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Citation de manoloula


Depuis la nuit des temps, c’est elle qui mène le jeu, elle, la frontière. Logée en nous, elle s’impose, se diffuse insidieusement dans nos manières d’être et de penser. Elle est à la fois objet de désir et de rejet, tour à tour ombre protectrice ou rempart répulsif. Elle est ancrée dans nos têtes. Omniprésente, comme une greffe dont, souvent, parfois (?) on ne veut pas, mais qui pourtant s’enracine dans nos subconscients, sans que nous prenions tout à fait la mesure de ce qu’elle nous dicte silencieusement, subrepticement, à pas feutrés. Un jeu de pistes. Elle gouverne notre relation aux autres. Avançant à visage masqué, c’est sans doute par son silence sur nos intolérances, qu’elle leur permet d’exister. Cette frontière-là rend inintelligible une partie de notre propre être.

Inintelligible ce qui, en nous, admet l’irrationalité du racisme, admet l’infériorisation des femmes, inintelligible ce qui mène à l’agression des enfants. S’il est des frontières à abattre dans les têtes, c’est bien celles-là.

Mais la frontière n’est pas que dans nos têtes, elle est partout dans notre environnement, dans notre Histoire. Songeons à la manière dont les frontières dans le monde ont été dessinées, redessinées, délimitées, déplacées, transformées ou créées de toute pièce, renommées et imposées sans aucun souci pour les peuples qui vivaient alentour, sans souci des relations séculaires qui existaient entre eux, de ce qui les séparaient ou les unissaient, de ce qui a construit l’Histoire de ces territoires qu’on fragmentait et qu’on plongeait dans les conflits les plus dévastateurs. Ce fut, l’apanage de tous les puissants du moment depuis les temps les plus reculés et jusqu’à nos jours. Ce fut le cas sur tous les continents et celui de tous les empires. Le seul souci c’était, c’est encore, agrandir l’empire, soumettre les hommes, s’emparer des richesses. Nous en constatons les ravages chaque jour, chaque heure.

Si cette manipulation des frontières a entraîné des guerres cruelles, des traumatismes, la perte des repères arrimés à un sol, séparant des peuples vivant sur le même espace physique depuis des siècles, elle a, dans le même mouvement, creusé la voie de la discrimination ethnique entre ceux qui se vivaient souvent sinon comme semblables, du moins comme voisins respectueux et respectés, ainsi que le rappelle le texte sur l’ex-Yougoslavie de Marie-Noël Arras. Cette différenciation ethnique s’est toujours exercée entre les vainqueurs et les vaincus, entre les conquérants et les indigènes. Une démarcation se dressant comme un isthme entre deux mers, faisant s’effondrer l’imaginaire d’un destin commun, désormais assigné à un étroit critère de couleur de peau, de religiosité ou d’habitudes culturelles. Le racisme a sans doute commencé là. Il est au cœur de ce processus de suprématie des puissants de l’heure.

Autrement dit, les frontières géographiques arbitrairement et violemment édifiées ont eu des conséquences sociales, politiques, psychologiques, linguistiques… incalculables. Et ces barbelés-là, sont peut-être les plus inamovibles, les plus dangereux pour l’humanité. C’est cela que dénonce, ici, Elaine Mokhtefi dans un texte lucide et courageux, elle, l’Américaine, bloquée à la frontière d’une Algérie qu’elle a tant aimée.

Behja Traversac
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