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Critiques de Marcus Rediker (29)
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Les révoltes de l'Amistad : Une odyssée atlanti..

Fin des années 1990, Steven Spielberg sortait « Amistad ».



Ce film portait à la connaissance de millions de personnes de part le monde pour la première fois l'histoire d'un groupe d'Africains, arrachés à leur terre, vendus et destinés à être réduits en esclavage.



Il montrait également leur rébellion, la prise du navire puis l'arrivée aux États-Unis et le déroulement du procès auquel prit part l'ancien Président américain John Quincy Adams et qui eut un retentissement gigantesque dans le Nouveau Monde.



Après trois ans de procédures, hommes et enfants reprirent le chemin de l'Afrique, libres.



Mais qui étaient-ils en réalité ? Quelles étaient leurs origines ? L'Afrique n'est-elle pas un continent ? N'a-t-elle pas ses propres codes, ses propres sociétés ? Comment ont fait ses hommes et ses enfants pour s'adapter et survivre dans un « monde » si différent du leur ? Et l'histoire s'arrête-t-elle en vérité lorsque le bateau lève l'ancre pour l'Afrique ?



Et les abolitionnistes ? Quelles ont été leurs actions ? Comment se sont-ils organisés ? Quel impact dans la société américaine ? Et sur la société Africaine-Américaine ? Sur le Chemin de Fer souterrain ? Sur les Arts et dans la vie culturelle ? de nombreux aspects qui ne sont pas évoqués autrement que dans le livre et qui pourtant ont révolutionné la société de l'époque.



Marcus Rediker a travaillé d'arrache-pied pour rédiger ce livre. Il est allé en Sierra Léone, d'où étaient originaires les captifs. Il a recherché les ruines de Lomboko, l'endroit où étaient parqués les futurs esclaves comme du bétail, il a étudié les cartes et les sociétés Africaines. Il offre le visage digne et réaliste de ces hommes qui parlaient plusieurs langues et travaillaient, cumulant souvent plusieurs compétences. Assurément un grand livre.

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Les hors-la-loi de l'Atlantique : Pirates,m..

Voici un livre hyper documenté écrit par le grand spécialiste du sujet (à savoir les pirates, etc...).

L'auteur s'intéresse à l'histoire d'en-bas, celles des petites gens.

Les pirates le sont par nécessité, pour sortir de leur misérable condition, qu'ils soient des matelots souffrant d'épouvantables conditions de travail ou des esclaves s'emparant des bateaux sur lesquels ils sont retenus (avant d'être vendus aux planteurs de coton).

La grande période de la piraterie en Atlantique s'étend du XVIIème au XIXème siècle. Ses acteurs sont des sortes de Robin des Bois, idéalistes, ou du moins sont-ils perçus ainsi par le peuple, surtout durant la période du romantisme.

Les femmes sont quasiment absentes de cette épopée masculine.

L'égalitarisme est de mise sur les bateaux des pirates, ce qui est nouveau pour l'époque et servira de modèle aux révolutions terrestres du XVIIIème siècle.

Bravo encore à l'auteur pour sa grande érudition et son travail d'archiviste.
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À bord du négrier : Une histoire atlantique d..

Envie d'une lecture "feel good" ? Si c'est le cas, passez votre chemin. L'auteur, l'historien américain Marcus Rediker (connu pour ses travaux sur la marine du XVIIIème siècle) nous avertit en introduction : cet ouvrage a été douloureux à écrire et, s'il a bien fait son travail, il sera douloureux à lire. L'illustration de couverture, qui représente le plan d'un navire négrier (le "Brooks" lancé en 1781) est éloquente, avec ces hommes serrés comme des sardines en boîte, parfaitement alignés de manière à ne pas perdre un centimètre... L'horreur, le dégoût, la révolte que suscite la vue d'une telle image, ne font qu'annoncer ce qui sera proposé au lecteur tout au long des 500 pages de "À bord du négrier".



Bien sûr, nous aurons droit à des généralités sur la traite atlantique : la manière dont les négociants européens organisaient leur terrible commerce, les routes empruntées par les trafiquants d'esclaves, le nombre d'Africains déportés vers le Nouveau Monde et la proportion de morts... Mais l'auteur fait en sorte de ne pas rester sur des notions abstraites, il parvient à rendre plus tangible l'abomination de la traite en s'attachant à des exemples précis, basés sur des témoignages recueillis notamment par des abolitionnistes de la fin du XVIIIème siècle. Les différents protagonistes sont nommés (quand la chose est possible, de nombreux esclaves n'étant identifiables que par un numéro qui leur était attribué lors de l'embarquement), on a le récit du parcours qui les a menés de la campagne anglaise ou de la savane africaine jusqu'au pont d'un navire négrier... À partir de ces exemples particuliers mais représentatifs, on a une bonne vision d'ensemble de ce qu'a pu être l'expérience du commerce triangulaire pour les uns et les autres.



Petite précision : "À bord du négrier" n'embrasse pas toute l'histoire de la traite atlantique mais s'intéresse à son "âge d'or" du XVIIIème siècle et est cantonné au monde anglo-saxon. Les marins cités dans ces pages sont Britanniques, les ports sont ceux de Londres, Bristol et surtout Liverpool (plus grand port négrier à l'époque) et les esclaves dont il est question sont destinés aux plantations des États-Unis, de la Barbade ou de la Jamaïque. Mais comme le souligne l'auteur, ce qui est vrai pour l'Angleterre l'est également pour les autres nations participant à la traite à cette époque, qu'il s'agisse du Portugal, des Pays-Bas ou de la France.



L'étude de Marcus Rediker se penche sur trois grandes catégories d'acteurs de la traite. Il y a évidemment les esclaves africains, tous les aspects de leur captivité à bord du navire négrier étant abordés : la saleté, la maladie, les mauvais traitements, le désespoir menant au suicide, les insurrections... Impossible de résumer l'horreur de ce que ces personnes ont subi, il faut lire cet ouvrage pour en prendre toute la mesure. Il y a ensuite les officiers et en premier lieu le capitaine, fonction qui semble incompatible avec les plus élémentaires sentiments d'humanité. Maître absolu de son "enfer privé", il ne se contente pas de maintenir une discipline stricte mais règne par la terreur et fait preuve d'une cruauté inouïe. L'auteur évoque tout de même le cas exceptionnel d'un capitaine compatissant, qui ne craignait pas de rendre visite aux captifs pour adoucir leurs souffrances ; il finira assassiné sur son propre navire... Et entre les esclaves et les officiers, on trouve les simples marins, à la fois bourreaux puisqu'ils n'étaient pas les derniers à maltraiter les individus dont ils avaient la charge lors de la traversée de l'Atlantique, mais aussi victimes, car ils étaient tout aussi brimés par leur hiérarchie, et leur engagement, souvent obtenu sous la contrainte, faisait d'eux des sortes de prisonniers à bord du navire. Spécialiste de la marine, l'auteur nous fait ressentir à quel point la condition misérable des marins européens s'approchait de celle des captifs africains, et pourtant le système dressait un groupe contre l'autre, pendant que les armateurs engrangeaient des profits sans se salir les mains ; des "prolos blancs" que l'on fait s'opposer à des "prolos noirs" pour permettre aux "élites" de se gaver impunément, le racisme instrumentalisé pour faire oublier la lutte des classes... Tiens donc, ça nous rappelle quelque chose !



Marcus Rediker est un historien qui se revendique de gauche, anticapitaliste et militant pour la justice sociale, certaines de ses conclusions et analyses sont donc à lire en tenant compte de cette orientation. Personnellement, je ne penche sans doute pas assez à gauche pour trouver pertinentes les propositions de "réparations" de la part des descendants des coupables envers les descendants des victimes, pour des crimes commis il y a 300 ans... Mais les faits relatés, eux, sont indiscutables. "À bord du négrier" est une lecture passionnante autant que nécessaire, sur un sujet historique essentiel dont les répercussions n'ont pas fini de se faire sentir.
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Un activiste des Lumières : Le destin singuli..

Quel destin singulier que celui de Benjamin Lay ! Rien ne le prédestinait au parcours qui fût le sien. Né en 1682, en Angleterre, Benjamin Lay était un homme de petite taille, bossu qui dût soulever des montagnes pour être ce qu’il devînt. Il fût tour à tour berger, puis gantier avant de devenir marin. Il vécût tout d’abord dans la campagne de l’Essex, avant de rejoindre la Barbade où il vît l’horreur de l’esclavage. C’est un traumatisme qui ne le quittera plus, le hantera jusqu’à sa mort. A l’heure où l’immense majorité de ses concitoyens considéraient l’esclavage comme normal, le racisme comme acceptable, pour Benjamin tout ceci était intolérable, révoltant et il n’eût de cesse, une fois à Philadelphie aux Etats-Unis (alors colonie anglaise), de dénoncer avec férocité, véhémence et un immense courage les contradictions de ceux qui se disaient des croyants mais qui possédaient des esclaves. Benjamin Lay était un Quaker. Un croyant et un homme pieux mais l’hypocrisie des pasteurs le mettait en colère, le plongeait dans une rage folle. Aussi, il mit au point des actions militantes visant à choquer, à marquer les esprits comme lorsqu’il interrompt un sermon en jetant le sang, d’une vessie d’animal, sur les pasteurs propriétaires d’esclaves. La question de l’esclavage, et sa dénonciation radicale, il en fût un des précurseurs. La force de ses actions lui attirât un nombre élevé d’ennemis puissants à Philadelphie et ailleurs. Mais notre homme avait le courage et la force de celui qui se sait être du côté de la justice, de l’humanisme. Sa vie durant et jusqu’à sa mort en février 1759, Lay maintient ses positions et ne s’en laisse pas compter. Aucune intimidation, aucune moquerie liée à sa petite taille, à ses prises de positions etc. n’auront raison de lui. Adepte des livres, pas seulement religieux mais philosophique, notre homme aimait tout particulièrement Diogène de Sinope, un philosophe de l’Antiquité qui le marquât. Il aimait philosopher avec les passants, échanger pour faire évoluer les consciences mais toujours avec cette forme de radicalité, qui caractérisait son approche de la question politique et philosophique (à l’image de Diogène de Sinope, le premier cynique). En 1738, il publia un livre pour s’ériger en adversaire résolu et radical de l’esclavage. Un abolitionniste qui marquera les esprits de son vivant mais qui souffrît après sa mort, d’un relatif oubli, pour de multiples raisons. Benjamin était de petite taille, d’un milieu modeste là où les hommes aisés de son époque étaient dans leur très grande majorité des partisans de l’esclavage. Les historiens l’oublièrent pendant longtemps, le qualifiant péjorativement de « petit homme » un peu « fou. » Mais Benjamin Lay n’était pas fou, au contraire, il mît en place une stratégie, médiatique avant l’heure, visant à faire passer son message par le biais d’un activisme radical. Précurseur des Lumières, Benjamin était convaincu de l’égalité entre les races, abolitionniste nous l’avons vu, contre la peine de mort, végétarien, défenseur acharné de la cause animal, etc. C’est tout l’intérêt de ce livre du grand historien Marcus Rediker, replacer dans la chronologie abolitionniste le parcours et l’action de Benjamin Lay. Montrer sa singularité mais aussi à quel point il fût en avance sur son temps. Comme il le souligne brillamment, ceux sont les années 1730-1740 qui furent fondatrices pour le mouvement abolitionniste aux Etats-Unis. Au final, on découvre un personnage historique profondément attachant jusque dans ses excès. Un homme sincère, autodidacte, humble, aidant les plus pauvres, les opprimés et surtout un révolté de l’injustice, un soldat au service de l’amour de son prochain et un pourfendeur de chaque instant de l’esclavage. Marcus Rediker signe un portrait où l’on ressent l’empathie de l’historien pour son sujet. Nul doute que le militant des droits de l’homme fût touché par ce si singulier Benjamin Lay.
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À bord du négrier : Une histoire atlantique d..

Entre la fin du XVe siècle et la fin du XIXe, 12,4 millions d’esclaves furent déportés et 1,8 millions d’entre eux moururent au cours du Passage du Milieu (expression utilisée pour désigner la traversée de l’Atlantique), sans compter les nombreux autres qui décédèrent avant même d’avoir atteint le navire et auxquels il faut ajouter les 1,5 million qui décéderont au cours de leur première année de captivité. Entre 1700 et 1808, période qu’on considère comme l’âge d’or de la traite négrière, 3 millions d’Africains ont été transportés par des navires, essentiellement britanniques ou américains. Cette époque, ces navires, leurs capitaines, leurs équipages et leurs cargaisons de captifs sont au cœur du travail de documentation réalisé ici par Marcus Rediker, historien américain spécialiste de l’histoire maritime. L’ouvrage comporte un peu plus de cinq cent pages et vise à la fois à pallier l’absence d’études sur le navire négrier en lui-même, et à élargir notre champ de vision historique. Le chercheur part en effet du constat que, lorsqu’il est question de la traversée des esclaves, les historiens ont tendance à ne se focaliser que sur la mortalité dont les chiffres seraient, à eux seuls, révélateurs de l’horreur de la traite (bien que certains s’en servent aussi pour la minimiser, arguant que, les esclaves étant précieux pour les marchands, ces derniers prenaient garde à ne pas trop les « abîmer »). Or, pour Marcus Rediker, au-delà de la mort, c’est avant tout la terreur qui reste la principale caractéristique définissant l’enfer du navire négrier. Pour étayer son propos, l’auteur va compiler un nombre colossal de témoignages émanant des quatre principaux acteurs impliqués dans le Passage du Milieu : les capitaines, les marins, les captifs eux-mêmes et enfin les mouvements abolitionnistes anglais et américains. L’ouvrage comporte dix chapitres mais peut être découpé en trois grandes parties : la première, plus générale mais néanmoins remplie de témoignages particuliers, vise à dépeindre les caractéristiques de la traite (pratiques commerciales, évolution et organisation des navires négriers, chemins africains vers le Passage du Milieu…) ; la seconde se focalise sur trois témoignages qui permettent de se familiariser avec les trois grandes figures se partageant l’espace sur le navire négrier ; la dernière réunit les quatre derniers chapitres et se consacre aux spécificités propres à chaque profil (capitaine, marin, captif, abolitionniste).



Le premier chapitre est composé d’une succession de témoignages qui permettent de rendre compte de la diversité des acteurs impliqués dans la traite, et de la variété de leurs profils. Parmi les récits plus marquants, on trouve évidemment celui des esclaves eux-mêmes, dont les sorts tragiques sont racontés par des témoins : un certain capitaine Tomba, guerrier réduit en esclavage, tentera de fuir le navire avec plusieurs de ses compagnons ; une femme se suicidera après avoir été fouettée sans pouvoir résister ; une esclave nommé Sarah, choisie par le capitaine pour devenir sa favorite en raison de sa grande beauté, sera suspectée d’avoir fomenté avec sa mère une insurrection des captifs. Un certain Trotter, médecin, témoigne pour sa part du suicide d’un homme qui s’est ouvert la gorge à plusieurs reprises avec ses propres ongles tant son désir de mourir était grand. On découvre aussi le parcours atypique du pirate Bartholomew Roberts qui, au début du XVIIIe, perturbera grandement le commerce sur les côtes africaines (il sera finalement tué au combat en 1722 après que les Britanniques aient déployés des forces conséquentes pour mettre fin à ses attaques). Défilent également les portraits de Humphry Morice, plus grand marchand d’esclave de Londres du début du XVIIIe, celui du capitaine Fraser, adoré par ses marins comme par les partisans de l’abolition pour les conditions jugées à l’époque plus humaines de détention des esclaves, ou encore celui d’un acteur de la traite qu’on attendait certainement pas mais qui joua un grand rôle dans l’instauration d’un climat de terreur au sein des navires négriers : les requins. Ce petit tour d’horizon effectué, l’auteur se focalise sur le navire négrier en lui-même afin de mettre en lumière son rôle de pivot central dans le système de la traite. A la fois prisons (on les appelle « donjon flottant ») et « factories » (au sens de plateforme commerciale aussi bien que d’usine), ces navires possèdent des caractéristiques à la fois très variées et similaires, comme le démontre les nombreux passages consacrés au type de vaisseau utilisé (sloops, goélettes, bricks, brigantins, senaus, trois-mâts…) et à leur organisation spatiale (plus standardisée). Marcus Rediker s’attarde ensuite sur la composition type d’un équipage naviguant sur un navire négrier, prenant bien soin de détailler les spécificités propres à chaque poste.



Afin de mieux nous familiariser avec le contexte de la traite au XVIIIe, Marcus Rediker consacre ensuite un gros chapitre à ce qui précède le Passage du Milieu, à savoir la capture en Afrique et le voyage jusqu’aux côtes. Les chemins comme les expériences varient d’une région africaine à l’autre, selon le type de société dont venaient esclaves et marchands, aussi l’auteur prend-il le temps de dresser le portrait des sept principales régions qui composent la côte ouest de l’Afrique : Sénégambie : Sierra Léone et Côte-au-vent ; Côte-de-l’or ; baie du Bénin ; baie du Biafra ; ouest de l’Afrique centrale. Pour se faire, l’historien va du particulier au général puisqu’il part chaque fois d’une figure locale importante (ancien esclave, marchand, employé de la Royal African Compagny…) et élargit peu à peu son propos. L’historien présente ensuite les différentes sources d’approvisionnement en esclave allant de la guerre aux procédures judiciaires en passant par les marchés et foires de l’intérieur des terres. La capture passe aussi et surtout par de grands pillages, des raids rapides et organisés sur un village (le témoignage emblématique de Louis Asa Asa est particulièrement éprouvant). La tromperie fonctionne aussi, une méthode qui permet de commencer le voyage vers la côte avec un certain degré de consentement qui cède bien vite la place à une coercition des plus brutales. Tous ces témoignages rendent compte du fait que le processus d’expropriation commence par l’explosion des structures gouvernant jusqu’à présent leur vie (famille, village, état), est suivi par l’expérience du convoi, puis s’achève par la montée à bord, moment de transition terrifiant car synonyme de non retour. Il se livre ensuite à un portrait social des captifs et constate que, si au XVIIe, la majorité d’entre eux provient d’un rayon de moins de 75 km autour des côtes, les esclaves qui sont asservis ensuite proviennent de plus en plus loin et sont revendus un nombre incalculable de fois sur la route menant de leur lieu de capture au navire négrier. Les esclaves sont surtout des roturiers (agriculteurs, éleveurs nomades, chasseurs-cueilleurs principalement, même si on trouve aussi des artisans, des esclaves domestiques ou des travailleurs salariés) et ne proviennent presque jamais de l’élite. Les 2/3 sont des hommes, plutôt jeunes et formés à la guerre. Il y a environ 1/3 de femmes et 1/4 d’enfants.



Les trois chapitres suivants sont consacrés à trois témoignages qui permettent de comprendre ce que pouvait être la vie à bord d’un négrier pour les trois catégories de population qui coexistent à l’intérieur du navire : les esclaves, les marins, le capitaine. Le premier témoignage est celui d’Olaudah Equiano, esclave envoyé en Amérique et qui gagna sa liberté en travaillant comme marin jusqu’à devenir une grande figure du mouvement abolitionniste en Angleterre. Il est le premier à avoir beaucoup écrit sur le commerce des esclaves du point de vue de l’asservi (« Ma véridique histoire »). Le témoignage fait part de la terreur et de l’étonnement ressenti pour ces « navires magiques » ainsi que des épreuves qui lui ont causé le plus de tourments : les séparations avec ses proches, l’expérience du fouet, la peur du cannibalisme de la part des hommes blancs, les changements de nom au fur et à mesure de ses ventes… Le second témoignage est celui de James Field Stanfield, un marin ayant navigué à bord de navires négriers et qui prend la plume pour raconter l’effroyable vérité du commerce des esclaves. Il nous apporte de précieuses informations sur le recrutement des marins pour ce genre d’expéditions (souvent embauchés après avoir été entraînés dans des tavernes et avoir contracté des dettes qui, si le marin refusait de s’engager pour les régler, le conduiraient en prison). Il parle aussi des difficiles conditions de vie des marins à bord, le rationnement, la brutalité des officiers… L’arrivée en Afrique inverse les rôles : de victime, le marin devient à son tour bourreau. Enfin, le témoignage permet de réaliser la dangerosité d’une telle entreprise, les marins étant souvent décimés par les maladies, les intempéries ou la cruauté du capitaine. Le troisième témoignage est celui de John Newton, capitaine sans doute le plus connu de la traite négrière dans les années 1740-1750. Mais c’est surtout la suite de sa carrière qui le rend célèbre puisqu’il deviendra pasteur (c’est à lui que l’on doit le célèbre cantique « Amazing Grace ») et militant de la cause abolitionniste. Ces carnets de bord et sa correspondance nous permette de mieux comprendre comment s’exerce le pouvoir du capitaine sur le navire.



On atteint ensuite le cœur de l’ouvrage, à savoir la description des spécificités propres à chacun des quatre profils identifiés comme centraux dans le Passage du Milieu. C’est le capitaine qui ouvre le bal, l’historien s’attachant à décrire le pouvoir absolu qu’il exerçait une fois à bord en raison de sa position stratégique au sein de l’économie capitaliste internationale. « Le pouvoir du capitaine, sur n’importe quel navire du XVIIIe, était personnel, violent et arbitraire. (…) Mais les navires négriers et leurs capitaines étaient différent (…). Parce que le navire négrier était par définition saturé de tensions sociales toujours sur le point d’exploser, les capitaines n’hésitaient pas à recourir à des moyens extrêmes pour affirmer leur autorité dès le début du voyage. » De nombreux capitaines sont ainsi des tyrans en mer. La discipline est violente pour l’équipage qui assiste à des scènes d’intimidation individuelles ou collectives impliquant généralement l’usage du chat-à-neuf-queues. Les marins des navires négriers, eux, constituent une masse de travailleurs pauvres qui sont généralement recrutés par la ruse ou la force. Ces marins firent preuve d’une résistance importante comme le démontre le taux élevé de désertion, mutineries ou conversions à la piraterie, ce qui s’explique par leurs conditions de travail déplorables et une omniprésence de la mort à chaque étape du voyage, que ce soit à cause des maladies tropicales, des parasites, des mutilations, des morts violentes, des suicides… Le travail du marin lors du voyage aller ne diffère pas tellement de celui exercé sur un autre navire mais leur fonction sociale change lorsque les esclaves montent à bord. La garde des captifs implique une vigilance de tous les instants et la répétition de tâches ingrates comme le nettoyage des cales ou encore la participation à la torture des esclaves. Celle-ci, bien que toujours dirigée par des officiers, qui se réservent l’exercice premier de la violence, est néanmoins également pratiquée par les marins eux-mêmes, essentiellement suite à une tentative avortée d’insurrection mais aussi parfois sur les femmes esclaves. Les conditions de vie des marins empirent généralement lorsque le navire parvient sur les côtes où ils doivent débarquer leurs esclaves car les capitaines usent alors fréquemment de techniques pour se débarrasser du plus de main d’œuvre superflu possible, et ce afin de limiter les coûts de son entreprise et maximiser ses profits. Beaucoup de marins sont ainsi abandonnés dans les ports américains, la plupart du temps rongés par la maladie ou mutilés, ce qui pose d’ailleurs un vrai problème de santé public pour ces villes portuaires.



Dans le chapitre consacré aux captifs eux-mêmes, l’historien se questionne sur la capacité de réaction collective des prisonniers, alors même qu’on avait affaire à des groupes multiethniques soumis à un traitement déshumanisant depuis leur arrivée à bord. « Cela signifie que chaque navire contient en son sein un processus de dépouillement culturel venant d’en-haut, et un contre-processus de création culturelle venant d’en-bas. » A bord, les esclaves créent de nouveaux langages, modes d’expression et formes de résistance qui aboutissent à l’émergence de nouvelles cultures américaines-africaines et panafricaines. L’auteur commence par aborder les différents aspects de la vie à bord qui contribuent à entretenir un climat de terreur tout au long de la traversée. Cela passe d’abord par le contrôle des corps (mise à nu, privation de son nom, « quincaillerie du servage »), mais aussi la mise au travail dès le début de la traversée, et, bien évidemment, l’omniprésence de la violence et de la mort. Les épidémies, notamment, font des ravage (d’où les termes récurrents de « léproseries maritimes » ou « cercueils flottants » pour désigner les navires négriers). L’auteur se consacre ensuite à la création d’un sentiment d’appartenance à une même communauté, rendue possible par les expériences communes de la mise en esclavage et les pratiques sociales à bord. Le véritable cœur de cette identité de groupe est la résistance, celle-ci pouvant prendre des formes très variées. Elle peut passer par le langage (les divisions linguistiques à bord étaient moins extrêmes que ce qu’on pensait car on sait aujourd’hui qu’il existait une communication inter-africaine qui passait notamment par les « langues maritimes »), mais aussi le chant (« un effort pour réussir à conserver leur identité historique dans une situation de bouleversement social total. ») ou la formation de nouveaux liens de parenté. La résistance passe aussi très souvent par le suicide : de nombreux captifs refusent de s’alimenter à bord, d’autres font le choix de sauter par dessus bord, d’autres encore se mutilent eux-mêmes jusqu’à la mort (auto-étranglement, égorgement, voire suicide collectif). Les suicides sont difficiles à quantifier mais les sources laissent penser à une pratiques prépondérante. L’insurrection est aussi un mode de résistance privilégié, bien que celle-ci échoue le plus souvent.



Autre figure marquante de la traite, bien qu’impliquée de manière très différente : les abolitionnistes. A la fin des années 1780, on assiste à l’essor du mouvement abolitionniste qui essaye de donner à voir la réalité du navire grâce à des pamphlets, des discours, des conférences, mais aussi des représentations visuelles. Ces images constituent, selon l’historien, « l’un des instruments de propagande les plus efficaces qu’un mouvement social ait jamais inventés. » La plus connue est celle du navire négrier « Brooks » et contribue à forger dans l’opinion publique l’image du navire négrier comme lieu de conditions de vie atroces et de mort violente. Sa force vient non seulement de la pitié et de l’émotion qu’elle suscite chez les spectateurs, mais aussi du fait qu’elle dépose « les germes d’une terrible interrogation morale » : qui sont les agents de cette barbarie cruelle et violente ? Les capitaines, évidemment, mais au-delà les marchands, ceux qui sont à l’origine de ce commerce et en tirent les profits. L’image dépeint donc à la fois la violence et la terreur du navire négrier, mais parvient aussi à capturer la rationalité et la logique froide qui régissaient les affaires des esclavagistes. Avec le Brooks, « on pouvait voire ce nouveau système économique moderne mis à nu dans toute son horreur. » La cause abolitionniste doit aussi beaucoup à un certain Thomas Clarkson qui, à partir de 1787, endosse le rôle d’historien social et part collecter des informations sur la traite. Ce dernier brasse de nombreuses archives mais se rend aussi sur le terrain, auprès des marins des ports de Bristol et Liverpool. Il découvre alors leurs conditions de vie déplorables à bord des navires négriers, ainsi que le pouvoir tyrannique exercé par le capitaine lors des traversées (il aidera d’ailleurs à faire condamner en justice plusieurs officiers ou capitaines pour la mort ou la mutilation de marins). Le travail de Clarkson et la représentation du Brooks joueront un rôle déterminant lors des débats des années 1780-1790, permettant aux députés (William Wilberforce, notamment), et au grand public de s’emparer des témoignages des marins pour discréditer la traite. La lutte pour l’abolition sera toutefois longue et laborieuse : il faudra attendre 1807 (UK) et 1808 (USA) pour que la traite soit officiellement abolie (même si le commerce se poursuivra de façon illégale pendant encore des années).



Le travail réalisé dans cet ouvrage par Marcus Rediker est à la fois captivant et terrible à lire. Captivant parce que l’historien a structuré son ouvrage de manière très astucieuse, alternant entre considérations générales et cas particuliers, brassant ainsi un nombre colossal de sources d’une grande diversité. Terrible, parce que les faits qui sont décrits ici sont évidemment bouleversants et témoignent de l’instauration d’un système de terreur et de déshumanisation dont on peine à appréhender toute l’horreur. Avec cet ouvrage, on comprend que le navire négrier, loin de n’être qu’un simple mode de transport, était en fait à la fois le pivot d’un système de travail et de capital en pleine croissance, mais aussi un moyen de préparer les captifs à leur future vie d’esclave par la terreur. Paradoxalement, il est aussi l’endroit où sont nées de nouvelles pratiques de subversion qui donnèrent naissance aux cultures africaines-américaines et panafricaines : « des cultures rebelles, résistantes et porteuses d’un message de vie. » Une lecture éprouvante, donc, mais nécessaire pour comprendre certains enjeux mémoriels actuels ainsi que la problématique plus vaste de la perpétuation du racisme.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Figure emblématique des mouvements libertaires, la confrérie des pirates n'a cessé depuis des siècles, d'alimenter les imaginaires collectifs. Ces bandits, irrémédiablement représentés avec un bandeau, une jambe de bois, une boucle à l'oreille ou un perroquet sur l'épaule, ont fasciné des générations d'écrivains tant pour leur esprit rebelle que pour leur quête de liberté. Bête noire des flottes marchandes ou militaires, ces scélérats des mers (cf. titre original de l'ouvrage : Villains of all nations) ont semé la terreur sur tous les océans du monde au XVIIe et début du XVIIIe siècle (principalement aux Caraïbes, dans le Golfe de Guinée et à Madagascar). Pillant les navires et vivant au jour le jour de leur butin, ces Robins des bois des mers d'abord instrumentalisés par les couronnes d'Angleterre, de France et de Hollande pour contrer l'expansion coloniale portugaise et espagnole, ont fini par devenir indésirables : navigant sous les couleurs du macabre "Jolly Roger", les flibustiers dérangeaint par leurs moeurs dissolues et leur sauvagerie. Mais ce qui leur était reproché avant tout, était leur contrôle indiscutable des axes maritimes stratégiques de la marine marchande et de la traite négrière. Si les grands empires européens sont parvenus à mettre fin à leur activité en 1726, date de la fin de l'âge d'or de la piraterie, ces marins mutins souvent saoulés au rhum, ont laissé une empreinte durable héritée de leur code d'honneur : témérité et intégrité ne sont-ils pas leur mot d'ordre? N'ont-ils d'ailleurs pas été les premiers à instaurer un système social et égalitaire ? N'ont-ils pas été les premiers à revendiquer la non-appartenance à une nation ? N'ont-ils pas choisi une vie certes périlleuse mais placée sous le signe de la solidarité et de la liberté ? N'ont-ils pas enfin été des centaines à perdre leur vie pour défendre l'honneur du drapeau à tête de mort ? C'est à ces quelques questions que Markus Rediker, en tant que spécialiste du sujet, se propose de répondre...



Charles Bellamy résume très clairement l'esprit pirate par les mots suivants : "Maudit sois-tu, tu n'es qu'un lâche, comme le sont tous ceux qui acceptent d'être gouvernés par les lois que des hommes riches ont rédigées afin d'assurer leur propre sécurité. Ils nous font passer pour des bandits, ces scélérats, alors qu'il n'y a qu'une différence entre eux et nous, ils volent les pauvres sous couverts de la loi tandis que nous pillons les riches sous la protection de notre seul courage." (extrait de la quatrième de couverture). Que ce soit Barbe noire (Edward Teach), Batholomew Roberts, Calico Jack Rackham ou William Fly, qu'il s'agisse d'Anne Bonny ou Mary Read, tous ces célèbres pirates se sont démarqués par leur courage et leur ténacité face aux autorités impériales. Obéissant uniquement à leur code déontologique et oeuvrant sans relâche à la gloire du drapeau noir, ces assoiffés de la vie, ainsi que nous le montre Rediker, se plaisaient paradoxalement à défier la mort elle-même. Si l'image qu'ils véhiculent dans la culture populaire actuelle a encore tant d'impact (cf. les livres, les films, les jeux, les pirates informatiques ou le mouvement politique pirate), c'est bien le signe de leur influence durable. Ces scélérats n'étaient certes pas des enfants de coeur mais ils agissaient dans un souci de fraternité et d'égalité dont peu de communautés peuvent se targuer. Leur fierté mais aussi parfois leur cruauté n'est pas toujours bienveillante. Markus Rediker transmet toutefois une fascination et un respect contagieux pour les pirates malgré leurs travers et leur excès : symbole incarné et prégnant du contre-pouvoir à la sauce boucanier, les bandits des mers racontés par le spécialiste américain donnent à voir un idéal élevé auquel on se prend tous à croire. Dommage que l'étude s'enlise parfois dans de fastidieux chiffrages ou énumérations qui enlèvent un peu de la magie du récit. Dommage également que l'auteur reste enfermé dans un style par trop académique qui ternit un peu l'histoire brûlante des pirates. Mais ne vous arrêtez pas à ces infimes détails qui vous priverait d'une lecture captivante : battez donc pavillon noir et partez à l'abordage de cette sympathique étude !
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Les pirates sont des bandits sociaux (comme aurait dit Hobsbawm) : ils luttent pour la liberté. Ce sont des anarchistes qui ont un idéal de justice.

Ah la belle aventure.

Quand je serai courageux et que je n'aurai plus le mal de mer, moi aussi je serai pirate !
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Les pirates ont toujours fasciné et continuent de travailler notre imagination, que l'on soit enfant ou adulte, leur histoire, leur mode de vie, émoustille notre intellect. L'auteur est un fin connaisseur de la piraterie et nous invite à partager sa passion, en focalisant son écrit sur la période "reine" de la piraterie, à savoir la première partie du XVIII ème siècle. On comprend, un peu trop clairement d'ailleurs, que l'auteur éprouve plus qu'une sympathie pour ces écumeurs des mers. Si l'on imagine aisément que la discipline de fer des marines militaire et marchande de l'époque ont poussé plus d'un marin à se placer sous le Jolly Roger, on ne partage pas forcément l'idéalisation du pirate que l'on peut percevoir en fermant ce livre. L'analogie entre le pirate du XVIIIème et l'idéalisme égalitaire et prolétaire reste quelque peu, à mon sens, hasardeux. Les sabreurs sans Dieu ni Maître ne font pas forcément de vrais Robin des mers...Le livre donne en tout cas envie d'aller plus loin, et on se prend à seriner quelques mots bien sentis si l'on est pris d'un élan de misanthropie passagère: "Mille milliards de mille sabords, serpent des Mers! Jus de mousse avarié, arrière Naufrageur!
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L'hydre aux mille têtes : L'histoire cachée de ..

Cet ouvrage nous propose une contre-histoire ou histoire complémentaire du développement du capitalisme au XIIe et XIII e siècle. La thèse:

La découverte du Nouveau monde et le développement des possibilités de navigation ont permis le décollage et la prise de pouvoir d'une nouvelle classe, la bourgeoisie, et avec elle l'essor du capitalisme moderne. Pour se faire, les élites marchandes ont organisé d'immenses déplacements de population pour coloniser le Nouveau monde et structurer des sociétés optimisées pour le profit. Le plus connu est bien sûr la traite négrière. On découvre ici le déplacement des irlandais qui, après avoir été délogés par la privatisation des terres, se sont vu promettre le paradis par l'émigration pour finalement obtenir un statut guère meilleur que celui des esclaves africains. La propagande envoya ainsi tout une part de la population de la Grande Bretagne, dont une majorité d'exclus sociaux ou religieux, vers l'Amérique afin de les exploiter.

Face à cela, les auteurs nous décrivent les réponses imaginés par ces exploitées, les unions hétéroclites qui se sont formés, les rébellions, les contre-sociétés, les espoirs et déceptions de ces mouvements.

Passionnant, ça brise beaucoup d'idées reçues: les pirates noirs étaient légions, les esclaves pouvaient être blancs, les femmes avaient un rôle révolutionnaire majeur, de nombreux religieux étaient en première ligne contre cette société de l’oppression, des micro-sociétés atypiques, mélangeant tous ces peuples, sont nées avec des idéaux très éloignés du monde du profit, la piraterie, considérés comme des prédateurs dans notre imaginaire donc ultra-libéraux, s'est avéré être au cœur de la contestation du capitalisme.

Cependant, le livre est dense et détaillé (520 pages) On navigue dans les périodes historiques, de pays en pays, avec des personnages historiques méconnus des novices. Le texte fourmille d'exemples souvent redondants et de références à des textes inconnus.

En résumé, l'ouvrage est un travail universitaire difficile d'accès mais d'un intérêt incontestable.
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

L’auteur est un historien, mais le style est assez littéraire et facile à lire. Le contenu est passionnant pour qui cherche dans la piraterie autre chose que des aventures hautes en couleur. On y découvre une lecture sociale de la piraterie (du moins de son âge d’or antillais) qui est replacée dans un contexte géopolitique, économique… Seul bémol, j’avais parfois trouvé une certaine propension à porter un regard orienté sur la piraterie, notamment en ce qui concerne le rapport des pirates aux noirs, aux femmes, à l’homosexualité. Non pas que j’y ai vu de mensonges, mais une certaine tendance à n’insister que sur les faits qui vont dans la direction choisie. Cependant, c’est un ouvrage majeur que je conseille sans réserve à qui ne veut pas seulement rêver ou découvrir mais souhaite en plus comprendre la piraterie.



Critique extraite d'un dossier sur la littérature maritime, publié sur le blog R2N2
Lien : https://romancerougenouvelle..
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Une étude très bien documentée sur ce que furent réellement les pirates et ce qu'ils représentèrent. L'ouvrage se concentre principalement sur le premier quart du dix-huitième siècle et la région des Caraïbes ainsi que sur la côte ouest de l'Afrique. Sont exposés tout aussi bien la vie à bord des navires que le contexte historique et les enjeux politiques; éléments de compréhension essentiels si l'on veut aller au-delà du folklore et des clichés.

Ainsi, on apprendra que les principales cibles de ces affreux pirates furent les bateaux négriers appartenant aux grands marchands d'esclaves basés à Londres. Honorables hommes d'affaire qui émargeaient souvent au Parlement anglais et usèrent de toute leur influence pour organiser la répression contre ces trouble-fêtes. Ces irresponsables, en effet, non contents de s'emparer des bateaux, libéraient les esclaves entravés au fond des cales, les traitant en égaux.

Quand on sait l'importance que prit l'esclavage en ces moments fondateurs du capitalisme moderne, on comprend la colère de ces honnêtes commerçants de l’establishment, frustrés dans leurs espoirs de gras bénéfices tirés du trafique d'êtres humains.

Tout sera fait alors pour donner des pirates la plus épouvantable image possible : violeurs, assassins, ennemis de la religion, déments sans foi ni patrie. D'autant plus que ces incontrôlables recevaient souvent un très inquiétant soutien populaire, les bougres ! Vraiment inexcusables.

De plus, ils avaient de scandaleuses habitudes de partage équitable du butin et de démocratie directe, élisant et destituant à leur guise leurs officiers : les monstres !

Comment concilier cela avec le profit dont tout le monde sait qu'il nait de l'asservissement ?

Un mot concernant cette édition française dont l'on regrettera l'illustration médiocre, pas vraiment à la hauteur de l'ouvrage.

Un extrait de la belle préface de Julius Van Daal :

"Nul parfum de "nihilisme" avant la lettre dans les dilapidations effrénées et l'intrépidité vertigineuse qu'ont décrites des chroniqueurs offusqués par cette fast life, ce vivre-vite jugé absurde, voire démoniaque. Bien au contraire : de cette fulgurance anarchique, de cette imprévoyance délibérée naissaient une volonté commune, une cohésion rebelle. Et ce goût du renversement se révélait propice à l'accomplissement des plus beaux exploits au détriment des ennemis de la liberté. Cette quête d'une vraie vie sur les eaux tumultueuses du négatif constituait une mise à nu tragique du système marchand, une réponse railleuse à son extension planétaire, une sagesse en mouvement. Dans le secteur hautement stratégique de l'offensive capitaliste qu'était alors le transport maritime, les pirates critiquaient en actes les aberrations du principe de rentabilité - et les âmes d'épiciers, les esprits policiers s'en trouvèrent à jamais désolés."
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Une analyse vraiment intéressante et sympa sur la troisième période de la piraterie entre 1716 et 1726. C'était super agréable à lire et vraiment passionnant. On passe par les raisons que les marins ont "de se mettre à leur compte" à l'analyse des conséquences économiques de leurs méfaits en passant par les femmes pirates. Non vraiment, c'était super passionnant !
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À bord du négrier : Une histoire atlantique d..

Les chiffres sont rappelés par l’auteur : en quatre siècles, plus de 12 millions d’être humains furent déportés pour la partie transatlantique de la traite, le commerce triangulaire et la traversée ou le passage du milieu sur les bateaux négriers appelés guineaman ; près de 2 millions d’entre-eux moururent avant d’avoir atteint les Amériques. L’ouvrage se concentre sur les années 1700 à 1808 car c’est pendant cette période que le plus d’esclaves furent déportés, à peu près deux tiers du total. A la fin du 18ème siècle, soit de 1787 à 1806, presque 500 navires de tailles variées, sortirent des chantiers de Liverpool.

Il décrit la nature des captures des futurs candidats à l’esclavage, majoritairement issus de conflits tribaux entre différentes ethnies. Les chefs de villages vendaient les captifs contre verroterie, armes, tissus, alcool.

Il décrit la composition de l’équipage : le capitaine, un médecin, un charpentier, un tonnelier, un cuisinier et des marins, équipage bigarré qui doit vivre et composer pendant plusieurs mois avec des captifs multiethniques, hommes enchainés femmes et enfants. La maltraitance n’épargne personne quand le capitaine est violent, ce qui est fréquent. Les causes de décès à bord sont de plusieurs ordres : rébellion, maladie, maltraitance, suicides, et assassinats. Il est arrivé que des captifs hommes remplacent les marins quand la mortalité de ceux-ci était importante. Un grand nombre de marins ont été abandonnés pour mourir à l’île de la Barbade, malades, victimes de sévices par le capitaine, sans ressources.

Il achève le livre se concentrant sur le travail colossal que firent les abolitionnistes, dont Thomas Clarkson, de 1787 à 1808, date de l’application de la loi qui met fin à la traite en Angleterre (1848 en France). Notamment, il développe le cas du navire le Brooks, construit en 1781, et démantelé en 1804 qui fit environ quinze transports de traite. C’est en utilisant la référence à ce navire que les abolitionnistes firent passer leur message : voir les images de la couverture du livre qui représente la coupe du bateau avec les esclaves couchés et entassés les uns près des autres.

Quatre siècles de ce commerce et ses conséquences, c’est assez difficile à concevoir, cependant, nous sommes tous porteurs-porteuses de cette histoire douloureuse. Amer constat du comportement humain. Aujourd’hui les discours nous abreuvent de ces mots tout en compassion entre repentance et réparation, mais le mal est fait !


Lien : https://www.babelio.com/conf..
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Les Forcats de la Mer : Marins, marchands e..

Deux ans après Pirates de tous les pays, les éditions Libertalia ont enfin traduit la thèse du même Marcus Rediker: Les forçats de la mer. Marins, marchands et pirates dans le monde anglo-américain, 1700-1750. Moins connu, cet ouvrage restera pour moi LA référence sur le sujet. Peut-être un peu moins aisé à lire (il s’agit d’un ouvrage scientifique), Rediker y développe une capacité inégalée à mettre en lumière les rapports de production derrière le sujet. A lire à tout prix.



Critique extraite d'un dossier sur la littérature maritime, publié sur le blog R2N2
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À bord du négrier : Une histoire atlantique d..

À bord d'un négrier, un « guineaman », les esclaves étaient parqués sur le pont inférieur et « attachés ensemble comme des petites cuillers », selon l'expression de l'époque, allongés sur le côté sur une plateforme, avec, au-dessus d'eux, insuffisamment d'espace pour s'asseoir, et aucun espace devant eux, ni derrière. Les fers leur déchiraient la peau des chevilles, si bien que chaque mouvement était douloureux. Se rendre au baquet pour uriner ou déféquer, enchaîné à un autre esclave qui souvent ne parlait pas sa langue, représentait une épreuve terrible, qui fut la cause d'innombrables altercations. Ainsi allongés, les esclaves passaient de nombreuses heures, suffocant dans la chaleur torride des tropiques, dans une atmosphère pestilentielle. le guineaman demeurait le long de la côte ouest-africaine de cinq à sept mois, le temps d'acheter assez d'esclaves pour rentabiliser le voyage. Suivaient les deux à trois mois de la traversée de l'Atlantique, le « passage du milieu ». Donc, jusqu'à dix mois de confinement, avec une sortie par jour sur le pont supérieur – ou plus d'une peut-être, je ne sais pas – pour manger, sans doute, et pour bouger, car il fallait garder la « marchandise » en bon état. La notion de « bon état » était toute relative, considérant les conditions de détention. Durant les quatre siècles que dura la traite, le taux de mortalité moyen à bord des négriers fut de 12,1 %. À l'arrivée à destination, en Amérique, peu avant la vente, les corps des esclaves étaient apprêtés par les membres de l'équipage qui leur coupaient les cheveux, appliquaient du nitrate d'argent sur leurs plaies pour les maquiller, teignaient les cheveux gris en noir et leur frictionnaient le torse avec de l'huile de palme.



Les esclaves, face à cette violence inouïe, développaient diverses formes de résistance, en se solidarisant les uns des autres, en développant des moyens de communication, des liens qui remplaçaient les liens de parenté brisés ; en se réappropriant leur corps, par le refus de manger, le suicide, la mutinerie. Les tentatives de suicide étaient si fréquentes qu'un filet était disposé tout autour du bastingage pour empêcher les esclaves de sauter par dessus bord. Chaque échec, comme chaque refus de se soumettre, était puni par la torture : le « chat à neuf queues », les poucettes, le redoutable speculum oris pour enfoncer la nourriture dans la gorge…



Les marins aussi subissaient fréquemment la torture, parfois jusqu'à en mourir. Le capitaine de guineaman John Newton – à qui on doit la chanson Amazing Grace ! – les a décrits comme les « rebuts et la lie de la nation ».



L'ordre tyrannique maintenu à bord des négriers s'appuyait sur une terreur qui déferlait en cascade, depuis le capitaine jusqu'aux esclaves, en passant par les officiers et les marins. Un système de déshumanisation pensé, créé, voulu par les marchands – qui préféraient toutefois ne pas y regarder de trop près – et qui a profité au capitalisme atlantique.



Cet ouvrage solidement documenté ne couvre pas les quatre siècles que dura la traite négrière, mais seulement le XVIIIe siècle qui en a marqué l'apogée, au cours duquel les guineamen anglais et américains ont transporté à eux seuls trois millions d'esclaves. Rediker, utilisant de nombreuses sources primaires, privilégie une approche qui cherche à donner des visages à cette histoire de la traite, à l'incarner dans des vies, des souffrances, des cruautés qui furent réelles. Comme s'il reprenait la stratégie de l'abolitionniste Thomas Cooper qui, à la fin du XVIIIe siècle, affirmait : « Seule une détresse particulière – et la description des circonstances qui lui ont donné naissance – peut exciter la compassion ». Dans sa conclusion, Rediker pose la question qui n'a cessé de me tourner dans la tête tout au long de ma lecture : « Qu'est-ce que les descendants [des marchands d'esclaves], leurs familles, mais également leur classe, leur gouvernement et les sociétés qu'ils ont contribué à construire – doivent aux descendants de ces populations asservies ? C'est une question compliquée, mais la justice exige qu'elle soit posée, et qu'on y réponde si nous désirons jamais nous défaire du fardeau de l'héritage de l'esclavage ». Cette question est absolument dans l'esprit de notre époque.
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Faire face à la mort comme condition nécessaire à la liberté.



Pour être tout à fait honnête, c'est à la préface que j'attribue la note maximale. Elle réussi l'exploit de fournir des informations passionnantes tout étant très poétique.



La préface est si riche que le reste du livre n'a pas grand chose à apporter d'autre. Certes l'essai approfondi très bien les thèmes déjà abordés mais de manière assez pénible et beaucoup trop longue. Les 300 pages n'étaient selon moi pas nécessaires.



Même si 100 pages avec ces informations m'auraient parues bien plus digestes, il n'en reste pas que cet essai est riche en découvertes.
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À bord du négrier : Une histoire atlantique d..

Cet ouvrage est passionnant et se lit comme un roman. « A bord du négrier, une histoire atlantique de la traite » (éditions du Seuil) est un livre indispensable si l’on veut comprendre les mécanismes de la traite transatlantique dans toute sa complexité, et sortir des schémas préétablis.
Lien : http://culturebox.francetvin..
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Marcus Rediker est un érudit dans le domaine de la piraterie. Passionné depuis longtemps par le sujet, il livre cet ouvrage, pas trés long mais passionnant…



Et à travers ce livre, Rediker s’intéresse plus particuliérement à l’âge d’or de la piraterie. Celle de Barbe Noire par exemple. Mais il offre surtout une vision différente de ce que l’on pouvait attendre. Les pirates n’étaient pas tous des monstres sanguinaires. En fait, bien que hors la loi et amateur de boissons, et tuant si nécessaire, ils n’étaient pas forcément des monstres mais des marins ayant choisit de vivre à leur compte, sous la seule banniére du Jolly Roger. Alors bien entnedu, pour cela, ils pillaient des navires marchands. Et dans le lot, certains pirates étaient en effet sanguinaire. Mais pas tous. Ainsi, le livre va s’attarder sur l’organisation des pirates, leur hiérarchie, leur impact sur le systéme impact, la chasse qui leur fut donné par les états, les pendaisons. Mais pour autant, il ne s’agit pas d’un listing de faits et de dates. Le tout est raconté, parfois de maniére un peu romancés, pour donner une cohérence à l’ensemble. Le résultat est passionnant et se conclut par deux entretiens avec l’auteur, autour de ce livre mais aussi de ses autres oeuvres. Une belle découverte !
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Un activiste des Lumières : Le destin singuli..

Marcus Rediker nous livre un travail d'historien fouillé sur une figure historique passionnante et avant-gardiste bien que méconnue : Benjamin Lay.



La première anecdote évoquée en introduction nous figure immédiatement la singularité de cette figure historique et la force de ses engagements. Il fut l'un des premiers à lutter ardemment contre l'esclavage, et n'hésitait pas à se livrer à un "théâtre de guérilla" que l'on pourrait assimiler à de véritables "happenings" de nos jours.



Ce livre a aussi les qualités de ses défauts. La première partie qui revient longuement sur les sources quakers mentionnant Benjamin Lay en Angleterre est un peu "lourde" à lire de mon point de vue. Elle est toutefois nécessaire tant elle éclaire son parcours, sa foi religieuse inébranlable et son antinomisme.



L'ensemble n'en reste pas moins captivant. Cet activiste m'était totalement inconnu alors qu'il était précurseur sur bien des points : abolitionniste, végétarien, défenseur des animaux, opposé à la peine de mort, environnementaliste, etc. Et il adopta un mode de vie en adéquation avec ses valeurs.



L'auteur parvient à recontextualiser une époque qui rend ce personnage encore plus avant-gardiste et inspirant.
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Pirates de tous les pays : Sous le pavillon..

Livre très intéressant où on découvre les pirates sous un visage bien différent de celui communément diffusé par les médias
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