Marie Bardet présente "
Babylift", aux éditions
Emmanuelle Collas dans le cadre de la rentrée littéraire de printemps.
Modération Gwendoline Rousseau, librairie Fiers de lettres
Merci à la librairie Sauramps pour son accueil.
Les enfants du chaos n'ont pas demandé à naître et leur violente innocence n'est à l'évidence coupable d'aucun passif. Mais comment s'arracher à sa mémoire sans s'arracher le cœur ? Comment ne pas répéter à ses dépens les drames que l'on n'a pas vécus, face aux acteurs impassibles des tombeaux ?
Dans le café des havanes, derrière la vitre enfumée, celui qu’elle prenait pour Maksim était un autre. Et ce double, à son tour, par le troublant mimétisme d’un nom, avait arraché à sa mémoire un fantôme. Tandis que la lune baignait les remous d’un éclat de cristal, Maksim avait nié. L’allusion de son frère était sans rapport avec la réalité. Le spectre prend corps, cette fois, sans aucun doute possible. Dans la chambre qui transpire l’amour, il s’invite avec fracas.
L’orage surprend Sean dans la cabane. C’est d’abord le
crépitement de l’averse et un parfum âcre, limoneux,
qui s’immiscent dans son sommeil. L’adolescent rêve
qu’il dort par une nuit profonde, oublieuse, dans la
cavité étroite d’une grotte. Une voix inconnue, mais
infiniment familière, se répercute sur les parois. Est-ce
l’écho du désir de vivre ou bien la voix enténébrée de
la mort ? Tout se fissure à travers les éclairs troubles de
sa mémoire. Le corps, seul, se souvient. Tandis que des
nuages noirs, menaçants, s’accumulent sur la toiture à
claire-voie, le long appel angoissé rejaillit.
Sean se cramponne à cet écho lancinant qui le
retient au bord d’un gouffre.
Au Vietnam, il y a eu des viols, et les métis nés de ces viols, quelle que fut leur couleur de peau, étaient sans doute légion. Comme dans toute guerre, on ne pouvait écarter cette hypothèse. Et après la guerre, est-ce que ça n'était pas encore la guerre dans le corps des femmes ?
Toute proche maintenant, la jetée fait saillie dans la rivière. La traversée touche à sa fin, mais n'est-ce pas plutôt un commencement ? Un désir douloureux, lancinant, la pousse vers ce bras rond qui frôle le sien. Comment dit-on "maman" en vietnamien ? Le fleuve exhale une haleine lourde."Ma" répond l'écho.