AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Marielle Macé (98)


Tout le monde le sait, le sent : on manque d'oxygène, de santé, de paix, on manque de liens vrais, de justice et de joies.
C'est presque devenu notre condition naturelle, la caractéristique d'environnements à peu près partout intoxiqués ; notre condition politique aussi, traversée de violences et de mépris ; notre condition sociale (nos conditions sociales si différentes plutôt) dans un temps de sauvagerie du capital et de brutalités publiques ; notre condition psychique même : l'essoufflement qui découle de nos « si violentes fatigues», la tête dans le guidon, et de ce que cela coûte de s'ajuster à un monde en surchauffe. Un monde où les crises se succèdent, roulent en avalanche sans laisser le temps de reprendre haleine et d'ouvrir franchement la fenêtre aux poumons.
Commenter  J’apprécie          180
Marielle Macé
     
L'oiseau,
sujet d'un battement incessant
entre l'ici et le lointain,
le familier et l'inappropriable.
     
De là, sans doute, la force de liens
à ceux qui mêmes en cages, même ventriloqués, empaillés,
ne se laissent jamais vraiment saisir...
     
L'oiseau ou la sauvagerie à portée de main.
L'oiseau ou la sauvagerie à portée d'oreille et de coeur,
l'oiseau ou la sauvagerie adorable –
la sauvagerie à même la vie ordinaire
– capable de faire de nos jardins
de nos promenades
de nos oreilles,
des milieux poreux
à des héritages fantastiques.
     
Et les oiseaux ne nous saisissent pas
sous la figure de l'esquive ou de la fuite
comme beaucoup d'autre bêtes,
comme tant de créatures d'une nature qui aime à se cacher...
     
Ils nous saisissent dans une véritable intimité sonore :
on tend l'oreille, et le chant précède l'oiseau en général.
Et nous recevons cette intimité comme un bienfait,
parce que à ce monde que leur liberté ouvre au-devant de nous,
nous avons ou nous avions l'habitude d'associer des valeurs morales :
celles d'une vie-plus-que-vie, d'une joie à l'intensité particulière
d'une qualité d'entraînement ou le chant déclare
en quelque sorte le monde,
sa beauté, sa grandeur,
où la vie se loue elle-même*...
     
     
Extrait de la Conférence « Soirée oiseaux. Attachés à ce qui tombe », 5 août 2020. Marielle Macé fait partie de ceux qui, pendant le confinement, ont été attentifs à ces chants d’oiseaux que l’on redécouvrait, au milieu des silences de la ville – Cycle de rencontres « Lire, lier » qui s’est déroulé du 4 au 14 août 2020 | https://www.youtube.com/watch?v=UL9j39IR2m8
(*'Éloge des oiseaux' de Giacomo Leopardi, 1824).
Commenter  J’apprécie          181
L’histoire de la modernité est en fait celle de « l’altération continue et à grande échelle des conditions atmosphériques de la vie » (*)
Des villes entières sont nées du déni de leurs milieux naturels et se maintiennent sous perfusion de technologie, de dispositifs de refroidissement, d’artificialisation de l’atmosphère-et de pompage d’eaux lointaines ou de nappes déjà exsangues. Dans beaucoup de régions du globe (ou plutôt avec l’extension d’une forme de vie, l’« American way of life », dont George Bush avait posé qu’il n’était « pas négociable »), il est difficile d’échapper à la climatisation, qui rend malade et fait monter encore plus le thermomètre dans les rues.
(Ici, à Rome, le vent s’est évaporé : le léger vent d’ouest qui venait de la mer et savait rafraîchir la ville, a faibli dans les années 1970 puis tout à fait disparu avec l’urbanisation des périphéries ; la massification urbaine a brisé la brise, étouffé le « ponentino » qu’on attendait auparavant, le soir, sur les terrasses et dans les rues, et qui n’arrive plus en ville, perdu dans les hauteurs ; désormais il s’élève trop vite, sous la pression des masses de chaleur, et tournoie au-dessus de la capitale sans parvenir à briser le dôme cuisant qui la coiffe. « Il s’évertue jusqu’au soir à ébrécher la coupole d’ozone, sans pouvoir atteindre la ville en contrebas. Efforts vains, infinis, inlassables : invisible combat. » (**) Rome a perdu ce fil qui la reliait à la mer et à ses fraîcheurs savantes, délicates. Et comme elle a aussi rompu ses liens au fleuve, et que le Tibre s’est noyé dans le flux urbain, la voilà coupée de toutes rives, tournant le dos au large.)

P. 20
Commenter  J’apprécie          171
Des volontés d'agir sur les conditions climatiques, et face à elles des luttes contre l’irrespirable, il y en a en fait depuis longtemps. La prise de conscience n’a cessé d’accompagner la marche à la modernisation… et d’être par elle mise de côté, dans une production volontaire d’ignorance. En sorte que la pollution de l’air, à grande échelle, a presque constitué un choix de civilisation : le choix d’une atmosphère contre une autre – contre une qu’on aurait pu avoir et qu’on voudrait désormais retrouver, rappeler à soi.
Certains soulignent que le capitalisme ne « subit » pas de crise climatique mais l’organise, la monnaye et en jouit. Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences et du climat, parle de la montée d’un « carbo-fascisme » pour décrire l’éloge cynique des énergies fossiles auquel se livrent régulièrement les mouvements populistes, avec les valeurs, virilistes, qu’ils drainent (on dit, par exemple, que Vladimir Poutine misait sur le réchauffement planétaire pour ouvrir la voie du passage du Nord-Est à ses bateaux gaziers).

P. 18
Commenter  J’apprécie          170
Marielle Macé
Exiger la considération (jusque dans l’émotion de pitié d’ailleurs), c’est demander que l’on scrute les états de réalité et les idées qu’ils énoncent, c’est demander à la fois qu’on dise les choses avec justesse et qu’on les traite avec justice, en les maintenant avant tout dans leurs droits. Oui, exiger la considération, comme tâche politique et juridique, parce que seuls ceux dont les vies «ne sont pas ʺconsidéréesʺ comme sujettes au deuil, et donc douées de valeur, sont chargées de porter le fardeau de la famine, du sous-emploi, de l’incapacitation légale et de l’exposition différentielle à la violence et à la mort» (Judith Butler, Ce qui fait une vie)
Commenter  J’apprécie          170
OR VOICI QUE LES OISEAUX TOMBENT
Endeuillement, recueillement – extrait
   
Il nous faut aujourd'hui apprendre à faire avec, vivre avec, des deuils aux dimensions inédites : l'abandon de milliers de corps à leur sort, à leur errance ou à leur échouage sur nos rives ; les destructions actuelles ou anticipées des centaines d'espèces vivantes, de milliers de forêts et de territoires, mais aussi d'un grand nombre de langues, et de cultures et de formes de vie...
Vivre dans ce monde abîmé, à l'ère des disparitions multiples, ce sera sans doute faire quelque chose de ces disparitions : nous rapporter un peu mieux à ces pertes, les laisser nous prendre, nous saisir, nous affecter, nous « faire quelque chose » comme on dit, et nous faire si possible quelque chose de bien.
   
C'est cet état endeuillé et les gestes qu'il appelle que pensent aujourd'hui les Extinction studies, ces savoirs rassemblés autour de la notion d'extinction, « comme se rassemblaient jadis autour du feu les créatures conscientes de leur vulnérabilité ». La perte y est posée « comme une réalité polymorphe mais aussi comme la tonalité et l'expérience propres à notre temps ». ...
Savoir, aujourd'hui, c'est souvent savoir ce qu'on a perdu, qui on a perdu. Mais c'est aussi vivre avec cette perte, penser par le deuil et depuis la disparition : « Les Extinction studies pourraient bien travailler à exaucer le voeu secret de l'anthropologie, reformulé par la Théorie critique : se constituer en discipline ouvertement mélancolique, capable, dans son attention à la perte, de déjouer les mécanismes de la domination et de repenser les conditions de la vie commune* ». ...
   
Donna Haraway écrit après Thom van Dooren ou Deborah Bird Rose qu'il nous revient de « pleurer avec »** pour à la fois penser et vivre, c'est à dire pour mesurer nos conditions réelles de vie et de mort, savoir de qui nous dépendons, qui dépend effectivement de nous, nous rappeler et dire à force de mélancolie ce à quoi l'on tient et qui nous tient. Ça peut faire ricaner ce lexique, cette place faite au chagrin, quand on les voit comme une communion sensible un peu régressive, sans force d'accusation contre le destructeur en chef, le capitalisme financier. Reste sans doute qu'on ne défend que ce à quoi on s'est d'abord attaché.
   
pp. 172-173 / * Romain Noël, « Une science mélancolique », Critique, Vol. 860-861, 2019 / ** cité dans son article.
Commenter  J’apprécie          160
Le lecteur oscille sans cesse entre la place qui lui est assignée par un dispositif syntaxique, qui lui fait sentir ce dont il est question, et la conduite de réappropriation par laquelle il regarde ce dispositif comme une "capacité" mise à sa disposition. Oscillation merveilleuse : promesse de vie poétique. Comme s'il fallait en effet se reconnaître, mais se reconnaître "juste à côté" : prolonger le texte, avec le sentiment d'avoir été précédé par lui, mais le prolonger dans ce que Proust appelle "une direction divergente de lui-même", c'est-à-dire l'altérer. (p. 227)

Se donner des modèles.
Commenter  J’apprécie          140
      
      
Le « soudain » est sans doute le rythme temporel de l’oiseau, le rythme de son surgissement. Soudain l’oiseau, c’est la forme de sa venue, le rythme qu’il met dans le monde, sa façon de paraître et de créer une trouée.

...
Commenter  J’apprécie          130
La lecture silencieuse qui est désormais la nôtre n'est pourtant pas sans voix ni sans mouvements ; c'est une lecture pensive, qui déclenche en réponse la parole intérieure du lecteur. "Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d'idées, d'excitations, d'associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ?", demandait Barthes. (p. 40)

Infléchir ses perceptions.
Commenter  J’apprécie          120
ÉMERVEILLEMENTS, ATTACHEMENTS
La vocation écologique du poème – extrait
   
... l'oiseau au coeur de ce qu'il faut reconnaître, sans hésiter, comme une vocation écologique de la poésie, un contrat écologique même : ce chant d'amour où le poète et l'oiseau se rapportent l'un à l'autre naît dans un paysage, c'est à dire dans un plus vaste écosystème de vies et de paroles, où le poème est fait pour célébrer le retour de la sève, la floraison, les feuilles, les fruits, tout ce renouveau, l'expressivité végétale qui s'appellera, chez les trouvères du Nord, la « reverdie » (« Verdir, chanter », selon la formule ramassée de Raymond Queneau dans sa Petite cosmogonie portative).
C'est en effet le paysage entier, le milieu vivant tout entier, reverdissant, refleurissant, renaissant, qui enseigne le chant, le fait pousser, le nécessite :
   
« Pro ai del chan enssenhadors. entorn mi et ensenhairitz. praz e vergiers albres e flors. voutas d'auzelhs e lays e critz. per lo douz termini suau »
« Autour de moi j'ai d'excellents maîtres et maîtresses de chant : les prés et les vergers, les arbres et fleurs les mélodies d'oiseaux leur lais leurs cris, par la douce saison nouvelle »*
   
* Traduit et cité par Jacques Roubaud, La Fleur inverse. L'Art des troubadours, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 146.
   
pp. 45-46
Commenter  J’apprécie          100
Ouvrant un recueil de poèmes de Francis Ponge, je lis par exemple ce titre : « Dans le style des hirondelles » , et me voici captée par une forme extérieure, invitée à en suivre le mouvement et à essayer en moi-même ce style, cette forme particulière du vivre.
Commenter  J’apprécie          100
Et ce n’est pas tout ; car c’est encore à
quelques dizaines de mètres du camp de
migrants, et de la Bnf donc, au 43 quai de
la Gare précisément, que pendant la Seconde
Guerre mondiale les SS avaient ouvert ce
qui s’est appelé le « camp annexe d’Austerlitz ».

C’est là, tout près de la gare d’où
étaient partis certains des premiers convois
de déportés, qu’ont été transportés les biens
pillés aux Juifs ; c’est sur les étagères de
cette tout autre bibliothèque, de cette sorte
de magasin général nazi, qu’étaient
rassemblés les livres, les collections et les objets
spoliés et en transit pour l’Allemagne (par
exemple ceux de Marc Bloch, ou du fils de
Durkheim) ; il y avait même une section
Enfer, dit-on, dictée par un mouvement de
pudeur obscène, dans ce lieu de spoliation
aux bords duquel, cinquante ans après, s’est
donc édifiée la nouvelle Bnf.
Commenter  J’apprécie          100
      
      
Le chant des oiseaux comme celui de la vie qui se louerait elle-même, qui jouirait d’elle-même : voilà le legs du poème.
Commenter  J’apprécie          90
L’histoire de Benjamin, parmi les livres comme parmi les lieux, aura été celle d’un constant et violent dépouillement ; et pourtant il n’aura cessé de réfléchir au bonheur du « collectionneur », à celui qui connaît la joie de posséder «au moins une belle chose à lui», et qui, face au «monde des choses», tenant les choses en main, semble «les traverser du regard pour atteindre leur lointain» et y gagne «une apparence de vieillard».
Commenter  J’apprécie          70
C'est cela la lecture réécrire le texte de l'oeuvre à même le texte de notre vie (BARTHES)
Commenter  J’apprécie          70
Car les pollutions s'accumulent avant tout dans le corps des plus pauvres : environnements insalubres, proximité des sources de pollution, nature des métiers exercés, habitat précaire, défaut d'accès aux soins... L'histoire des pollutions est en effet aussi, et peut-être d'abord, une question d'inégalités et d'exploitation : l'inégale répartition de l'air, l'inégale exposition, selon les classes sociales et les chances de vie, à l'irrespirable et aux milieux toxiques. (Naomi Klein décrit d'ailleurs aujourd'hui le dérèglement climatique comme une traduction atmosphérique de la lutte des classes.)
Commenter  J’apprécie          60
Voilà sans doute le genre de processus qui anime la vie intérieure d'un lecteur. Chaque forme littéraire ne lui est pas offerte comme une identification reposante, mais comme une idée qui l'agrippe, une puissance qui en tire en lui des fils et des possibilités d'être. Il s'y trouve suspendu à des phrases, à ces forces d'attraction qui nourrissent en continu son propre effort de stylisation.
Commenter  J’apprécie          60
Si toute vie est irremplaçable (et elle l'est), ce n'est pas exactement parce qu'elle est unique (même si évidemment elle l'est), c'est parce qu'elle est égale, devrait toujours être tenue pour telle.
Or tout se passe comme si nous recevions certaines vies comme des vies qui ne seraient au fond pas tout à fait vivantes ; tout se passe comme si l'on considérait certains genres de vie, ainsi que le dit Judith Butler, "déjà comme des non-vies, ou comme partiellement en vie, ou comme déjà mortes et perdues d'avance, avant même toute forme de destruction ou d'abandon."
Commenter  J’apprécie          60
C'est dans un grand tourment de formes que se disent des décennies de trouble politique, que s'accumulent les pertes et les espérances, que donc se vivent, se démènent et prennent tournure les déchirements culturels. L'apparaître n'y est pas la marque d'une place, ou d'un moi, c'est le plan mouvementé d'un travail.
Commenter  J’apprécie          60
Il n'y a pas d'un côté la littérature et de l'autre la vie, dans un face-à-face brutal et sans échanges qui rendrait incompréhensible la croyance aux livres - un face-à-face qui ferait par exemple des désirs romanesque de Sartre (...) une simple confusion entre la réalité et la fiction, un renoncement à l'action, une humiliation du réel, et par conséquent un affaiblissement de la capacité à vivre. Il y a plutôt, à l'intérieur de la vie elle-même, des formes, des élans, des images et des manières d'être qui circulent entre les sujets et les oeuvres, qui les exposent, les animent, les affectent. La lecture n'est pas une activité séparée, qui serait uniquement en concurrence avec la vie; c'est l'une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons une forme, une saveur et même un style à notre existence.
Commenter  J’apprécie          60



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Marielle Macé (306)Voir plus

Quiz Voir plus

La Controverse de Valladolid

En 1992, un téléfilm homonyme réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe d'après l'œuvre de Jean-Claude Carrière qui en écrit le scénario et rassemblait des acteurs comme........Qui interprétait brillamment le dominicain Bartolomé de las Casas ?

Jean Rochefort
Jean-Pierre Marielle
Philippe Noiret

9 questions
79 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *} .._..