Pourquoi l'injonction à la maternité est-elle toujours aussi forte ? Marie-Jo Bonnet, historienne et militante féministe, et Chloé Chaudet, maître de conférences en littératures comparées, ont décidé de ne pas avoir d'enfant. Elles nous parlent des contradictions autour de la libre maternité.
Il est clair que ce qui est le plus intéressant chez les êtres est précisément ce qu’ils cachent. Cela constitue une sorte de jardin secret qui donne la clé de bien des énigmes. Je parle d’énigmes au pluriel car il n’y a pas de raison qu’elle cache une seule dimension de sa vie. Les rêves qu’elle rapporte dans ses Mémoires – elle ne s’intéresse pas à l’inconscient, mais elle rêve – sont là pour le prouver. Et elle les écrit comme des textes énigmatiques qu’elle fait mine de ne pas comprendre. Il serait étonnant, en effet, qu’une femme aussi intelligente ne soit pas capable de déchiffrer les récits de rêves qu’elle nous livre, comme un aiguillon pour aller plus loin.
On remarquera qu’elle emploie le mot « translucide », et non transparent, comme si l’inconscient lui avait soufflé que le plus important est de deviner ce qui se passe chez l’autre, d’être lucide et mieux encore clairvoyant, plutôt que transparent. La translucidité suppose une certaine opacité des objets, tout en laissant passer la lumière. Elle se réserve des zones floues, diaphanes, de libertés à libertés. Car la liberté n’existe pas en soi. Elle suppose des règles, un contexte d’obligations envers l’autre qui fondent l’échange amoureux et le justifient. C’est la façon de reconnaître l’autre comme sujet.
Zaza est ce qu’on appelle un tempérament sensible. Profondément artiste, capable de reconnaître son « paysage intérieur » dans une petite huile de Matisse découverte à la galerie de peinture moderne à Berlin, lors du séjour qu’elle y fait durant l’hiver 1928-1929 ; émue devant « la profondeur de pensée » des paysages de Cézanne exposés à la galerie du Luxembourg, à Paris ; musicienne accomplie. Âme loyale, pure et délicate, Zaza est également quelqu’un qui ne sait pas mentir, ni cacher la vérité, même à sa mère, à qui elle voue un véritable culte.
« On ne naît pas femme, on le devient. » Toute sa vie, elle fera en sorte de ne pas « devenir femme ». Officiellement du moins. Car si elle refuse le mariage et les enfants, elle n’en désire pas moins des femmes, paradoxe qui explique probablement l’étrange fascination qu’exerce son œuvre. Derrière la clarté de l’énoncé philosophique grouille une vie aux multiples désirs et aux appétits insatiables. La féminité est peut-être un mythe, mais elle a aussi du bon.
La jalousie nourrit-elle la tendresse ou le dégoût ? Voilà qui n’est pas simple à démêler. Il est certain en tout cas que cette constellation amoureuse complexe éveille chez Beauvoir des pulsions destructrices qui se donneront libre cours pas seulement dans ses romans, mais aussi dans sa façon de nier officiellement toute relation sexuelle avec des femmes, comme si cela pouvait mettre en danger le couple d’intellectuels.
« L’horreur, c’est pire que le passionnel, mais la tristesse, la morosité, c’est clément à côté de cette tension, de ces refus, de ces obstinations de la passion »
Si j’étais née homme, peut-être aurais-je été un grand pervers, ça doit sûrement procurer de vifs plaisirs de coucher avec des femmes très jeunes et d’être aimé d’elles, mais à la vérité je les aurais vite laissées tomber, […].
"Si ces gestes gratuits, donnés par des inconnues comme par des amies, deviennent inoubliables au regard des violences gratuites qui structurent le monde totalitaire du camp de concentration, c'est peut-être parce qu'ils revigorent la pulsion de vie. Indéniablement, c'est dans la tendresse que les femmes vont chercher la force de survivre. Que celle-ci soit maternelle, sororale, érotique ou provenant de l'amie de cœur, elle est un atome agissant de la puissance d'amour dont parle Odette Abadi."
Car l'armée est un élément essentiel de la souveraineté nationale. De Gaulle en a tellement conscience que tout son effort vise à introduire des divisions françaises dans l'armée alliée, comme en Italie, où la victoire du général Juin redonne une crédibilité militaire à un pays vaincu quatre ans plus tôt par les Allemands et qui, comble de l'opprobre, a signé l'armistice avec Hitler dans des conditions honteuses.
[p20-21]

Il fallu plus d'un mois aux Alliés pour libérer Caen, alors que le plan initialement prévu pensait la prendre au soir du 6 juin. Comme l'écrira délicatement l'historien britannique A. Beevor: "L'hésitation de Montgomery à risquer des pertes en Normandie n'a cessé d'alimenter la critique !" Des pertes militaires, faut-il préciser ! Car les plans d'Overlord n'avaient apparemment pas prévu l'existence des populations civiles sur le territoire qu'ils envahissaient et souhaitaient libérer. Avaient-ils même prévu de laisser derrière eux une région en ruines, écrasée sous des tonnes de bombes et pleurant ses milliers de morts et de blessés. Sans parler des animaux, les vaches et les chevaux rendus fous par le bruit assourdissant des avions. C'est un fait: le chef des armées de terre préféra sacrifier les populations civiles, inévitablement victimes des "frappes" aériennes qu'il ordonna à plusieurs reprises, plutôt que de lancer des offensives pour déverrouiller l'étau défensif allemand. Car il n'était pas question de faire appel à l'aide de la Résistance, occupée à organiser la survie et à sauver les sinistrés, dont un grand nombre s'était réfugié dans l'îlot sanitaire de l'abbaye aux Hommes et dans les carrières Kaskoreff ou celles de Fleury-sur-Orne.
[p144-145]