Le secret d'une sexualité épanouie - Dialogue avec Margot Fried-Filliozat
Jouir, en revanche, c’est accéder à un état de conscience expandue. Corps et esprit sont absorbés par l’expérience ; peurs, anxiété et complexes s’évaporent. La petite voix en nous, qui habituellement doute et contrôle, se met en pause. Notre corps prend le dessus, c’est lui qui guide la danse. Nous entrons en transe. Extase et relâchement prennent place. Le plaisir se ressent dans chacune de nos cellules.
Pour atteindre des sommets et en saisir chaque subtilité, nous avons besoin de mots ! Dans la sexualité, la dégustation du vin comme dans tous les éléments de la vie, notre incapacité à exprimer ce que nous ressentons, même les sensations les plus ordinaires, limite notre capacité à ressentir pleinement l’extraordinaire.
Fraise ou caresse sexuelle, le chemin est le même. Nous goûtons. Si le plaisir est là sans l’ombre d’un nuage, notre cerveau enregistre l’information et en aura envie à nouveau. C’est ainsi que fonctionne le désir : il est guidé par le plaisir. Penser à l’intimité d’un contact sexuel a le potentiel de produire en chacun de nous le même effet que notre mets préféré – une salivation immédiate, un désir quasi irrépressible.
Le désir est comme un canari – ce petit oiseau hypersensible aux émanations de gaz dont le chant servait d’indicateur de la qualité de l’air aux mineurs. S’il ne chante pas… c’est que quelque chose cloche. Dans la sexualité, si cette sensation n’est pas au rendez-vous, une exploration est à mener. Observer notre première réaction à l’idée de la sexualité donne de précieuses informations. Nos sensations ne mentent pas.
La sensation est nouvelle, différente, surprenante. Je me sens saisie. Une ligne de chaleur irradie le long de mes cuisses écartées, traversant mes pieds jusque dans mes orteils. Tout mon corps est détendu, immobile, muscles relaxés. En apparence, c’est le calme plat, mes paupières sont closes, mon visage est détendu et mon souffle profond et régulier, mais à l’intérieur de mon corps, tout bouillonne. De mon clitoris, là où est délicatement posé son doigt, émane une sensation de brûlure intense qui emplit le bas de mon ventre, ma poitrine et qui se diffuse dans mes jambes. Mon cœur bat la chamade. Je suis surprise de l’intensité de ce que je suis en train de vivre. Chaque caresse est légère, précise, comme si mon partenaire savait à l’instant près ce que je ressentais et suivait ce que mon corps lui disait. Comme si ce n’étaient pas ses caresses qui créaient les sensations, mais les sensations qui informaient ses caresses.
Étymologiquement, le mot « jouir » vient du latin gaudere , qui signifie se réjouir, profiter, goûter, savourer . Là est toute l’essence de la jouissance. Le mot évoque un état de joie. La joie est l’émotion du sens de la vie. Nous, humains, avons le besoin profond que nos expériences aient du sens… aux différents « sens » du terme. Sur le plan directionnel, nous savons où nous allons et pourquoi. Nos actions et gestes, dans la vie de tous les jours, comme dans la sexualité, ont une raison d’être. Ils portent une certaine valeur dans la sexualité lorsqu’ils nous rapprochent de notre partenaire, créent de l’intimité, permettent de partager de l’amour, du respect, de la tendresse. Ou lorsqu’ils nous permettent d’être plus profondément connecté·e à nous-même. Ou encore lorsqu’ils sont faits en conscience et présence, en portant attention à nos sens physiologiques, nos ressentis.
Ressentir, dans la sexualité, ce n’est pas seulement porter son attention sur le plaisir ou sur le moment de l’orgasme. C’est aussi être attentif·ive à ses émotions, aux sensations de joie, de sécurité, de partage, etc. Ce sont nos ressentis corporels qui nous permettent de vivre pleinement ces expériences fondamentales de la sexualité. Dans certaines familles, comme celle de Laurie, les émotions sont taboues. Elle décrit ce que nombre de personnes ont vécu : « Avec mon père et ma belle-mère, les émotions, ça n’existait et n’existe toujours pas. On parle de la pluie et du beau temps, de l’école, du travail, mais on ne se dit pas je t’aime. Tout ce qui est profond, ou tout ce qui touche au corps, on évite d’en parler. Si quelque chose me blesse ou si je ne me sens pas bien, je le garde pour moi. Je sais que ça ne sera pas bien reçu.
En apparence, c’est le calme plat, mes paupières sont closes, mon visage est détendu et mon souffle profond et régulier, mais à l’intérieur de mon corps, tout bouillonne. De mon clitoris, là où est délicatement posé son doigt, émane une sensation de brûlure intense qui emplit le bas de mon ventre, ma poitrine et qui se diffuse dans mes jambes. Mon cœur bat la chamade. Je suis surprise de l’intensité de ce que je suis en train de vivre. Chaque caresse est légère, précise, comme si mon partenaire savait à l’instant près ce que je ressentais et suivait ce que mon corps lui disait. Comme si ce n’étaient pas ses caresses qui créaient les sensations, mais les sensations qui informaient ses caresses. Je suis sidérée. Jamais auparavant je n’avais eu la sensation que quelqu’un comprenne mon corps ainsi, je n’aurais même pas pu l’imaginer.
Le but n’est pas d’aller à l’orgasme : la seule intention pour chacun·e est d’observer méditativement les sensations dans son corps et au point de contact entre le doigt et le clitoris. Je n’ai pas eu d’orgasme au sens le plus courant du terme, pas d’apogée ni d’explosion. Cette expérience était entièrement autre, transcendant tout ce que je pensais savoir du plaisir. J’étais jeune, certes, néanmoins j’avais eu ma part d’expériences que je considérais jusqu’alors comme pleinement satisfaisantes. J’avais vécu deux relations de couple plutôt sérieuses et eu quelques aventures. Je me sentais libre, je pouvais parler de sexualité facilement, j’avais des orgasmes. Je me croyais épanouie sur ce plan-là. Si l’on m’avait demandé si j’étais sexuellement heureuse, j’aurais répondu sans y penser à deux fois : oui, complètement.
Souvent, les personnes hypersensibles n’ont pas besoin de faire d’efforts pour ressentir : les sensations viennent à elles et s’imposent comme une évidence. Pourtant il est possible d’apprendre à cultiver le choix de l’utilisation de notre attention. Nous ne pouvons pas contrôler ce que nous ressentons.