Citations de Marguerite Yourcenar (2080)
Quand on passe des heures et des heures avec une créature imaginaire, ou ayant autrefois vécu, ce n'est plus seulement l'intelligence qui la conçoit, c'est l'émotion et l'affection qui entrent en jeu. Il s'agit d'une lente ascèse, on fait taire complètement sa propre pensée ; on écoute une voix : qu'est-ce que cet individu a à me dire, à m'apprendre ? Et quand on l'entend bien, il ne nous quitte plus.
Tout ce qui est provoqué et voulu est en partie faux.
Quand on parle de l'amour du passé, il faut faire attention, c'est de l'amour de la vie qu'il s'agit ; la vie est beaucoup plus au passé qu'au présent. Le présent est un moment toujours court et cela même lorsque sa plénitude le fait paraître éternel. Quand on aime la vie, on aime le passé parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine. Ce qui ne veut pas dire que le passé est un âge d'or : tout comme le présent, il est à la fois atroce, superbe, ou brutal, ou seulement quelconque.
Chaque année, des ateliers fermaient en ville; et Henri-Juste qui se vantait de garder les siens ouverts par chrétienne charité profitait du chômage pour rogner périodiquement les salaires. (Folio 798, p. 35)
.je sais bien que les instincts dont nous sommes fiers et ceux que nous n’avouons pas ont au fond la même origine. Nous ne pourrions supprimer l'un d’eux sans modifier tous les autres
La vérité, si on l'eût dite, eût d'ailleurs dérangé tout le monde. Elle se distinguait fort peu du mensonge. Là où il disait vrai, ce vrai incluait du faux...
Les notions mouraient comme les hommes : il avait vu au cours d'un demi-siècle plusieurs générations d'idées tomber en poussière.
Cette grasse Flamande, rembellie par ses récentes couches, vaine de son teint et de ses mains blanches, gardait une luxuriance de pivoine.
Je ne voudrais pas médire de vos héros grecs,Loukiadis:ils s'enfermaient sous leur tente dans un accès de dépit;ils hurlaient de douleur sur leurs amis morts;ils traînaient par les pieds le cadavre de leurs ennemis autour des villes conquises,mais,croyez-moi,il a manqué à l'Iliade un sourire d'Achille.
Il vivait à peu près claquemuré..., prisonnier d'une ville, et dans cette ville d'un quartier, et dans ce quartier d'une demi-douzaine de chambres donnant d'un côté sur le jardin potager d.un couvent, et de l'autre sur un mur nu. Ses pérégrinations, assez peu fréquentes, à la recherche de spécimens botaniques, passaient et repassaient par les mêmes champs labourés et les mêmes chemins de halage, les mêmes boqueteaux et la lisière des mêmes dunes, et il souriait, non sans amertume, de ces allées et venues d'insecte qui circule incompréhensiblement sur un empan de terre.
Mais ce rétrécissement du lieu, ces répétitions casi mécaniques des mêmes gestes, se produisaient chaque fois qu'on harnachait les facultés en vue de l'accomplissement d'une seule tâche délimitée et utile. Sa vie sédentaire l'accablait comme une sentence d'incarcération qu'il eût par prudence prononcée sur soi-même, mais la sentence restait révocable : bien des fois déjà, et sous d'autres ciels, il s'était installé ainsi momentanément ou, croyait-il, pour toujours, en homme qui a partout et n'a nulle part droit de cité.
Un être jeune doit oublier et doit vivre.
Quand on parle de l'amour du passé, il faut faire attention, c'est de l'amour de la vie qu'il s'agit ; la vie est beaucoup plus au passé qu'au présent. Le présent est un moment toujours court et cela même lorsque sa plénitude le fait paraître éternel. Quand on aime la vie, on aime le passé parce que c'est le présent tel qu'il a survécu dans la mémoire humaine. Ce qui ne veut pas dire que le passé soit un âge d'or : tout comme le présent, il est à la fois atroce, superbe ou brutal, ou seulement quelconque.
il n'est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes.
Je condamne l'ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu'on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J'ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l'éducation de l'enfant. Je pense qu'il faudrait des études de base, très simples, où l'enfant apprendrait qu'il existe au sein de l'univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu'il dépend de l'air, de l'eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire. Il apprendrait que les hommes se sont entre-tués dans des guerres qui n'ont jamais fait que produire d'autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil. On lui apprendrait assez du passé pour qu'il se sente relié aux hommes qui l'ont précédé, pour qu'il les admire là où ils méritent de l'être, sans s'en faire des idoles, non plus que du présent ou d'un hypothétique avenir. On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation sexuelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts. On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n'osent plus donner dans ce pays. En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celles du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d'avance certains odieux préjugés. On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l'imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs. Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu'on ne le fait. (p. 255)
En vain, Zénon lui rappelait que les astres inclinent nos destinées, mais n’en décident pas, et qu’aussi fort, aussi mystérieux, réglant notre vie, obéissant à des lois plus compliquées que les nôtres, est cet astre rouge qui palpite dans la nuit du corps, suspendu dans sa cage d’os et de chair.
Mais Erik était de ceux qui préfèrent recevoir leur destin du dehors, soit par orgueil, parce qu’il trouvait beau que le ciel lui-même s’occupât de son sort, soit par indolence, pour n’avoir à répondre ni du bien ni du mal qu’il portait en lui.
- Un autre m'attend ailleurs. Je vais à lui.
- Qui ?
- Hic Zeno. Moi-même.
Rentré chez lui, il s'était dit qu'il était temps de tâter à son tour de la rondeur du monde. Le futur connétable hésita s'il s'enrôlerait dans les troupes de l'Empereur ou dans celles du roi de France; il finit par jouer sa décision à pile ou face; l'Empereur perdit.
N'ayant plus rien à attendre de la vie, il se lançait vers la mort comme un achèvement nécessaire
le 8 de ce mois de février 1986, avant l'aube,
un très cher ami de trente six ans (Jerry Wilson) avec qui je
voyageais depuis environ 7 ans est mort.
Outre l'immense chagrin de cette vie trop tôt finie,
je sens en moi aussi une cassure irréparable. p 670
Je n'ai pas pu le rejoindre à temps, ce dont je ne me
console pas.
la difficulté n'est pas d'écrire un journal mais
de ne pas jeter au panier, par irritation ou
dégoût, ce qu'on a écrit quelques années plus tôt