynamique aussi et plus sympathique, j'ai fait de belles rencontres lors de cette lecture, cela m'a fait plaisir de faire leur connaissance.

J'espère que nos chroniques se complèteront tant l'oeuvre et l'écriture sont belles et riches (c'est mon avis) mais aussi complexes et que l'on dégustera avec plaisir les petits gâteaux tout en sirotant un thé délicieux sans lever le petit doigt cependant.

J'ai l'impression que Marcel Proust a fait couler et en fera encore, pour un temps, couler beaucoup d'encre.

Dans le roman -A l'ombre des jeunes filles en fleurs- On retrouve le jeune narrateur de du côté de chez Swann, (tome 1 de la Recherche), le présent livre en constitue le second opus, publié en 1919. La même année, il est couronné par le prix Goncourt .



Ce n'est pas une véritable autobiographie comme il y parait au premier abord, pas de pacte, le narrateur s'appelle bien Marcel comme l'écrivain mais tous les noms de personnages de la Recherche ont été modifiés. Lorsque l'on connaît la biographie de l'auteur et les personnages qu'il évoque, bien des choses diffèrent de ce que l'on lit dans la Recherche. Cependant, une grande part de la réalité travestie par la fiction est entrée librement dans l'oeuvre, et il arrive que l'on ne puisse pas distinguer l'un de l'autre tellement le narrateur s'ingénie à brouiller la frontière entre réalité et fiction et à nous promener dans son oeuvre par des subtils procédés d'écriture et de narration.

Eh oui ! C'est une partie de cette Recherche et de ce temps perdu qui se sont (re)déployés sous mes yeux et mes oreilles (lecture audio, merci Sandrine) cet été, un été avec Proust.



Tout d'abord, l'un des éléments du texte qui rend l’œuvre complexe, c'est, d'après mon expérience personnelle de lectrice, l'énonciation ; notamment dans le premier chapitre de la première partie du livre, les incursions libres et incessantes du narrateur, les glissements subtils d'une idée, d'une pensée à l'autre, des liens hors du commun entre les idées et les réalités peuvent rendre la lecture inconfortable et la métaphore impossible, l'image et la pensée difficile à saisir, j'ai bien cru passer à côté de la compréhension du texte et cela dès le début ; je ne savais plus qui disait ou qui pensait quoi, une fois le texte relu et les procédés repérés, le texte est plus lisible.

La difficulté est accrue par la syntaxe propre à l'écrivain, les phrases sont complexes, longues, digressives, non linéaires, arborescentes, l'idée de départ peut être énoncée plusieurs pages après son introduction et après de nombreux apartés, lui retombe sur ses pattes tandis que pour nous ce sont des sauts périlleux.

La lecture de ce type d'écriture demande donc une grande attention pour les lecteurs d'aujourd'hui, la compréhension de cette situation d'énonciation de départ particulière conditionne la compréhension d'une bonne partie du reste de l’œuvre.



Au passage, je ne me souviens pas avoir lu la première partie des Jeunes Filles en fleurs, je n'avais retenu que la seconde partie, c'est curieux.



Cette complexité de l'énonciation, de l'écriture et du style proustien, me semble-t-il, ne fait que refléter la complexité des méandres de l'âme humaine que le narrateur s'amuse à analyser dans les moindres détails, son hypersensibilité et sa lucidité doublées de capacités d'observation des détails hors du commun le lui permettent.

Cela lui permet d'aboutir à une certaine réflexion générale sur la psychologie et les agissements contradictoires de l'être humain en partant des personnages fictifs fortement caractérisés, caricaturaux voire manichéens, souvent, c'est le cas, lorsqu'il dénonce les travers et l'absurdité de certains personnages ; pour n'en citer que quelques-uns, vanité d'une Madame de Villeparisis qui préfère les mondanités à l'art et à la culture, la légèreté d'Odette est agaçante, la laideur de l'écrivain Bergotte contredite par le talent que lui accorde le narrateur dans cet opus nous fait rire et réfléchir , le portrait physique de ce dernier est frappant, on a du mal à se le représenter tant il est décrit de manière satirique et excentrique, c'est aussi la chute de Swann lorsqu'il se marie avec Odette, qualifiée de cocotte par « le boutonné » Monsieur de Norpois, pourtant Swann représentait auparavant pour le narrateur le summum en matière de connaissance d'Art et de culture, les deux domaines de prédilection du narrateur, la lutte des classes est-elle en germe ? le baron de Charlus est excentrique et théâtral et risible, Bloch est vaniteux, toute cette galerie de personnage est délicieusement mise en scène dans le roman.

Mais le narrateur sait aussi placer ses personnages au-dessus de tout, il sait nous les rendre sympathiques et les sublimer, ils sont parfois divins lorsqu'ils les apprécient fortement ; c'est la grand-mère aimante et attentionnée et taquine, Un Saint Loup fin et intelligent, les jeunes filles, belles, élevées au rang de déesses et de statues issues d'oeuvres d'art lorsqu'elles ne sont pas qualifiées de prostituées l'instant d'après, ici, c'est tout l'art de l'écriture antithétique de Proust qui se déploie et rend les personnages mouvants, instables, antithétiques, parfois insaisissables ou même syncrétiques, à l'instar d'un peintre impressionniste, au gré des oublis, de la mémoire, du souvenir déformé par la subjectivité et de la vision défaillantes, des illusions, du travail du Temps.Ll'oubli et le souvenir se juxtaposent.

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C'est ainsi que l'écrivain crée des personnages fortement caractérisés en les rendant inoubliables tant ils sont criants de vérité, il procède souvent par antithèses pour relever le caractère contradictoire des personnages protéiformes, et par là de l'être humain, c'est presque la folie et l'absurde, la vanité qui dominent de nombreux personnages et on en rit parfois, d'autres fois, avec le narrateur, on les apprécie ou les déteste. On n'oublie pas également que nous sommes à l'époque du développement de la psychologie et de la psychanalyse. le réel dont elle ne peut se passer entre dans la fiction, la fiction pointe du doigt le réel. Bien que l'on distingue bien les personnages de papier proustiens bien croqués et tout en antithèses, des objets littéraires en somme.

-A l'ombre des jeunes filles en fleur- est aussi un roman d'initiation du jeune narrateur, initiation à l'écriture avec l'influence de M de Norpois et Bergotte, à l'amour de l'Art, du théâtre, de la peinture, d'ailleurs les jeunes filles comme certains autres personnages, semblent tout droit sortis parfois d'oeuvres d'art analysées, aimées, longuement et finement observées. Leur description physique est très imagée. On les voit comme on verrait un tableau par petites touches impressionnistes, notamment les jeunes filles qui semblent intouchables et irréelles ; au premier abord, elles sont éthérées et forment un groupe indistinct, selon le narrateur pour ne lui apparaître distinctes les unes des autres que bien plus tard, c'est toute la manière du narrateur de voir ainsi les choses, de l'informe sort la bonne forme.

L'initiation à l'amour aussi est fortement présent, bien sûr, dans ce tome à celui des jeunes filles, après la déception et la souffrance avec Gilberte qui se dérobe, une Gilberte interdite, irréelle, c'est tout comme Swann qui souffre auprès d'Odette.

Ah le traitement de l'amour, avec le plaisir et le désir exclusifs, maladifs, obsessionnels, insaisissables, irréels, fantasmés, inaboutis et qui restent à l'état de rêve, de fantôme et de fantasmes, les femmes sont trop fuyantes. On y voit les amours platoniques d'un narrateur timoré, bien trop cérébral, qui touchent les personnages par simples jeux de mains innocents et surtout ratés, qui souffre des affres de la passion amoureuse. On voudrait que les choses se réalisent, se concrétisent comme dans les romans traditionnels mais chez Proust, c'est impossible, du moins pour son personnage principal.

Sur ce plan, le narrateur ne réalise pas ses désirs, c'est une description tragique et frustrante de l'amour impossible pour plusieurs personnages mais principalement le narrateur dans ce tome. C'est la grande loi du désir. C'est l'occasion pour le narrateur de sublimer ses désirs, de les transmuter en rêve, de les vivre de manière imaginaire, la sublimation est aussi pour l'écrivain l'occasion d'alimenter son oeuvre.

C'est comme si ces personnages ne pouvaient pas se rencontrer dans l'écriture surtout, comme s'ils n'existaient pas, ce qui laisse songeur quant au procédé d'écriture. Tout est échec pour le narrateur dans ce domaine, c'est très frustrant pour le lecteur. le réel et l'imaginaire ne se rencontrent jamais, le premier est bien en-dessous du second. Comme si la fiction transcendante, la littérature, l'oeuvre d'Art dépassaient de bien loin la réalité pour le narrateur comme pour l'écrivain. On voit beaucoup de second degré dans ce livre, l'illusion est omniprésente.

L'écriture, quant à elle, regroupe ce qui est dit au-dessus mais elle ne se passe pas de la musicalité et de la poésie proustienne, ce sont des phrases que l'on lit mais que l'on entend aussi, que l'on voit grâce aux descriptions concrètes mais aussi aux métaphores sublimes des lieux, des paysages de Balbec, le voyage en train est très poétique et nous berce, un jeu littéraire et descriptif sur les couleurs, les effets d'ombre et de lumière sont mis en valeur, la poésie des personnages aussi, c'est l'exemple de la rencontre fugace entre le narrateur et la laitière (celle de Vermeer ? qu'il admire beaucoup), notamment dans la deuxième partie du voyage à Balbec aux jeunes filles, en passant par les descriptions des paysages, de la nature et des éléments. On se croirait dans un tableau de maître et c'est avec un grand plaisir qu'on imagine les scènes décrites, c'est l'éveil des sens du lecteur.



L'oeuvre de Proust est aussi une réflexion sur la vie, la condition humaine, les souffrances de l'amour, l'Art, la culture, la Beauté, vus à travers le prisme de la littérature. C'est une oeuvre difficile à saisir parfois et qui mérite de nombreuses relectures. L'oeuvre en elle-même contient un grand pan de la littérature et de la culture françaises du début du 20e siècle, lire Proust c'est un peu comme si on lisait plusieurs oeuvres mais celle-ci reste toutefois unique et peu commune.

L'écriture proustienne est particulière, à part, originale, inimitable.

Je recommande ce genre de lecture à tous ceux qui aiment les réelles oeuvres littéraires et la littérature de l'époque et qui n'ont jamais abordé Proust. Cependant, j'estime que le tome 1 -Du côté de chez Swann- reste plus accessible, plus concret, plus romanesque, Il est préférable de débuter par le premier opus.

























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A la recherche du temps perdu, tome 6 : Alb..

Le titre annonce la couleur. Le départ d’Albertine connu dès la fin du tome précédent est effectif. Et Marcel, bien entendu, brûle de qu’il a adoré autant qu’il adore ce qu’il a brûlé, encore très ambivalent en ce qui concerne ses sentiments vis à vis de la demoiselle, qui fluctuent en fonction de ce qu’il croit devoir imaginer des trahisons amoureuses qu’Albertine lui a fait subir, à force de mensonges mal construits.



Mais ce tome, qui ne manque pas de longs passage introspectifs, offre tout de même pas mal de surprises, de faux départs et de quiproquo, l’auteur semblant s’amuser de bousculer autant son narrateur que son lecteur.



On y reverra des personnages croisés naguère, qui fêteront surface sous de nouvelles identités…Suspens garanti.



Pour se consoler de ces événements malheureux, Marcel part pour Venise en compagnie de sa mère. Très belle évocation de la cité des Doges, que le jeune homme quittera, semble t-il débarrassé de ses fantômes amoureux.



Avant dernier tome de la série, où la complexité du narrateur apparaît dans toute sa splendeur, la maturité du raisonnement contraste la mauvaise foi des émotions.


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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

Le moment que je redoutais tant est enfin arrivé ; ce matin, plusieurs après avoir posé les yeux pour la première sur Le côté de chez Swann, j'ai achevé de lire le septième tome de l'incroyable chef d’œuvre de Marcel Proust. Terminus, tout le monde descend, le voyage est terminé, nous avons retrouvé le temps perdu.

Ainsi, Le temps retrouvé est le tome qui clôture la série de la Recherche. Dans un Paris renversé par la première guerre mondiale, l'auteur y passe en revue tous les personnages que nous avons rencontrés tout au long de notre lecture. Certains, comme le charmant marquis de Saint-Loup, sont morts ; d'autres sont toujours les mêmes ; d'autres encore ont beaucoup changé, ou peut-être est-ce le monde qui a changé. Oriane, la belle duchesse de Guermantes, à cause de ce qu'elle s'est mise à fréquenter des artistes, est devenue une sorte de nouvelle marquise de Villeparisis, et les nouvelles générations ne savent plus qu'elle a longtemps été la femme la plus recherchée de la capitale ; madame Verdurin ("cette insupportable vieille mégère" comme je me suis souvent surprise à la surnommer) a réussi à épouser le prince de Guermantes ; ce qui semble être un AVC a réduit le terrible baron de Charlus à un état quasi-enfantin... En un mot, la guerre et le Temps ont balayé les grands salons parisiens.



Maintenant, à l'heure de vous donner mon avis sur ce tome et sur la Recherche plus globalement, je sens qu'aucun éloge ne suffirait. Je suis jeune encore et, après avoir lu une telle œuvre, je crains fort de m'ennuyer dans mes lectures prochaines, même auprès des plus grands auteurs, comme mon père, qui a fait l'expérience avant moi, me l'a prédit.

Outre l'extrême beauté des phrases, par lesquelles on se laisse aisément bercer, jamais au cours de mes lectures, pourtant déjà nombreuses, je n'avais rencontré de personnages à la psychologie aussi bien développée. Nous sommes bien loin des caractères stéréotypés que l'on rencontre trop souvent dans les romans. Chacun ici a ses qualités, ses défauts et tous évoluent au fil des tomes.

Cette merveilleuse escapade dans les salons de la fin du XIXème siècle m'a souvent fait regretter de n'être pas née 150 ans plus tôt. Comme j'aurais aimé connaitre ce monde-là !

Cher monsieur Proust, je n'ai qu'un seul mot à vous dire : Merci !
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

J’ai fait plusieurs tentatives avant d’arriver à lire ce premier volume.

La première, je l’ai faite trop jeune, à un âge où il est difficile de s’intéresser aux jérémiades d'un enfant qui refuse de se coucher parce qu’il veut un dernier bisou de sa maman. Par contre je ne vois pas en quoi ce serait du nombrilisme, c’est plutôt quelque chose d’assez universel.

La deuxième, bien plus tard, à un âge où le temps que je pouvais consacrer à la lecture s’était réduit à peau de chagrin. Lire un pavé, quel qu’il soit, au rythme d’une cinquantaine de pages par semaine, n’est pas une expérience agréable, ce qui m’a conduit à abandonner peu après le début de la première partie (en fait c’est le salon des Verdurin et les nombreux personnages qui m’ont fait craquer : une semaine plus tard j’étais perdue!). J’avais cependant déjà apprécié le style et compris que j’aimerais probablement (et d’ailleurs acheté tous les volumes).

Cette fois, ce fut la bonne, encore que, au départ j’avais l’intention de lire en 2022 tous les tomes de la Recherche du temps perdu. En janvier, pour je ne sais quelles raisons j’ai décidé de les lire, et de ne lire que ça, durant les mois d’été. En septembre je n’avais toujours pas commencé (les canicules?). Mais j’ai lu, comme jamais ! A croire qu’il me fallait toujours une bonne raison pour lire un autre livre (emprunté et à rendre, une lecture commune programmée, un livre reçu dans le cadre d’une Masse Critique, ...). Tant est si bien que j’en suis arrivée à n’ouvrir le premier tome que juste à temps pour être sûre de finir à temps le challenge Pavé. Il faut reconnaître que ce n’est pas très facile de s’attaquer à un livre qu’on a déjà abandonné une fois.

Et pourtant ça vaut le coup ! La construction du premier tome est curieuse avec au milieu, comme détaché, Un amour de Swann. Toute la première partie est consacrée à Combray, à la nostalgie d’un lieu de vacances de l’enfance du narrateur, perçu, évidemment, comme paradisiaque. C’est plein d’émotions sublimées par une écriture poétique. Certains passages donnent envie d’être lus à voix haute.

Un amour de Swann est un peu à part puisqu’il s’agit d’un épisode de la vie de Swann antérieur à la naissance du narrateur. C’est l’histoire de l’amour de Swann pour Odette de Crécy dont il ne veut pas s’avouer qu’elle n’est ni plus ni moins qu’une femme entretenue, une cocotte. Comme elle fréquente le salon des Verdurin il en fait autant, et c’est l’occasion de pages pleines de pointes d’humour.

La dernière partie, Noms de pays, commence par des réflexions sur ce qu’évoquent des noms de lieu, sur ce qui déclenche l’imagination d’un voyage enchanteur. Puis le narrateur évoque ses premiers amours d’enfant, à Paris, pour Gilberte Swann. Des années plus tard il revient dans les mêmes lieux (Champs Elysées, Bois de Boulogne) à la recherche des mêmes sensations pour conclure que les lieux ne sont pas en eux-mêmes suffisants : « le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années. » 

Certes les phrases de Proust sont longues et il faut parfois revenir en arrière pour retrouver le sens. Mais la syntaxe est correcte et le lecteur est assuré de s’y retrouver après un effort. Ce qui m’énerve ce sont les auteurs qui, avec des phrases longues, mais parfois aussi, courtes, obligent le lecteur à revenir en arrière pour finalement n’être pas plus avancé : impossible de comprendre avec certitude, voire de comprendre tout court. Parfois, et cela oblige le lecteur à se creuser la cervelle, au cas où, l’ambiguïté syntaxique est voulue et fait sens, ce qui fait que si c’est mal écrit on hésite : suis-je bête, ou est-ce que c’est l’auteur (mais aussi avec lui tous ceux qui ont permis à ce livre d’exister en de multiples exemplaires). Avec Proust pas de problème, c’est bien écrit, aucune phrase n’a ni queue ni tête, aussi longue soit-elle. Et certaines sont sublimes, de vraies gourmandises.

Il est aussi reproché à Proust un niveau de langue très (trop) relevé. Mais si sa syntaxe est riche, si son usage parfait des subtilités de la conjugaison est parfois (rarement) surprenant pour un lecteur actuel, j’ai aussi remarqué que dans ce premier volume je n’ai rencontré qu’un seul mot inconnu de moi (dodonéen), et encore, c’était à l’avant-dernière page, ce qui m’a permis de poursuivre ma lecture jusqu’au bout avant d’en chercher la signification.

J’ai apprécié finalement Du côté de chez Swann bien au chaud et je crois que c’est comme ça (pas forcément au chaud, mais dans des conditions douillettes de tranquillité et de détente) qu’il faut le lire pour pouvoir l’apprécier, presque le déguster.
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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

Jamais, en avril 2020, lors de ce fameux 1er confinement, je n'aurais imaginé qu'en commençant la lecture du 1er tome de La recherche du Temps perdu, je me retrouverais un peu plus d'un an après, à poser sur ma table, lecture terminée, le dernier tome de cet ouvrage !!!



Jamais je n'aurais imaginé la puissance des émotions, la fascination, le bouleversement que cette œuvre allait me procurer.



Je me suis laissé happée, envoutée littéralement par cette merveilleuse écriture, ce style tellement particulier, ce long voyage au cœur de personnages attachants, même si certains ont tout pour être méprisables.



J'ai passé plus d'un an à leur cotés, à les suivre, à les voir vivre, évoluer, aimer, tromper, et vieillir .



J'ai suivi pendant tout ce temps le ressenti du narrateur : ses questions, ses impressions, ses obsessions, ses convictions, ses réflexions, son intimité profonde...qui m'ont renvoyée à mes propres questionnements.



Ce dernier tome, le Temps retrouvé, est absolument magistral et particulièrement émouvant.



On découvre Paris au temps de la guerre, les comportements des uns et des autres, la triste réalité de la terrible vieillesse de tout ce petit monde, en particulier celle de Charlus, plus pitoyable et fragile que jamais ... et surtout on a enfin La révélation : Proust se met à nu et nous embarque dans les méandres de son cerveau, pour nous expliquer le cheminement qui va l'amener à écrire ce chef d'œuvre ..

Ces pages sont justes sublimes, époustouflantes .



Je crains d'être devenue addict ...

Il va falloir que j'envisage un doux sevrage ... mais que cela va être dur !



En tout cas je recommande vraiment à ceux qui n'ont encore jamais osé le faire , de se plonger, à leur rythme, en faisant comme je l'ai fait, une pause entre chaque tome, dans ce monument de la littérature, dans... cette cathédrale !





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A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sod..

Avec ce quatrième tome, je crois avoir trouvé la clé qui m’a ouvert en grand l’âme et l’esprit de Marcel Proust dans la Recherche. Non pas que mon intelligence (de lectrice profane) soit restée hermétique aux premiers tomes sinon j’aurais abandonné depuis longtemps, ce qui ne m’a jamais effleurée, mais j’ai pris humblement conscience que je m’étais habituée à l’écrivain, à son style, et que c’était de manière fluide que je le lisais.



Je mets donc Sodome et Gomorrhe sur la première place de mon podium de la Recherche, pour le moment en tout cas.

Une certitude désormais, je ne m’en tiendrais pas à une seule lecture de cette œuvre magistrale, tant je me réjouis déjà de l’aborder par un autre prisme, tout en ayant le regard de la première fois (si je ne suis pas très claire, mais je me comprends, j’en suis désolée car je ne sais comment l’expliquer autrement).



Je ne vais pas m’étendre sur ce qui se passe dans ce tome très innovant pour l’époque, où Marcel Proust continue sa promenade dans le temps et dans les méandres de la nature humaine, son enveloppe extérieure et son intériorité, axant ses réflexions sur le thème central de ce tome, l’homosexualité féminine et masculine, mais pas que bien évidemment.



Je voudrais juste mettre en avant le passage qui m’a le plus marquée par sa beauté et le déchirement qu’il a engendré : celui où le narrateur se rend compte tout à coup que sa grand-mère est morte (cela fait plus d’un an) : sa perte, les jamais plus le frappent de plein fouet à l’instant où il délasse ses bottines dans sa chambre du Grand Hôtel de Balbec où il a séjourné avec elle pendant son adolescence, acte anodin en soi, mais qui lui apporte une prise de conscience dont la soudaineté lui est très douloureuse. Ces pages me marqueront à tout jamais. Il s’en épanche d’une manière tellement touchante que j’en ai eu les larmes aux yeux, j’ai voulu relire ce passage immédiatement, pour m’imprégner totalement de sa peine.



Je me suis régalée de cette somptueuse lecture, de cette comédie humaine qui regorge d’anecdotes comiques ou touchantes. Et, les longs passages introspectifs sont d’un style et d’un contenu absolument merveilleux.



Une très belle lecture dont je ressors heureuse, et pour votre plaisir j’espère, je poste deux citations qui m’ont bien amusée. Aaah, Marcel Proust, quel humour !



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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

« À l'ombre des jeunes filles en fleurs », deuxième volet de la célèbre oeuvre romanesque de Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu ».



Après avoir essuyé plusieurs échecs lors de la première étape de la recherche, « du côté de chez Swann », j'avais fini par me faire accompagner par deux belles voix, celles d'André Dussollier et de Lambert Wilson. Je ne le regrette pas car cette lecture avait été un superbe moment de lecture.

Alors, pour cette deuxième étape de montagne, au risque de me perdre à nouveau, j'ai choisi de ne pas partir toute seule à l'aventure : c'est en cordée avec mes ami.es babelionautes (que je remercie) et la très belle voix de Lambert Wilson que j'ai gravi cette montagne.



Cette lecture a été longue, presque deux mois. Je suis arrivée bonne dernière, mais mon objectif est atteint : je n'ai pas flanché, j'ai bouclé cette épreuve sans rien lâcher, et surtout, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture.

J'ai pris le temps de revenir sur de nombreux passages en alternant audio et livre, et cette relecture n'a pas été inutile, loin de là : cela m'a permis de mieux comprendre l'enchaînement des idées, leurs interconnexions, leurs sous-entendus.



*

Dans ce roman, le narrateur, jeune homme délicat et introspectif, poursuit sa quête du temps, luttant contre l'oubli dans une course contre le temps qui s'enfuit, une course qui l'amène à saisir les pensées les plus justes dans l'instant.

De Paris au bord de mer de Balbec en Normandie, il poursuit son exploration des souvenirs, des sentiments, des émotions qui ont marqué sa jeunesse, nourris de rêveries romantiques, de fantasmes, de désillusions.



Au gré des rencontres, des conversations, des promenades, il décrit avec minutie et habileté tous les petits détails nostalgiques de ces jours lointains. Et ces petits riens prennent une place capitale et essentielle dans les souvenirs du jeune homme.

En parcourant ainsi son passé, il explore les thèmes de l'amour et de la jalousie, de la fuite du temps et de la fugacité des êtres, du bonheur et de la mémoire, de l'art et de la recherche de la beauté. C'est aussi l'occasion pour lui de réfléchir sur sa propre identité, sur sa relation avec les autres et sur la façon dont les souvenirs et le temps façonnent sa perception des autres.

A travers la transparence de ses pensées, on perçoit un jeune homme maladif, naturellement triste malgré sa quête du bonheur et de l'amour.



« Et c'est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l'existence, qu'approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu'elles sont sans mystère et sans beauté ; c'est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n'est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi – comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n'était pas grand'chose – pour nous résigner à la mort. »



*

On retrouve les personnages du premier volume auxquels viennent s'enrichir de nouveaux personnages : Swann ; Berma, la célèbre actrice admirée par l'écrivain à succès Bergotte ; le baron de Charlus ; le docteur Cottard ; M. Norpois, l'ambassadeur ; Robert de Saint-Loup ; le peintre Elstir, …

Le narrateur jette un regard franc et spontané sur son entourage, et la perception qu'il en a, montre combien l'estime et la réputation fluctuent au gré des rencontres et des relations que chacun entretient. A ses observations, s'entrelacent ainsi introspections psychologiques, réflexions sociales et philosophiques.

Sous son regard perçant et pénétrant, Marcel Proust dessine des portraits savoureux et jubilatoires de ce petit monde de nantis où tout n'est qu'apparence, flatterie, vanité, hypocrisie et médisances. Il y a souvent un humour ironique et mordant qui prête à sourire.



J'ai adoré tous ces petits potins où percent la médiocrité des idées, le maniérisme excessif des gens dits bien-pensants, sûrs de leur supériorité et de leur intelligence.

J'ai aussi aimé la relation du narrateur avec sa grand-mère, sans aucun doute la plus sincère, le narrateur lui vouant une tendresse et un attachement tout particuliers.



*

Le jeune homme, amoureux des femmes, à moins qu'il ne soit un grand amoureux de l'amour, est comme un papillon, attiré par une multitude de fleurs, butinant de l'une à l'autre, et ne se fixant sur aucune.



« Car il me semblait que je ne l'aurais vraiment possédée que là, quand j'aurais traversé ces lieux qui l'enveloppaient de tant de souvenirs – voile que mon désir voulait arracher et de ceux que la nature interpose entre la femme et quelques êtres (dans la même intention qui lui fait, pour tous, mettre l'acte de la reproduction entre eux et le plus vif plaisir, et pour les insectes, placer devant le nectar le pollen qu'ils doivent emporter) afin que trompés par l'illusion de la posséder ainsi plus entière ils soient forcés de s'emparer d'abord des paysages au milieu desquels elle vit et qui, plus utiles pour leur imagination que le plaisir sensuel, n'eussent pas suffi pourtant, sans lui, à les attirer. »



Chacune est une beauté en soi, mais son coeur animé par la passion et le désir cherche un point d'ancrage qu'il ne trouve pas. Alors ses yeux énamourés et gourmands cabotent de Gilberte à Odette, d'Albertine à Gisèle, de la jeune paysanne à la belle pêcheuse, … dans une étourdissante ronde florale où toutes les jeunes filles finissent pas se confondre.



« … je m'étais rendu mieux compte depuis qu'en étant amoureux d'une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme ; que par conséquent l'important n'est pas la valeur de la femme mais la profondeur de l'état ; et que les émotions qu'une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-même, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne ferait le plaisir que nous donne la conversation d'un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses oeuvres. »



*

Comment, en évoquant « À la recherche du temps perdu », ne pas parler de l'écriture de Marcel Proust, de son style unique, inimitable ? de cette sensation de vertige, d'étourdissement ahurissant devant ses phrases interminables ? de la profondeur, de la justesse et de la sensibilité des émotions? de la richesse de sens, de l'évolution dans la perception des personnages ?



La plume de l'auteur est délicate, poétique, illuminée d'une douce raillerie pour sonder la nature humaine et ses tourments. Il y a une recherche très certaine du mot le plus juste, de l'image la plus fidèle, de l'émotion la plus sincère, de la sensation la plus vraie. Marcel Proust a une écriture très sensorielle, il n'hésite pas à distiller des sensations olfactives, visuelles, auditives pour enrichir son propos.

Au fil de la lecture audio, j'ai également pris conscience d'une musicalité, d'un rythme, qui rend la lecture plus facile.



*

Pour conclure, « À l'ombre des jeunes filles en fleurs » est une expérience de lecture mémorable, un roman impressionnant qui se lit et se relit. Il est si dense et si complexe que chaque relecture apporte une nouvelle nuance, un nouvel éclat à cette oeuvre.

Je vais maintenant me préparer, comme une athlète de haut niveau, au tome 3 de la recherche, « le Côté de Guermantes » et cette fois-ci, je partirai pour un trek solitaire, sans l'appui de l'audio.
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L'Indifférent

L’indifférent est une courte nouvelle que Marcel Proust a écrite dans ses jeunes années. On retrouve ses thèmes de prédilection comme une description de la vie bourgeoise du tournant du siècle dernier (opéra, soirées mondaines, etc.) et un amour quasi-impossible. Dans tous les cas, un amour reconnu trop tard, de part et d’autre. Dans le genre Swan et Odette. Mais je vais trop loin, c’était bien avant À la recherche du temps perdu. Peut-être était-ce un embryon? Dans tous les cas, on est loin du style qui a fait la renommée de l’écrivain français. Pas encore ces longues phrases interminables qu’on a appris à apprécier, pas encore ces descriptions exhaustives et précieuses, pas encore ses analyses psychologiques pénétrantes. Seulement une tentative « imbécile », se jugeait-il trop sévèrement, peut-être maladroite, assurément trop brève. Madeleine, une veuve de la haute société, reconnaît trop tard son amour pour Lepré, lequel semble indifférent. Quand l’intérêt de ce dernier tourne vers la dame – enfin! –, c’est celle-ci qui n’est plus disponible. Sans doute un peu simple et simpliste dans son développement, voilà pourquoi Proust a cherché à la faire disparaître. Mais bon, regardons-la comme le bloc de marbre brut duquel les sculpteurs arrivent à créer un chef d’œuvre.
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