500 ans avant Jean de la Fontaine, en plein Moyen Âge, la poétesse Marie de France a été la première à avoir
écrit en français ces fables inspirées d'Ésope.
Redécouvrez "Le corbeau et le renard", "Le lion et la souris" ou "Souris des villes et Souris des bois" dans un recueil inédit, et redonnez voix au chapitre aux femmes autrices de l'histoire littéraire !
"Fables de Marie de France", illustrées par @fred.l_galerie, et traduites de l'ancien français par @christiandemilly. À partir de 6 ans.
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« L’amour est une plaie intérieure
Qui ne transparaît pas au-dehors.
C’est un mal qui résiste longtemps
parce qu’il vient de Nature.
Beaucoup s’en moquent,
comme ces ignobles galants
qui font les jolis cœurs partout
et qui se vantent de leur succès.
Ceci n’est pas de l’amour, mais de la folie,
de la perversité et de la débauche.
Quand on peut trouver un amant loyal,
il faut le servir, l’aimer
et lui obéir. »
Lai du chèvrefeuille
Et lors tous deux sont-ils unis
Tel le chèvrefeuille enlacé
Avec le tendre coudrier:
Tant qu'il est étroitement pris
Autour du fût où il se lie,
Ensemble peuvent-ils durer,
Mais qu'on vienne à les séparer,
Le coudrier mourra bientôt
Et le chèvrefeuille aussitôt.
- Or belle amie, ainsi de nous:
Ni vous sans moi, ni moi sans vous.
On doit faire l'éloge
De celui qui a une bonne réputation.
Pourtant quand un pays possède
Un homme ou une femme de grand mérite,
Les envieux
Se répandent en calomnies
Pour diminuer sa gloire.
D'eux deux il en fut ainsi
Comme il en va du chévrefeuille
Qui au coudrier s'y prend :
Quand il est enlacé et pris
Et tout amour du fût s'est mis
Ensemble ils peuvent bien durer;
Qui les veut ensuite désunir
Fait tôt le coudrier mourir
Et le chévrefeuille avec lui.
- Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous

En ce temps-là, Hoël régnait sur le pays qui était aussi souvent en paix qu'en guerre. Le roi avait parmi ses barons le seigneur du pays de Léon qui se nommait Oridial. Ce dernier était un de ses intimes, plein de valeur et de courage. Sa femme lui donna deux enfants: un fils et une fille fort belle. On appela Noguent la jeune fille et le jeune homme Guigemar. Il n'y en avait pas de plus beau dans le royaume. Sa mère le chérissait étonnamment et son père l'aimait beaucoup. Quand il put cesser de le garder auprès de lui, il l'envoya au service du roi. Le jeune home qui était avisé et valeureux, gagnait l'amitié de tous. Quand il eut assez d'années et de raison, le roi l'équipa magnifiquement en lui donnant les armes de son choix. Puis Guigemar quitte la cour, non sans avoir donné quantité de cadeaux avant son départ. En Flandre, il s'en va pour faire sa réputation, car il y eut toujours là bataille et guerre. Pas plus en Lorraine qu'en Bourgogne, en Anjou qu'en Gascogne on n'aurait pu trouver à cette époque un chevalier aussi parfait et qui fut son égal.
Belle amie
ains est de nous
Ni vous sans moi
Ni moi sans vous
Tristan à Yseut : le lai du Chèvrefeuille
Les contes que je sais véridiques
et dont les bretons ont fait des lais,
je vous les conterai avec concision.
Pour en finir avec cette introduction,
je vous rapporterai une aventure
qui arriva en Petite Bretagne
aux temps anciens,
en suivant fidèlement la lettre et l'écriture.
« Ainsi, amie, est-il de nous,
Ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
Marie de France,
« Lai du chèvrefeuille », XIIe siècle
Un pulce, ceo dit, munta
Sur un chameil, sil chevalcha
Des i qu’en une altre cuntree.
Dunc s’est la pulce purpensee,
Si a mercië le chameil
Ki si suëf dedenz sun peil
L’aveit ensemble od lui portee…
Un chameau partait pour un grand voyage ; une puce saute sur son dos et fait le voyage avec lui, puis juge bon de le remercier : « - Je vous suis reconnaissante, lui dit-elle, car sans vous je n'aurais jamais pu faire une si longue route. » Le chameau, tournant avec étonnement la tête pour la regarder, répond d'un ton ironique : « En vérité, votre poids ne m’a guère fatigué pendant le voyage, et je ne m’étais même pas rendu compte que nous voyagions ensemble ! »
On rencontre souvent ici-bas de ces gens obscurs, qui, comme la puce de cette fable, ont beaucoup de prétentions. Ils se croient fort importants, alors qu’on ne sait même pas qu’ils existent.