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4.35/5 (sur 61 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Lyon , le 13/12/1933
Biographie :

Marcelin Pleynet est un poète, romancier, critique d'art et essayiste français.

Il a publié un grand nombre de volumes de poésie, de multiples essais sur l'art et la littérature, quatre romans et huit volumes de son Journal littéraire.

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Édouard Manet (1832-1883) : Nuits magnétiques par Jean Daive (1983 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 8 juin 1983. Peinture : Édouard Manet, "Autoportrait à la palette", 1879. Par Jean Daive. Réalisation Pamela Doussaud. Avec Philippe Lacoue-Labarthe (critique, philosophe, écrivain), Dominique Fourcade (écrivain), Marcelin Pleynet (écrivain, critique d'art), Jean-Pierre Bertrand (artiste peintre), Joerg Ortner (graveur, peintre), Jean-Michel Alberola (artiste), Constantin Byzantios (peintre), Isabelle Monod-Fontaine (conservatrice au musée Georges Pompidou) et Françoise Cachin (conservatrice au musée d'Orsay). Lectures de Jean Daive. Édouard Manet, né le 23 janvier 1832 à Paris et mort le 30 avril 1883 dans la même ville, est un peintre et graveur français majeur de la fin du XIXe siècle. Précurseur de la peinture moderne qu'il affranchit de l'académisme, Édouard Manet est à tort considéré comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel qui n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre : sujets espagnols notamment d'après Vélasquez et odalisques d'après Le Titien. Il refuse de suivre des études de droit et il échoue à la carrière d'officier de marine militaire. Le jeune Manet entre en 1850 à l'atelier du peintre Thomas Couture où il effectue sa formation de peintre, le quittant en 1856. En 1860, il présente ses premières toiles, parmi lesquelles le "Portrait de M. et Mme Auguste Manet". Ses tableaux suivants, "Lola de Valence", "La Femme veuve", "Combat de taureau", "Le Déjeuner sur l'herbe" ou "Olympia", font scandale. Manet est rejeté des expositions officielles, et joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante ». Il y fréquente des artistes qui l'admirent comme Henri Fantin-Latour ou Edgar Degas et des hommes de lettres comme le poète Charles Baudelaire ou le romancier Émile Zola dont il peint un portrait : "Portrait d'Émile Zola". Zola a pris activement la défense du peintre au moment où la presse et les critiques s'acharnaient sur "Olympia". À cette époque, il peint "Le Joueur de fifre" (1866), le sujet historique de "L'Exécution de Maximilien" (1867) inspiré de la gravure de Francisco de Goya. Son œuvre comprend des marines comme "Clair de lune sur le port de Boulogne" (1869) ou des courses : "Les Courses à Longchamp" en 1864 qui valent au peintre un début de reconnaissance. Après la guerre franco-allemande de 1870 à laquelle il participe, Manet soutient les impressionnistes parmi lesquels il a des amis proches comme Claude Monet, Auguste Renoir ou Berthe Morisot qui devient sa belle-sœur et dont sera remarqué le célèbre portrait, parmi ceux qu'il fera d'elle, "Berthe Morisot au bouquet de violettes" (1872). À leur contact, il délaisse en partie la peinture d'atelier pour la peinture en plein air à Argenteuil et Gennevilliers, où il possède une maison. Sa palette s'éclaircit comme en témoigne "Argenteuil" de 1874. Il conserve cependant son approche personnelle faite de composition soignée et soucieuse du réel, et continue à peindre de nombreux sujets, en particulier des lieux de loisirs comme "Au Café" (1878), "La Serveuse de Bocks" (1879) et sa dernière grande toile, "Un bar aux Folies Bergère" (1881-1882), mais aussi le monde des humbles avec "Paveurs de la Rue Mosnier" ou des autoportraits ("Autoportrait à la palette", 1879). Manet parvient à donner des lettres de noblesse aux natures mortes, genre qui occupait jusque-là dans la peinture une place décorative, secondaire. Vers la fin de sa vie (1880-1883) il s'attache à représenter fleurs, fruits et légumes en leur appliquant des accords de couleur dissonants, à l'époque où la couleur pure mourait, ce qu'André Malraux est un des premiers à souligner dans "Les Voix du silence". Le plus représentatif de cette évolution est "L'Asperge" qui témoigne de sa faculté à dépasser toutes les conventions. Manet multiplie aussi les portraits de femmes ("Nana", "La Blonde aux seins nus", "Berthe Morisot") ou d'hommes qui font partie de son entourage (Stéphane Mallarmé, Théodore Duret, Georges Clemenceau, Marcellin Desboutin, Émile Zola, Henri Rochefort). Sources : France Culture et Wikipédia

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Marcelin Pleynet
La beauté


L'avion qui vole, me semble-t-il, exceptionnellement bas, vient de passer au-dessus des Pyrénées. Je suis, comme chaque fois que je fais ce voyage, stupéfait par la grandiose beauté du paysage. Qui la dira ? Qui la décrira jamais ? Nous traversons ces montagnes qui coupent nos deux horizons en moins de quinze minutes. Rien n'est comparable à la splendeur de ce déroulement… aucune œuvre humaine ne peut rivaliser avec ce chef-d'œuvre naturel… Il y faut bien entendu l'avion, mais comme la misère et la tristesse de cet appareil, comme ses miraculeuses prouesses s'oublient vite en présence de ce monde vivant, fini et infini, de formes et de couleurs que magnifient les quatre éléments.
À l'altitude où nous sommes, les forêts qui montent à l'assaut de la montagne ne sont que de vastes manteaux sombres posés sur les épaules de lourds géants assoupis dans la blancheur neigeuse des cimes, et dont les membres étendus, dispersés par un sommeil qui n'a pas d'âge, se drapent plus bas de la délicate transparence perlée du brouillard. Sur l'ocre brun de leurs flancs, découpés d'une suite infinie de ravins et de falaises, sinue le fil clair des torrents et des rivières dont les lignes bleues aboutissent à des lacs grands comme des points d'exclamation, et où plonge notre ciel… Tout cela dans la mouvance désormais figée d'un monde, de dessins et de volumes, refermé sur la beauté d'une immensité sans partage…


Extrait du journal de l'année 1981, Le jour et l'heure, coll. « POL », Hachette, 1989.
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Marcelin Pleynet
Une question est une réponse

1. Des points de vue stylistique et thématique, quelles traces les écrivains des années 80 laisseront-ils dans l'histoire contemporaine des Lettres françaises ?
Je retiendrai d'abord le mouvement spontané qui semble vous entraîner à ne penser qu'en termes de décennie : « les années 80, les années 40, les années 60, etc. » Est-ce bien vous qui pensez ainsi ? N'est-ce pas là une forme convenue de traiter actuellement de questions historiques d'une tout autre envergure ? A les fragmenter en décennies elles perdent toute réalité. Ainsi pour ce que vous dites « les écrivains des années 80 », faut-il y compter les jeunes gens nés en 1960 et les hommes nés en 1920 ? Ici comme toujours la généralité exclut l'intelligence de la singularité. Pour en rester aux généralités, je dirai que les écrivains (les très rares hommes qui méritent ce nom) ne laissent jamais dans « l'histoire des lettres » le souvenir qu'ils méritent. Et c'est pour cela même que leurs œuvres se perpétuent.

2. Quels thèmes de prédilection dégageriez-vous de la littérature française actuelle ? Ce palmarès est-il appelé à évoluer rapidement ? Dans quel sens ?
Mêmes réflexions en ce qui concerne votre seconde question. Ce qui constitue la vie, l'expérience libre et vive de la littérature, de la parole et de l'écrit, ne saurait en aucun cas se confondre avec une analyse thématique. Sauf à se penser dans l'ordre d'une disposition communautaire établie sur quelques lieux communs assimilant dans l'ordre convenu d'une médiocrité propre à un groupe social déterminé, ce qui est par fonction même inassimilable et incomparable. Permettez-moi de penser que « la littérature française actuelle » comme la littérature en général n'existe pas. Je lis des œuvres d'art, des langues appartenant à tel ou tel auteur. Je ne lis pas « de la littérature ». Et des œuvres récemment publiées qui semblent témoigner de l'autonomie et l'indépendance d'une langue singulière (elles sont comme toujours très rares) je crois pouvoir affirmer qu'aucune n'est pensable dans le cadre d'une généralité « littéraire » ou autre.

3. Quant aux grandes classes formelles, roman, poésie, essai, quel proche avenir concevez-vous pour chacune d'elles ?
Roman, poésie, essai, tout va mal, tout va bien, comme toujours. C'est pour vivre au présent et faire l'expérience du présent que j'ai quelque chance de rester, si je puis dire, historiquement présent. A me projeter dans l'avenir je ne suis nulle part, et bien entendu je peux dire n'importe quoi puisque je ne dis rien.

4. Quelles sont, selon vous, les influences prépondérantes (auteurs français ou étrangers, courants d'idée, modes, objets, formes d'arts) qui marqueront de leur sceau la littérature française toute prochaine ?
En art, la notion « d'influence » n'existe que pour les tout jeunes gens... « influençables ». En art, un écrivain, un tempérament, dialogue avec un certain nombre d'œuvres qui ne sont qu'à lui et auxquelles il a l'ambition de s'ajouter. En art, l'expérience d'une œuvre est aussi singulière que l'œuvre elle-même. La notion d'« influence » est une notion « communautaire » commune. Alors, comme toujours, à chacun selon son goût et son désir, et bonne chance.

5. Peut-on pressentir de grands « retours » de genres ou de formes littéraires classiques ou éprouvés par le passé (exemple : la littérature engagée des années 40) ? Si oui, lesquels ? Ces retours seraient-ils imputables à une forme de nostalgie ?
Le « retour » dans cette perspective est toujours nostalgique, hanté par la mort. Là encore, bonne chance. Pour moi, Homère est tout aussi contemporain que Villon, Montaigne, La Rochefoucault, Madame de La Fayette, Pascal, Bossuet, Saint-Simon, Chateaubriand, Baudelaire, Stendhal, Mallarmé, Proust, Céline, Ponge...

6. Le principe de nouveauté, ou d'originalité, est-il encore valide en littérature ? Si oui, quel(s) en serai(en)t le(s) champ(s) d'application privilégiées) ?
Et en ce sens le principe de nouveauté et d'originalité reste en tout point actuel. Si l'on s'entend sur les mots bien entendu. Ce qui n'est pas évident. En ce sens le champ d'application du principe de nouveauté et d'originalité est infini. A vous de voir.

7. Peut-on identifier actuellement un mouvement littéraire particulier ? L'écrivain éprouve-t-il le besoin de lui donner un nom ? - Que pensez-vous du sort fait à la désignation de « postmodernité » ? - Existe-t-il une accélération de la succession des mouvements littéraires ?
Les mouvements littéraires, les groupes, les écoles, n'ont d'autre fonction que d'aménagement social. C'est d'une tristesse ! Mais il faut souvent en passer par là pour échapper à des formes de contraintes et de contrôles plus généraux, c'est-à-dire plus étroits. Les mouvements littéraires, les écoles, les groupes sont de plus ou moins malheureux malentendus. Pour un écrivain qui s'y est trouvé forcé, c'est une poisse dont il a toujours de grandes difficultés à se dégager. Ce que vous dites la « postmodernité » est une invention de critique (et de philosophe), une invention de garde chiourme ou de portier ayant pour fonction de gérer la parole et l'écrit au nom des formes normatives de la société du spectacle. La notion de « postmodernité » a d'abord pour fonction, comme son nom l'indique, d'évacuer les questions de plus en plus pressantes que pose l'histoire d'une éventuelle « modernité » (derrière laquelle se profile l'ombre du fascisme - passé et toujours présent... avec ses cadavres qui continuent à pourrir tranquillement dans les placards politiques). De façon diversifiée, un certain nombre d'hommes de ma génération se sont employés à mettre en évidence les questions et les pourrissements propres à l'aventure d'une soi-disant « modernité ». La « postmodernité » a d'abord pour fonction d'évacuer ce que les questions sur la « modernité » réintroduisaient d'intelligence dans notre continuité historique.

8. Au terme de ce XXe siècle qui se caractérise par la recherche de nouvelles techniques littéraires, l'innovation en ce domaine peut-elle encore promettre ? Le cas échéant, pensez-vous à une orientation particulière de leur évolution ?
Tout est toujours à tout moment possible. Encore faut-il qu'il existe un écrivain pour le réaliser. A vous, à moi, au premier venu et au dernier venu... bonne chance. Les formes et techniques littéraires sont à prendre « littéralement et dans tous les sens ».

9. Plus matériellement, quel est l'impact des technologies nouvelles en matière de supports d'écriture sur la création littéraire ? Celle-ci s'en trouve-t-elle modifiée ? - Y aura-t-il toujours des livres ?
Qui peut répondre à de semblables généralités ? Ce n'est pas le support qui fait « l'écriture » mais l'action complexe des inégalités sexuelles sur les formes de mémorisation et de plus ou moins libre activité de la pensée.
Il y a toujours beaucoup de livres autour de moi. Merci.

10. Quelle est la place que l'écrivain des années 90 serait appelé à occuper au sein de notre société ? Comment va-t-il la gérer ? Quelles sont ses ambitions pour le troisième millénaire ? Quelles sont ses chances ? A quels risques s'expose-t-il ?
Cette dixième question me semble, permettez-moi de vous le dire, très indicative de ce qui programme toutes les autres. L'écrivain n'a jamais de place au « sein de la société » quelle que soit cette société. Et ce qu'il a de mieux à faire (l'importance du discours rhétorique dans la littérature française du XVIIe siècle le prouverait s'il était besoin) c'est de gérer cette absence de place. Je ne pense pas qu'un écrivain ait des ambitions autres que de se réaliser dans ce qu'il écrit toujours au présent. Pour moi, ce ne sont pas les millénaires qui datent les œuvres, ce sont les œuvres qui marquent les millénaires. Que pensait-on de l'Iliade et de l'Odyssée au premier millénaire ? Qu'en pensez-vous aujourd'hui ? Mes chances et mes risques ne ressemblent à aucun autre, parce que ce sont les miens. Alors toutes les chances et tous les risques.

11. Pour vous, et hormis vous-même, quels écrivains donneront à cette décennie ses meilleurs textes ?
Entre « le millénaire » et la « décennie », vous entendez bien que l'expérience d'un homme est considérée soit dans une confuse dissolution, soit plus ou moins médiocrement contrainte. Les écrivains qui se définissent en fonction d'une décennie ne m'intéressent pas. Il faudrait poser cette question à un journaliste littéraire des chaînes de télévision. Je veux dire à un spécialiste du spectacle littéraire.

12. Quant aux vôtres d'ici l'an 2000, pourriez-vous en dresser dès à présent un catalogue idéal ou vraisemblable ? - Plus globalement, quel enjeu donnez-vous ce jour-ci à votre œuvre ?
Quant aux enjeux de mon œuvre, ils restent ce qu'ils furent en vérité : écrire la vérité qui est la meilleure parce que c'est la mienne.



Cf. Revue "Ecritures", Liège / Bruxelles, automne 1991.
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Marcelin Pleynet
Le Baigneur aux bras écartés

Philippe Sollers : Si vous lisez les livres sur Cézanne, vous verrez que, en général, on lui prête une culture littéraire - qu'il avait - et qui est toujours obsédée par ses contemporains, c'est-à-dire Zola, ou ce qu'il aurait lu, c'est-à-dire Baudelaire, etc. Et moi je crois que Cézanne, qui n'a pas lu Une saison en enfer ou les Illuminations (encore moins), est exactement contemporain de ce que Rimbaud est en train de faire avec le langage. Comme je pense qu'il y a les rapports les plus étroits entre la peinture et la poésie (ou le langage), je crois que c'était intéressant de montrer qu'une révolution s'était opérée au détour de la Commune de Paris, comme par hasard, et que brusquement un certain nombre d'écrivains avaient commencé à traiter le langage d'une autre façon, et les peintres aussi. Donc, comment parler un Cézanne, dans quelle langue ça se parle ? Qu'est-ce qu'il est en train de découvrir avec cette histoire de couleurs, etc. ? Je crois que les Illuminations de Rimbaud s'imposaient, du moins c'est ainsi que je l'ai senti. […]
Ce qui m'intéresserait, c'est que Marcelin Pleynet, qui est avant tout un poète - si on ose employer encore ce mot, dans la misère générale de la poésie, sa dégradation systématique en petite névrose marchande et à peine marchande. Ce qui m'intéresserait, donc, c'est de savoir ce qu'il pense - puisque ut pictura poesis, la peinture et la poésie, c'est vraiment son travail constant - des rapports de Cézanne avec le langage. Encore une fois, je crois que le fond des choses, c'est savoir parler la peinture. Dans quelle langue parler la peinture ? On ne la voit pas sans la parler. Donc, son impression devant Cézanne. Ce qui m'intéresserait beaucoup, c'est qu'il choisisse, en fonction de son expérience propre - et Le Propre du temps, c'est le titre de son dernier livre de poésie -, qu'il choisisse un tableau pour montrer ce qu'il voit là. Je crois qu'il faut essayer de parler des tableaux eux-mêmes.

Marcelin Pleynet : Oui. D'abord l'exposition, très vite. Je suis frappé qu'on ne mette pas l'accent sur le fait que cette exposition présente 33 années de la carrière de Cézanne qui n'ont pas été présentées depuis très longtemps en France, puisque l'exposition consacrée aux premières années et celle consacrée aux dernières années mettaient entre parenthèses le centre de la carrière de Cézanne, c'est-à-dire 33 années. Et un des tableaux qui m'a frappé lors de cette première visite de l'exposition, c'est un tableau qui figure dans cette période de Cézanne.
Peinture et poésie, oui, à cela près que la poésie, ce n'est pas forcément ce qui imprime des lignes inégales sur une page, et un tableau de Cézanne, ça n'est pas de la peinture, c'est - comme vous le dites d'ailleurs dans votre livre - de la pensée peinte. Il me semble que c'est là que ça se joue. Par ailleurs, peinture et poésie, oui… Rimbaud, bien sûr… mais il y a aussi cette phrase très insolite de Cézanne, qui m'intéresse beaucoup : « Je veux faire du Poussin d'après nature. »
Alors, qu'est-ce que c'est que ce « d'après nature » ? Pourquoi Poussin arrive avec ce « d'après nature » ? Il me semble qu'il y a un autre contemporain de Cézanne qui pourrait éclairer ça, c'est Lautréamont. C'est le travail de Lautréamont sur la rhétorique. En effet, le « Poussin d'après nature », c'est un travail sur la rhétorique, et je pense qu'il faut aussi aborder ce qu'il en est de la rhétorique propre à Cézanne. Comment est-ce qu'on pourrait le faire très brièvement ? Eh bien, je crois qu'on pourrait le faire en disant que, au fond, Cézanne intervient sur ce qui semble naturel. Cézanne intervient sur ce qui semble naturel et qui est une sorte de longue habitude que nous avons prise avec ce que voyons. Et Cézanne intervient sur ce qui semble naturel pour faire apparaître, quasi initialement, l'inhabituel dans ce qui semble naturel. Au fond, ce qui nous éveille dans l'œuvre de Cézanne, c'est de faire apparaître l'inhabituel dans ce qui semble naturel. Que ce soit des rochers, que ce soit La Carrière de Bibémus, que ce soit L'Amour en plâtre… il y a toujours quelque chose qui intervient, une façon de traiter l'ordre de ce qui semble naturel de telle façon qu'il apparaît comme tout à fait inhabituel.
Ce qui m'a frappé de ce point de vue, ce sont deux tableaux de l'exposition - et ç'a été une très grande émotion pour moi, parce que c'était la première fois que je voyais ces deux tableaux ensemble. L'un appartient à ce milieu de la carrière de Cézanne, il date de 1877-78, et on l'appelle le Baigneur aux bras écartés. Il y a deux versions de ce tableau. L'autre est daté de 1883 dans le catalogue (il semble qu'il appartienne au peintre américain Jasper Johns), et l'on voit que le baigneur a les bras écartés, mais de façon légèrement différente. Et enfin il y a le Grand Baigneur, devant lequel j'ai passé énormément de temps à New York, qui est le Baigneur du MoMA, qui date, lui, de 1885, et qui n'a plus les bras écartés, mais sur les hanches. Or, en essayant de définir ce qu'il en est de ce Baigneur aux bras écartés - qui a les bras très curieusement écartés : il n'a pas les bras en croix, il n'a pas les bras écartés d'une façon habituelle encore une fois -, il me semble qu'on peut le définir presque comme un sémaphore. Il a les bras écartés comme un sémaphore. Comme s'il faisait signe à quelque chose qui arrive. Et il se trouve posé, ce baigneur, sur une bande de terre brune. Derrière lui il y a un plan d'eau très vaste, dont on peut supposer que c'est la mer, et à gauche il y a une montagne colorée d'un brun assez soutenu. Et il est là, dans cette position très curieuse de bras écartés, comme s'il faisait ces signes que les marins se faisaient autrefois et qui sont en effet une sorte de communication. Comme s'il signalait et comme s'il prenait une précaution avec ce qui vient du large et qui va aborder la terre. Comme s'il prenait une précaution pour que ce qui vient du large et qui va aborder la terre évite les écueils de la terre… On se demandait tout à l'heure si Cézanne était dans son époque ou s'il n'était pas dans son époque… Quel est le temps de Cézanne ? Je crois que la particularité du temps de Cézanne, c'est en effet de traiter, à travers le temps, la coloration de son époque. Et il me semble que ce baigneur signale quelque chose qui arrive du large, qui va aborder la terre… Et il a cette particularité, ce baigneur, comme d'ailleurs tous ces baigneurs, c'est qu'il a des pieds extrêmement vastes et extrêmement grands, bien posés en effet sur la terre. Ces deux baigneurs sont là, et il me semble que ce sémaphore, quelque part, fait signe à l'œuvre même de Cézanne : quelque chose qui vient du large, qui va entrer au port et qui va aborder la terre. Et ce signe se déploie sur ces deux tableaux, celui de 1877-78 et celui qui appartient au peintre américain Jasper Johns. Puis on a Le Grand Baigneur de New York. Alors Le Grand Baigneur de New York a ceci de commun avec le premier, c'est qu'il a de très grands pieds, très posés, très en équilibre, très monumental… Mais il n'a plus les bras écartés, il a les bras sur les hanches, dans une attitude très sûre d'elle-même, très affirmée, et curieusement la terre a quasiment disparu. Il reste une bande horizontale au milieu, qui est baignée de bleu, et tout le tableau baigne dans le bleu. Et le baigneur marche sur du bleu, il marche sur l'eau. Il a en quelque sorte entièrement réalisé son abordage, si je puis dire, et ce bonheur d'abordage fait qu'il est entièrement dans son propre ciel. Il a abordé à son propre ciel… je vais dans le sens de ce que vous appelez « le paradis de Cézanne ». Il me semble en effet que le propre de Cézanne, c'est d'aborder à son propre ciel, c'est d'aborder à son paradis, et dans ce cas-là, à ce bleu. Et ce baigneur, dont on suppose qu'il est le fils de Cézanne, donc qui est un enfant, eh bien, il aborde à ce bleu dont on suppose que c'est la première couleur que voient les enfants en naissant, dont on suppose que c'est la couleur même de la naissance. Ç'a été une très grande émotion pour moi de voir ces deux tableaux, et de voir arriver Cézanne, à travers son œuvre, comme le sémaphore même de son œuvre, donnant accès à ce qui, de son œuvre, semble sans accès.
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Marcelin Pleynet
L’homme est libre de jouir singulièrement


Qu’est-ce que ça peut être dans la littérature ou dans la peinture, l’érotisme ?

Il n’y a pas de l’érotisme, il y a des érotismes. La littérature, la peinture et les images, ce n’est pas la même chose. Vous avez une sous-littérature de consommation et des images de consommation qui n’ont d’autre objectif que de faire entrer la singularité érotique dans la norme de l’érotisme général, socialement convenu, propre à tel ou tel type de groupe humain.

Au-delà de ça, si vous lisez Proust, Baudelaire, si vous considérez Le Sommeil de Courbet, ou l’Olympia de Manet, ou Le Nu bleu de Matisse..., vous êtes seul en face de ce qui se lève de vivant, de tremblant et de troublant pour vous. Autrement dit, vous êtes en situation de vous donner une chance de découvrir ce qu’il peut en être de votre propre érotisme.

Un jour, Céline Galliot a dit : « Je vais faire une revue de cul... », puis « érotique », puis « sur le sexe », mais tout le monde a dit que c’était une revue porno. Comment la voyez-vous ?

Je dirai que c’est une revue où le sexe fait question, où le sexe fait problème, ce qui est sans doute un phénomène propre à notre époque. Nous vivons dans une société française plutôt riche, quoi qu’on en dise, où les gens ont un nombre de richesses diverses considérable. Les tabous sont, paraît-il, tombés, les rapports entre individus devraient être plus faciles, ils n’ont jamais été aussi compliqués, à tel point que toute forme de reconnaissance propre, individuelle, toute pensée, toute jouissance semblent inaccessibles et que le groupe social apparaît à tout moment prêt à se dissoudre dans la violence qui le nie. Devant une telle situation, ce qui, me semble-t-il, doit nous occuper, c’est la façon dont les pays démocratiques s’emploient à maintenir la cohérence sociale indispensable à leur bon fonctionnement, au bon fonctionnement de l’économie. Il est assez évident que nos sociétés sont conscientes de ce disfonctionnement de l’individu et qu’elles s’emploient à le résoudre – qu’elles s’emploient à résoudre la dissolution des rapports sociaux traditionnels. C’est une fuite en avant où les rapports sociaux qui sont proposés vieillissent avant même de pouvoir s’ossifier. Voyez ce qui s’est passé en moins d’un siècle dans la société communiste !

Dans les pays démocratiques, la logique de développement du système économique entraîne chaque individu à confondre consommation et jouissance – autrement dit, à promouvoir, aussi officiellement que possible, ce qui constitue les données mêmes de la pornographie : consommation sans jouissance – et sans autre liberté, je veux dire sans autre pensée que de consommer toujours davantage. Plus vous consommez, plus vous vous endettez, plus la jouissance que vous devriez éprouver en consommant se trouve hypothéquée et problématique, voire angoissante.

Au demeurant, sous la forme de spectacle intégré, la société de consommation ne manque pas de proposer l’angoisse et la névrose elle-même comme objets de consommation – les psy-shows télévisés ne font rien d’autre, en proposant pornographiquement à la consommation les névroses du consommateur, que d’établir une norme de la misère subjective, un mode convenu de la névrose. Ainsi, je parviens parfaitement à me convaincre que la souffrance et la misère (fussent-elles économiques) n’ont rien de singulier et qu’étant en somme un clochard comme les autres, je perdrai mon temps à m’occuper de ma clochardisation, à ne pas m’accepter tel que je suis, puisqu’il s’agit d’un phénomène propre à tout le monde, je n’ai pas à me préoccuper de mon propre malheur.

C’est bien aussi de se rendre compte que l’on est malheureux...

C’est très bien, à condition d’utiliser cette conscience pour ne plus l’être. Que l’on ne reste pas malheureux, parce que c’est une convention, un fait propre à tout le monde, et qu’en conséquence il n’y a pas à se préoccuper de pourquoi on est malheureux.

Dans votre dernier roman, La Vie à deux ou trois, vous vous interrogez sur le comment vivre aujourd’hui lorsque « le tout permis s’oppose absolument au tout possible ». Qu’est-ce que le tout permis et qu’est-ce que le tout possible ?

Le tout permis c’est, disons d’abord, des transformations de la législation au cours de ce siècle, une publicité tout à fait officielle (une grosse publicité), des regroupements quasi institutionnels de minorités sexuelles (avec la propagande que cela suppose), qui ont pour conséquence une transformation totale de la mentalité et de la vie intime de chacun : ça c’est le tout permis. Mais c’est un tout permis d’un aspect particulier. Sous forme de publicité véhiculée par le média le plus vaste et le plus populaire qu’on puisse imaginer, c’est-à-dire la télévision, on vous laisse, en effet, penser que tout est permis puisqu’on vous en offre le spectacle. Mais bien entendu, cet aspect de la permissivité ne concerne pas l’homme comme singularité, mais comme généralité, autrement dit comme matière première. Quand l’homme se considère comme matière première, tout est permis à la matière première et tout est interdit à l’homme, et d’abord d’être cet homme singulier susceptible de penser la matière et de jouir de cette pensée.

Le tout permis participe aujourd’hui d’une convention comme une autre, parce qu’en réalité, tout est proprement impossible et interdit, et ce, parce qu’à chaque fois qu’un individu se trouve dans une semblable situation, il est inévitablement entraîné à s’identifier mécaniquement avec une communauté et à disparaître, à s’annihiler à l’intérieur de cette communauté.

L’auteur d’une biographie récemment publiée sur Jean Genet déclare : « Comme Rimbaud, Genet était homosexuel. » C’est là un exemple type de discours propre à une forme de pensée conventionnelle. Si Rimbaud était homosexuel, il ne l’était pas comme qui que ce soit d’autre. Il est Rimbaud et témoigne d’abord d’une sexualité qui ne saurait s’appeler autrement que Rimbaud.

Philippe Sollers écrivait dans l’un de ses articles à propos de Femmes : « Pourquoi lit-on des romans : pour se renseigner sur les situations sexuelles. » Et vous ?

Ce n’est pas à moi à répondre des déclarations de Sollers. Ce que moi je crois, c’est qu’on lit des romans parce que toute jouissance est romanesque, parce qu’on perçoit sa propre jouissance, très inconsciemment bien entendu, comme romanesque. Le gros problème et le gros malentendu, c’est que le « tout permis », c’est le tout permis de la machinerie sexuelle, et c’est le tout interdit de la jouissance. Ça suppose une énorme difficulté et une énorme résistance à convenir de sa propre jouissance, qui, en fait, se satisfait du spectacle de l’acte qui devrait aboutir à une jouissance en confondant la jouissance sexuelle avec le spectacle de l’acte sexuel. C’est de la misère au troisième degré.

À partir du moment où un être humain est parfaitement conscient de la singularité de sa jouissance, il ne peut plus se reconnaître dans aucune particularité sexuelle.

Dans le fond, la question qui ne cesse de soulever toutes ces affaires, c’est celle de la liberté. On veut croire alors qu’une bonne législation donnerait une bonne liberté... Or, il n’y a pas de la liberté, il y a autant d’individus que de libertés, comme il y a autant de jouissances qu’il y a d’individus. On naît dans de la loi, dans de la norme et de la contrainte, forcément inadaptées, c’est donc à chacun de gérer sa liberté en gérant ces données initiales.

Ce siècle est marqué essentiellement par la psychanalyse et l’image ; chacune a révélé des connaissances importantes sur l’homme, qui, aujourd’hui, semblent plus porter une problématique obsessionnelle et destructrice. Une fois de plus, on est dans l’excès.

Il faut s’entendre sur l’image. Lorsque l’on parle d’image, cela désigne l’image mécanique surdéterminée par la technique et non l’image créative, la peinture, l’art. Le rapport que l’on entretient à l’image, à la reproduction non singularisée, à travers les normes qu’impose la machine, a une fonction tout à fait particulière : celle de conventionnaliser la jouissance que peut révéler la singularité des rapports qu’un homme entretient avec le monde et ses objets, à travers son propre monde de représentation.

Regardez ce que l’on appelle une image porno. Ce sont des clichés qui tendent à comprendre, à fixer, toutes formes de représentations perverses dans une forme convenue, conventionnelle, valable pour tous. Cet aménagement, cette nouvelle disposition, cette nouvelle forme d’organisation, cette nouvelle convention appelée à gérer les particularités sexuelles en les rattachant à une norme, c’est un signe extrêmement symptomatique que l’on retrouve dans diverses autres activités humaines.

Par exemple, j’ai lu récemment dans Le Monde un article sur les universités américaines intitulé « Le français piégé par le multiculturalisme américain ». Derrière tout ça nous avons la grande vague du « politiquement correct » et la célébration, dite culturelle, de diverses minorités. Sous la rubrique du multiculturalisme, les universités américaines entendent « démocratiquement » dénoncer le pouvoir de la culture occidentale dominante (des blancs, hétérosexuels et mâles) pour mettre en évidence ce que serait, par exemple, une culture propre aux minorités féminines, noires et homosexuelles, et par la même occasion en finir avec la domination et le pouvoir idéologique de l’ethnocentrisme européen. Entendons bien qu’au lieu d’avoir une loi et une majorité légiférante, nous hériterions, du fait de ce multiculturalisme, d’une multitude de lois et d’une multitude de minorités encore plus exclusives et légiférantes. Un professeur dans une université française en poste à New York donne le cas de l’une de ses collègues féministes, qui propose à ses étudiants français de première année une liste d’auteurs composée uniquement de lesbiennes, dans un cours intitulé : « Fondement de la littérature française ».
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Marcelin Pleynet
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Pour ce professeur, c’est là le seul moyen de compenser l’absence de cette particularité sexuelle pendant des siècles dans les programmes universitaires. Est-il vraiment intéressant de savoir si elles sont lesbiennes ou non ? Et si oui, pourquoi s’en tenir à cette généralité ? Une telle attitude n’a d’autre objectif que de recouvrir, de voiler avec des lieux communs, avec la norme des anomalies, ce dont nous entretiennent dans leur ensemble l’art et la littérature ; à savoir que toute jouissance est singulière. Poésie, roman, peinture, musique ne sont perceptibles que dans la jouissance singulière qui les révèle – et qu’ils évoquent. Comment ne pas comprendre à partir de là que le tout possible est du puritanisme camouflé. Le porno à la télévision, comme la « civilisation » de l’image, c’est du puritanisme camouflé. Ce qui terrorise le plus le puritanisme n’est pas l’organisation de tuyautages sexuels qui fonctionnent plus ou moins explicitement, c’est la fait que ça puisse jouir. Il est intolérable que ça jouisse. Le vrai, le seul scandale est là.

C’est très chrétien tout ça ?

C’est surtout très protestant. Vous pouvez brancher tous les organes sexuels ensemble, vous pouvez obtenir tous les résultats de frétillements physiques que vous voulez, ça ne veut pas dire qu’il y aura jouissance. La culture chrétienne latine est une culture catholique. C’est une culture qui, parce qu’elle reconnaît le péché et qu’elle l’absout, laisse un espace assez riche à la jouissance, un espace mental et spirituel. Le point sur lequel notre société, c’est-à-dire chacun de nous, bute, ce qui est très surveillé, aussi bien en littérature qu’en art, à travers, justement, ce siècle des images, c’est qu’un certain nombre de manifestations humaines témoignent d’une très haute idée de la jouissance.

Vers quoi allons-nous ?

Je crois que nous nous trouvons dans une situation particulièrement difficile où devrait apparaître de plus en plus ce qui fait difficulté à un nombre de plus en plus grand d’individus, le fait que l’on ne sauvera rien de cette société et de cette culture, tant que l’on ne s’emploiera pas d’abord à se sauver soi-même.

On ne pourra jamais vraiment parler de sexualité tant que l’on n’aura pas établi ce qu’il en est de sa jouissance propre. On ne pourra jamais intervenir réellement et sans fantasme dans un contexte politique tant que l’on ne sera pas sûr de son propre gouvernement. Je pense cela très paradoxalement, dans la mesure où le système politique et économique international est aujourd’hui constitué de telle façon que cela ne puisse pas avoir lieu.

Quoi ? Le plus de liberté que suppose la bonne intelligence qu’un homme peut entretenir avec sa jouissance. Question qui se pose particulièrement à l’artiste, n’est-ce pas ? Mais qu’en est-il de cet artiste-là aujourd’hui ? Mais où est-il aujourd’hui l’homme susceptible de savoir d’où lui vient comme jouissance, son euphorie et sa dilatation ?



Marcelin Pleynet
Propos recueillis par Céline Galliot et Ivan Péricoli pour Le Sourire Vertical, n°1, avril 1994.

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CHANT II


ON connaît les commencements
                              on connaît les fins
sans nombre travaillant à endiguer l'humidité
           amas de richesses plus vertes au nord

ou sur les rives
           plantés au nord
ou proche dans le réseau anonyme qui passe de bouche
en bouche

   veine brune ou bleue
                     baignée
                            regard
                                  retour

rien n'a changé
            tout a changé
                           mort il avance avec
l'Égypte qui s'était levée derrière lui je l'entends entre
deux ânes dans un cahier d'écolier
                            sur la route de Den-
dera
   Nasser sur le nil en larme
                          sans dire comment ni
pourquoi
        le travail noir des porteuses d'eau
                                       dans le
matin rouge et rose
                cortège levé avec l'aurore
                                   clien-
tèle de l'histoire
             (l'autre est amont)

voyage d'intellectuel avec tout son bagage mort
brûlante complaisance de ce qu'ils ont trouvé enseveli
                                     de ce qui brille
encore dans la pierre
      ou quelques pièces à la carnation pour service
                                            rendu
      ne sachant jamais céder ni obéir…

p.49-50
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Ce qui sera repris quelques années plus tard par M. Bucci : « Giotto est donc à l’opposé de Dante qui est resté un homme de l’ancien régime » Mais nos auteurs ne sont-ils pas encore, eux aussi à leur façon, prisonniers de la légende ? En effet même à suivre les déclarations de Filippo Villani , contemporain du peintre, et selon qui Giotto aurait été un homme d’une grande culture et d’une éducation raffinée, peut-on vraisemblablement imaginer, en ce tout début du XIVe siècle, une discussion dogmatique entre un peintre et l’auteur du Convivio et du de Monarchia, un des plus subtils et complexes savants érudits de son siècle (E. Gilson), dont l’oeuvre « représentait la somme du savoir et le principal accès des esprits à l’ordre supérieur » (A. Chastel . Faut-il rappeler ici ce que G. Duby nous dit de la situation de l’artiste en cette fin du XIIIe et en ce début du XIVe siècle ? Le dialogue entre les deux hommes ne semble pas beaucoup plus vraisemblable que leur lien d’amitié ; et ce non pour des raisons d’accords ou de divergences doctrinales, mais pour des raisons sociales. « Les Alighieri qui se disaient de souche romaine, appartenaient à cette vieille bourgeoisie urbaine qui, propriétaire de maisons en ville et de domaines ruraux, pouvait sans exercer de négoce et d’industrie, sans pourtant se confondre avec l’ancienne noblesse féodale, mener la vie de gentilhomme . » Selon la légende, Giotto était un pauvre berger et son père « simple laboureur et bonhomme » (Vasari). Deux conditions sociales qui ne semblent pas devoir à priori faciliter de rencontres, ni d’échanges intellectuels, mais qui tout au contraire laissent supposer (mais faut-il vraiment insister sur ce point ?) que, si grande et « raffinée » qu’ait été la culture de Giotto, elle ne pouvait avoir aucune commune mesure avec celle de Dante ; et qu’en conséquence un débat dogmatique entre les deux hommes était impensable. Dante, pour jouer un rôle politique à Florence, semble condescendre à s’inscrire en 1293 à l’Art des médecins et apothicaires, il a 28 ans ; Giotto malgré sa gloire, devra attendre jusqu’en 1327, il a 60 ans, pour pouvoir faire partie de cette même congrégation qui n’admettra les peintres, qu’à partir de cette date. Notons par ailleurs que le même Filippo Villani, qui déclare que Giotto « à part la peinture, fut un homme d’un grand esprit », croit encore devoir écrire en 1380, soit 43 ans après la mort de l’artiste : « Beaucoup considèrent, et non sans raisons, que les peintres ne sont pas intellectuellement inférieurs à ceux que les arts libéraux ont menés à la maîtrise ; ceux-ci acquièrent par l’étude et l’instruction les règles de leur profession rédigées dans les livres, mais ceux-là ne dégagent les règles de leur art que par la force de leur talent et la vigueur de leur mémoire . » Ce qui est en effet beaucoup dire et notamment qu’à la fin du XIVe siècle on pouvait encore considérer les peintres comme « intellectuellement inférieurs ». Mais au demeurant, et si nous nous en tenons aux faits établis, nous n’avons rien à imaginer ou à inventer. Ces oeuvres sont toutes deux grandes, et si le même siècle qui les voit naître inévitablement les associe, c’est que chacune selon sa spécificité se trouve fondamentalement associée aux structures explicites et implicites, conscientes et inconscientes, qui génèrent ce siècle. C’est bien entendu d’abord parce que du De vulgari eloquentia, au Convivio, au De Monarchia, à la Divine Comédie, Dante s’emploie à jouer et à établir les débats dogmatiques (philosophiques, théologiques, esthétiques) qui dynamisent et divisent son siècle, que Giotto se trouve partie prenante dans l’oeuvre du poète. Chacun dans sa discipline spécifique se marquant au premier plan de ce que le siècle compte de plus grand. Et de l’un à l’autre le rapprochement tient essentiellement à ce qu’un même dynamisme, une même force motrice porte et emporte l’oeuvre. Lorsque renversant la proposition de Vasari on veut opposer les deux hommes, en déclarant Dante « médiéval » et Giotto « moderne », on oublie un peu facilement que des deux c’est le « médiéval » qui fut au ban de la société de son siècle et qui mourut en exil, alors que le « révolutionnaire », le « moderne » se trouvait bénéficier des faveurs de la papauté et honoré dans la même cité qui condamna le poète à être brûlé. De cet excès de peines à cet excès d’honneurs le siècle me semble manifester si bien ce qui l’occupe que la postérité reconnaîtra, avec raison, dans ces deux hommes les pères de « l’italianité », les fondateurs d’une nation. Mais alors, mais pourtant, et en fonction même du rôle qu’on leur attribue, qu’en est-il des forces qui habitent et dynamisent ces deux oeuvres ?
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Marcelin Pleynet
CETTE BONTÉ

Difficile à vivre cette bonté d’os
entre les deux rives
où, ce qui attendait, secrètement fleuri
semblable à l’amour

Rien d’humain
la tête entre le ciel et la terre...

Le désert fleurit dans cette envolée
comme les amandiers du printemps sous le haut soleil

Éloignés nous sommes proches, bien que séparés
À chaque fois l’herbe renaît parmi les sables
et de très grands écarts

J’ai sous les yeux son règne et ces bâtisses,
le marbre doré qui célèbre le relief vivant des choses.

Nous rêvons
nous arrivons à la rive déjà dépassée

Personne ne veut savoir ce qu’est un arbre
Pourtant sous les ombrages le dialogue se poursuit
et la brise est fraîche au bord de l’eau
et bien que divisés nous sommes uniques

Il est temps de le dire
nous sommes un rythme

Rien ne se perd de cette bonté.
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Provisoires amants de nègres


... Ici les rivières n’ont plus de nom — Le pays cherche
encore sa lumière — Nous sommes sans nouvelles de nos
ancêtres

Nous nous sommes arrêtés ici — Sans nous connaître
nous nous rassemblons — nous échangeons nos souvenirs
de guerre — nos plaies ne sont pas les mêmes elles se cica-
trisent — nous ne sommes pas seuls

Nous sommes dans un pays gelé

*

À chaque pas le paysage s’interrompt — l’automne
accueille les adieux — puis nous nous endormons de
tristesse
Ici les rivières perdent jusqu’à leur nom — nous nous
baignons dans un lit d’eau anonyme — nous oublions de
vivre — nous sommes seuls…

p.18-19
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Blévy, 4 octobre 1980

« Je pourrais passer des heures, des jours entiers à noter le lent déplacement de la lumière sur le mur du jardin. Je peux être attaché à cette chaleur qui passe sur le mur du jardin comme à la vie même. Toute ma vie est là dans la sensualité diffuse de la lumière et des couleurs qu’elle brûle. Toute ma vie, ce très peu de vie des pierres de la muraille qui brûlent en fin d’après-midi d’un feu roux et blond toujours prêt à s’éteindre. Ai-je jamais vécu autre chose que cet éclat de la lumière qui dans la chute du jour pénètre l’âme comme un parfum ? En fin d’après-midi chaque plante, chaque chose semble s’ouvrir à un volume que la douceur de la lumière enveloppe d’une chaude confiance. Lentement passe et décline ce que nous connaissons, la vigne, le laurier, le toit d’ardoises bleues du clocher voisin ; l’air se fige et il semble presque, alors, qu’on puisse tenir la journée dans son ultime présence. Mais les ombres pâlissent, rosissent, toute la maison s’éclaire du couchant dont les rayons touchent maintenant le pied de la cheminée du petit salon du rez-de- chaussée. L’humidité de la rivière proche se fait sentir, le vent commence à se lever, et même le chant des oiseaux se rouille dans le bruissement des feuilles. Le jour passe. Il est passé. Je le sais, je l’ai suivi. Je l’ai suivi comme j’aime suivre un livre, un écrit, sans autre volonté, sans autre désir que d’être là, d’être présent à celui-là. Je passe ainsi très facilement de la page à la lumière du jour sur le gravier du jardin, sur le treillis de bambou où les roses commencent à sécher. Il en est de certains livres comme de ces longues journées d’automne, on voudrait ne jamais s’en séparer, parce que sans plus, page après page, ils nous font l’amitié, étant simplement dans ce qu’ils sont, d’être là. »
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