Charcot se meut dans la joie de l'action qui est communicative, et inventive aussi. Près de lui, un équipage perçoit à la fois sa sécurité d'avoir un chef qui a tout prévu et dont l'ingéniosité n'est jamais à court, et son bien-être moral de se savoir au fond de toutes les préoccupations du maître du navire.
Charcot, souriant et simple comme toujours, écoutait mourir en lui les derniers échos des grandes tempêtes et des angoisses du Sud...
Et puis, le poison de solitude, épars dans l'air ambiant, qui va peut-être s'abattre sur ce petit noyau humain, bouillon de culture trop tentant, et puis les affolantes nuits de tempête, où la glace cogne à coups sourds contre la coque, tandis que les icebergs, fantômes vivants, guettent ces innocents au passage.
Petites Féroé lointaines et menues, déjà vous nous avez livré le secret spirituel qui, des voyages de Jean Charcot, fera ce bloc merveilleux, translucide comme une histoire sans tache et passionnant comme une légende.
D'heure en heure, le pôle malmène plus rudement ses vainqueurs. Il y a la neige qui corrode les yeux, la mystérieuse anémie polaire qui engourdit les membres gonflés, le froid qui brûle comme un fer rouge, les bains glacés involontaires...
En cette époque sensible et nerveuse, remuée de courants divers, où l'opinion s'accrochait avec une ferveur orageuse à des idées ou à des visages, la carence française dans le grand steeple-chase polaire était amèrement ressentie. Peut-être le vengeur de cette humiliation nationale allait-il se lever enfin. Le murmure d'espoir se précise sur les syllabes d'un nom : Jean Charcot.
... Sur le livre éternel des sacrifices, à l'avoir de la France déchirée, s'inscrivirent d'un seul coup toute l'ombre, toute la glace, toute la torture du pôle meurtrier, les larmes enfantines du matelot qui souffre, l'angoisse du chef qui tremble pour les siens et même l'humble douleur des planches vivantes d'un navire, meurtries dans leur obscur devoir...
Des facteurs nombreux vont hausser peu à peu le niveau de l'épreuve. On a demandé aux glaces qui, voici des millénaires, ont étouffé toute vie, de rouvrir pour une heure leur domaine à l'homme. Ce pacte se scelle dans la douleur, et le simple récit du voyage est un long poème d'héroïsme qui s'est écrit en serrant les dents.
1906-1908. Charcot, au seuil d'un second voyage, qui ne saura que nous le révéler davantage, prend son visage définitif, irradie cette force spirituelle et joyeuse qui fera son emprise sur tous ceux qui l'approcheront.
Jean Charcot naquit au seuil d'une destinée exemplaire. Il eut la bonne fortune de trouver dès l'enfance autour de lui l'atmosphère de science, de bonté et d'art qui allait modeler son âme.