Dans un style à la fois lyrique et incisif, Margaret Mazzantini décortique une passion amoureuse et livre une réflexion subtile sur l'homosexualité. Un coup de maître, dans la lignée de son premier succès "Écoute-moi".
La poésie est une partition, elle rend compte de la musique des choses invisibles... de la nuit, du vent, de la nostalgie.
" Venir au monde"
Il y a des choses. De petites choses que je n'oublierai jamais et qui, quoique infimes, conservent plus de force que le reste.
Gemma : Toujours aussi heureux ? Comment est-ce possible ?
Diego : Facile, je n’ai aucun talent pour la tristesse.
On ne guérit jamais de ce qu’il nous manque, on s’y adapte, on se raconte d’autres vérités. On cohabite avec soi-même, avec la nostalgie de la vie.
Angelina sait ce que recommencer veut dire. Se retourner et ne plus rien voir, rien que la mer. Tes racines englouties par la mer, sans aucune raison acceptable.
Angelina a appris à vivre avec l'irrationalité des hommes. Rien qu'à voir l'image de ce dictateur [Mouammar Kadhafi, Lybie] portant turban et lunettes de soleil [...] C'était quoi, ce visage ? Ces cheveux comme des araignées gorgées d'encre.
Pendant onze ans, Angelina a été arabe.
C'était juste avant l'adolescence. Cela n'a duré qu'un moment. Un coup de pied dans le ventre.
Il y a quelque chose qui n'appartient qu'au lieu où l'on est né. Tout le monde ne le sait pas. Il n'y a que ceux qui en sont arrachés de force qui le savent. [...] Une douleur qui te cloue et te fait haïr les pas que tu feras ensuite.
Il y a quelque chose qui n'appartient qu'au lieu où l'on est né. Tout le monde ne le sait pas. Il n'y a que ceux qui en sont arrachés de force qui le savent.
Le 25 juillet, depuis la grille beigeasse, la radio annonça la chute de Mussolini. Dans la rue résonnait la joie des autres. Tant d'autres ! Si nombreux ? Défaitistes. Et où étaient-ils auparavant ? Elle avait toujours eu le sentiment d'un soutien unanime, sans faille. Où étaient-ils cachés, tous ces subversifs ? "Pauvres de nous, pauvres de nous...", marmonnait-elle angoissée, dans un coin, le visage trempé de sueur et de larmes.
Elle a traversé des périodes de désespoir, d'intense frayeur. Maintenant elle n'attend plus que son destin. Le dernier visage de l'histoire. Elle le guette, elle le cherche, la chair rongée par les éclats de sel, dans un endroit qui n'a plus d'horizon. Il n'y a que la mer. La mer qui devait apporter le salut et qui n'est plus qu'un cercle de feu mouillé. Un cœur noir.
Vito regarde la mer. Un jour sa mère le lui a dit. Sous les fondations de toutes les civilisations occidentales, il y a une blessure, une faute collective. Sa mère n'aime pas ceux qui revendiquent leur innocence. Elle fait partie de ces gens qui veulent assumer les actes commis. Victo pense que c'est une forme d'orgueil. Angelina dit qu'elle n'est pas innocente.Elle dit qu'aucun peuple qui en a colonisé un autre n'est innocent. Elle dit qu'elle ne ne veut plus nager dans cette mer où des bateaux coulent.
Au printemps naissaient de nouvelles dunes, rosées et pâles. Des vierges de sable. Le ghibli en feu approchait, escorté par le gémissement rauque d'un chacal. Comme des esprits voyageurs, de petits tourbillons de vent plissaient ça et là la surface du sable. Puis des rafales rasantes, aussi affilées que des cimeterres. Une armée ressuscitée. En un rien de temps le soulèvement du désert dévorait le ciel. La frontière avec l'au-delà n'existait plus. Les Bédouins se recroquevillaient sous le poids de cette tempête grise.