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Critiques de Maria Soudaïeva (4)
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Slogans

REVEILLEZ-VOUS! Voilà ce que semble nous dire ou plutôt nous hurler ce long poème qu'est "Slogans" de Maria Soudaïeva. Poétesse russe inconnue, découverte et traduite par Antoine Volodine, Maria Soudaïeva serait née en 1954 et se serait suicidée en 2003. C'est Antoine Volodine qui aurait récupéré le manuscrit de "Slogans" après la mort de Maria. Seulement voilà, beaucoup ne croient pas à l'existence de cette auteure dont il n'existe aucune photographie ni aucun document officiel et Maria Soudaïeva serait, pour les sceptiques, un hétéronyme d'Antoine Volodine. Un mystère entoure donc cette oeuvre poétique et politique totalement originale qui déroute et secoue son lecteur.



Le livre se découpe en trois parties comportant chacune 343 slogans, écrits en lettres capitales, numérotés et ponctués d'un point d'exclamation. le mot slogan est ici employé dans son sens étymologique et non dans le sens dévoyé que lui a donné la publicité. "Slogan" est un emprunt linguistique fait à l'anglais qui l'a lui-même emprunté au gaëlique. Il est fait de la contraction de gairm « cri » et sluagh « troupe ». Ce mot est donc un cri de guerre avant tout et c'est bien de guerre dont il s'agit ici. Dans un monde sans partage, un monde violent en même temps qu'indifférent à la souffrance d'autrui, les phrases de Maria Soudaïeva sont un appel à la résistance et au combat.



294-CELLES AUX MAINS QUI TREMBLENT, SORTEZ DES EAUX!

295-CELLES AUX MAINS QUI DÉRIVENT, SORTEZ DES EAUX!

296-PETITES SOEURS DE LA ONZIÈME NUIT, NE PLEUREZ PAS, SORTEZ DES EAUX, FRAPPEZ!

297-NE REVENEZ PAS EN ARRIÈRE, FRAPPEZ!

298-NE PLEURE JAMAIS, NE TE JUSTIFIE PAS, FRAPPE!

299-LA GRANDE NICHÉE T'APPELLE SPLENDEUR, AVANCE, OUVRE LES ECLUSES DES GRANDS RÊVES!

304-PETITES SOEURS BRÛLÉES DANS DES FOURS, RENAISSEZ, GRANDISSEZ, FRAPPEZ!



D'abord déstabilisante, la lecture de "Slogans" devient vite envoûtante et même hypnotisante si l'on en fait une lecture à haute voix. Ce sont des imprécations qui percutent l'oreille et le coeur du lecteur. le rythme saccadé, quasi incantatoire de ces phrases brèves illustre l'urgence de se dresser contre toute forme de tyrannie et d'anéantissement de notre individualité. Nous, lecteurs, sommes apostrophés et replacés devant la réalité de notre histoire, comme en témoigne ce slogan 304. Peut-être ce douloureux rappel fait-il office d'avertissement? Nous devons rester vigilants, n'accepter aucun compromis et ne pas baisser les armes, voilà ce que semble nous dire Maria Soudaïeva à travers ce long cri de colère.



J'avoue avoir ressenti une petite déception en lisant que Maria Soudaïeva était très probablement une poétesse inventée de toutes pièces par Antoine Volodine. le personnage était si beau, si romanesque que j'aurais aimé qu'il soit vrai. Mais plus je lisais ce recueil, plus la force de ces slogans me gagnait. Alors peu importe, au fond, le nom de celui ou celle qui les a écrits. Comme la rage et l'espoir, ces cris appartiennent à tous et pourraient être hurlés dans la rue par des comédiens. Poésie coup de poing , théâtre subversif, "Slogans" est un peu tout cela, c'est un livre fort et inclassable qui se termine sur le plus porteur des messages:



"LES MAUVAIS JOURS FINIRONT!"

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Slogans

Plutôt la mort que la fin de la lutte.



L'ensemble des récits d'Antoine Volodine, et de ceux des autres auteurs incarnés par le même homme, viennent d’un chœur de prisonniers, une communauté carcérale créatrice de fiction, un collectif de raconteurs qui échangent des histoires et veulent les transmettre à l’extérieur des murs. Ces hommes et ces femmes prennent la parole à partir de leur défaite, écrasante, et disent leur rêve de vaincre, et aussi de maintenir la flamme d’une espérance ténue.



Poétesse russe rejetant la société marchande postsoviétique et la corruption mafieuse, personnage de Volodine transformé en auteur, Maria Soudaïeva fait partie de ce chœur.



L’enchainement implacable des slogans de ce livre, trois fois 343 slogans numérotés et ponctués de points d’exclamation qui comme des jets de pierre montrent « le chaos et les souffrances, les espoirs lointains, le tourbillon apocalyptique, l’embrasement suicidaire d’une planète entière », ces appels, ces vociférations, ces mots d’ordre guerriers et souvent hermétiques, sont comme un embrasement qui résonnera très longtemps sous mon crâne.



Un texte d’un noir incandescent, à la mémoire de femmes tuées mentionnées en exergue, signé par Maria Soudaïeva, qui, selon Volodine, s’est donné la mort en février 2003.



GÉRER LES RESTES

84. ACCROUPIS-TOI SANS CESSE DANS LES CENDRES !

85. QUAND TU ES ACCROUPIE, N’AVANCE PAS !

86. QUAND TU ES ACCROUPIE, REGARDE TES RESTES ÉTRANGES ET VA-T-EN !

87. QUAND TU ES ACCROUPIE, ALLONGE-TOI, QUAND TU GIS ALLONGÉE, ACCROUPIS-TOI !

88. SI TU GIS ALLONGÉE, N’EXAMINE PAS TES RESTES ÉTRANGES ET VA-T-EN !

89. SI TU AS ENCORE UN RESTE DE VISAGE, JETTE-LE !

90. SI TU CROIS POSSÉDER DES OS ENCORE, ACCROUPIS-TOI DANS LA CENDRE !

91. SI TU POSSÈDES ENCORE UNE TÊTE, ARRACHE-LA !

92. SI TU AS ENCORE DU LANGAGE EN TÊTE, FAIS LA LISTE DES MOTS ET ENFOUIS-LA !

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Slogans

Opération de sorcellerie évocatoire



La Sudaïeva PPS est le nom d’une mitraillette (« l’arme de la victoire » du siège de Leningrad, dixit Wikipedia). Et il serait aisé de dire les 343 slogans sont autant d’action poétique lancées contre les « responsables du malheur » pour reprendre la lexicologie en cours chez Volodine (j’y reviendrais). Mais ce serait trompeur. Il y a toujours une hésitation chez Volodine sur le passage à l’acte.

Ici comme ailleurs, dans la fiction tissé autour de la fonction auteur, assumée ici par Maria Soudaïeva.

En effet Slogans s’ouvre sur une préface, notice biographique par son traducteur qui met en scène l’auteur : Maria Soudaïeva fut une activiste contre la mafia de la prostitution à Macau, souffrant de troubles psychiques. Elle s’est suicidée en 2003 en ayant remis à Antoine Volodine le manuscrit de ses écrits jamais édités, avec la tâche de les reprendre et de les traduire en « français langue étrangère » comme il le revendique lui-même pour ses propres livres écrits (sous-traduits ?) en français.

Il y a du génie dans cette mise en scène de deux lieux communs de la littérature : d’abord celui de la littérature passée où l’on présentait sous sa pauvre plume de traducteur des œuvres oubliées de poètes inconnus (je songe par exemple aux « Cahiers d’André Welter » de Gide, mais le procédé est en place un peu partout, tiens, ouvrez « les liaisons dangereuses » pour voir). Le deuxième lieu commun est celui de la littérature post-exotique qui a fait du trouble dans l’identité un tropisme central des fictions, et là encore, au cœur de la préface : « je lui avais fait remarquer qu’elle avait tout d’une héroïne post-exotique » (Volodine à Soudaïeva). Et par ailleurs le nom de Maria Soudaïeva se trouve déjà dans « Le post-exotisme en 10 leçons. Leçon 11 » de Volodine, sans ajouter que tous les noms, les images, les scansions, le si particulier « humour du désastre », sont ceux que l’on retrouve depuis « Biographie de Jorian Murgrave »…

Mais au final qu’importe que Maria Soudaïeva ait ou non existé (qui sait), le personnage via la mise en scène de la préface touche à quelque chose d’émouvant, dépersonnalisé par les troubles psychiques, les luttes contre un ennemie sans visage, concourant à créer un recueil pour des voix anonymes.



Car la magie opère. Les sections de 7x7x7 (343) slogans s’enchaînent et déploient cette puissance de « sorcellerie évocatoire » propre à la poésie selon Baudelaire. Volodine préfère Lautréamont parait-il, et cela se ressent dans ces slogans proche du requin et des monstres en tout genre, avec un goût pour le mystère et l’improbable. Lautréamont plaquait dans sa piaule parisienne de grand accord sur son piano toute la nuit – au grand dam de ses voisins – lors de sa composition des Chants de Maldoror. On s’imagine bien quelque chose comme ça, un peu aussi à la Artaud-dernière-période scandant ses textes en frappant un peu partout. Oui, il y a de ces choses-là, mais avec aussi toutes la rhétorique et l’univers post-exotique avec sa cohérence et sa puissance propre.

Et je reste ébloui par le retournement qu’opèrent ces « Slogans ». Reprenant ce qui fut pour le XXe siècle appel aux masses notamment pour les idéologies meurtrières et capitalistes, Soudaïeva en reprend la matrice fondamentale, la force de suggestion, l’incitation, l’ordre délirant pour nous faire rentrer dans les « maisons étranges » de ces slogans sans origines, sans but, et criant à la mort, à la révolution, à la liberté, à la poésie, aux désillusions, aux rêves et à l’égalitarisme à venir, aux mouettes, aux singes, aux méduses et aux araignées, à toutes ces choses qui font la réalité pas si lointaine du post-exotisme et qui résonne furieusement en nous (en moi, disons).

La puissance évocatoire de ces textes les a amenés à être porté au théâtre moins d’un an après sa parution.

A la limite des poèmes, nous dit Volodine en préface. Que de poèmes, Volodine ! Que de poèmes !
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Slogans

Des centaines de slogans d'une guerre oubliée hurlés par une rare incarnation de Volodine...



Maria Soudaïeva est l'une des incarnations d'Antoine Volodine. Moins prolixe que Manuela Draeger, encore plus extrême dans son expression que Lutz Bassmann, elle est l'auteur d'un recueil unique, "Slogans", assemblé et traduit par Volodine après son suicide à Vladivostok en 2003.



La poétesse russe fictive pousse dans ses derniers retranchements la rage des écrivains survivants, pourchassés, désespérés mais toujours combatifs, rage sombre au verbe urgent qui constitue sans doute l'une des grandes clés de l'univers post-exotique de celui qui débuta en 1985 avec la formidable "Biographie comparée de Jorian Murgrave".



Dans une forme radicale (quelques centaines d'incantations et de slogans, politiques ou de combat, sans doute hurlés au cours de l'une de ces guerres perdues qui sont le lot des héros de Volodine, un univers se dessine pourtant, micro-touche après micro-touche, dans lequel la mort attendait, à l'issue, celles et ceux qui n'ont pourtant pas courbé l'échine...



"19. OFFRE SOLENNELLE : CONTRE LA FIN DES SOUFFRANCES DE NATACHA AMAYOQ, RESTITUTION DES DOUZE MÉTROPOLES, RESTITUTION DES HUIT SANCTUAIRES IMMENSES, RESTITUTION DES TERRES PARFUMÉES ! (...)

23. DESTRUCTION IMMÉDIATE DES GIROUETTES BOSSUES ! (...)

169. SOLUTION NOIRE POUR LES VILLES DE LA CÔTE ! (...)

27. SI NULLE NE PRONONCE TON NOM APRÈS TA MORT, DÉGUISE-TOI EN ANONYME ! (...)

148. SI TU NE PEUX PLUS CHUCHOTER AVEC LES YEUX, HARANGUE AU TAMBOUR ! (...)

230. QUAND TU TE DÉSENFOUIS, POURSUIS TON RÊVE ENCORE CENT ANS !"

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