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S'il te plaît, emmène-moi chez toi de Marie-Jo Audouard
- Tout le monde est parti, alors ? Et toi, Philippe ? Haussement d'épaules. Mouvement d'impuissance ou de désintérêt. Je répète : - Et toi, qu'est-ce que tu fais ? Haussement d'épaules identique au premier. Je mets la clé dans la serrure, il me regarde faire sans rien dire. Mais le silence soudain me surprend. Il ne sifflote plus. L’œil en coin, j'aperçois les deux mains pendant le long du corps, hors de leurs poches, comme deux petits animaux tout nus et en détresse. Courageusement, tandis que le moteur ronfle, je fais un petit signe d'adieu. Alors, il ouvre brusquement la portière et pose sa main sur la mienne. - S'il te plaît, maîtresse. Ce contact physique est inhabituel venant de lui. J'ai du mal à comprendre la suite, car il pleure. Philippe, le siffloteur pleure, pour de vrai, comme on dit à neuf ans. - Emmène-moi chez toi, maîtresse. Mets-moi dans un coin, je ne ferai pas de bruit... Tu pourras même me battre si tu veux. Ça doit prendre trois secondes de dire ça, pour un gamin. Un vrai gamin de la DDASS. Pas un gamin de cinéma à qui on aurait soufflé son texte pour faire pleurer dans les chaumières. Aucun reportage ne pourra jamais montrer une scène pareille. C'est le genre de phrase que ma cervelle enregistre, en creux, définitivement, indélébilement. Pour toujours. "Tu pourras même me battre si tu veux." Je prends ça en plein cœur, en plein ventre. + Lire la suite |