Marika Gallman

Je sursautai quand la porte d'entrée s'ouvrit en fracas, brisant le silence ambiant. Lalawethika pénétra dans la pièce d'une démarche qu'on aurait aisément pu qualifier d'énervée. Il traversa la distance qui nous séparait avec l'élégance d'un prédateur éteint, tel un dinosaure, mortellement dangereux, dangereusement massif, massivement rapide, et malgré tout gracieux.

Pendant un moment, j'eus l'impression d'être au cinéma, à la différence près que nous étions la fiction venue observer le public.

Je détestais ce que j’étais, tout ce que je n’arrivais pas à contrôler en moi, toute cette hargne constante, toute ma vie, et le fait que je n’avais absolument aucune influence dessus. Je donnai un coup de poing à mon reflet.

Et c’est là que je me vis dans l’image que me renvoyait le miroir depuis tout à l’heure. Mes traits étaient déformés par la colère. Je ne me ressemblais plus. Je n’avais plus rien d’humain. Et je me détestai. Je détestais ce que j’étais, tout ce que je n’arrivais pas à contrôler en moi, toute cette hargne constante, toute ma vie, et le fait que je n’avais absolument aucune influence dessus. Je donnai un coup de poing à mon reflet. Puis un autre. Et un autre. Je ne m’arrêtai que lorsque je vis le sang sur mes mains. Et cette vision était magnifique.

« Mais salut vous, me dit-il d'un ton aussi innocent qu'une femme de joie en pleine heure de pointe. »

Lorsque le silence regagna enfin la pièce, Barney passa une main sur ma joue, ses yeux toujours rieurs.
- Lukas est un homme bien, reprit-il sérieusement. Laisse-lui un peu de temps. La vengeance est un puissant moteur, mais la peur de perdre un bien plus grand frein.
Je méditai ce qu'il venait de dire, et de longues secondes s'égrainèrent au rythme des battements de mon cœur. En théorie, c'était bien joli. En pratique, il m'en voulait énormément, et l'addition allait être très salée.

Il sourit ouvertement face à la candeur de ma question, mais garda le silence quelques instants.
- Les prophéties ne sont pas comme les rêves. Je ne suis pas un rêveur, comme l'a été ta mère. Lors des rêves, les images sont claires, nettes, définies. J'ai bien peur qu'il n'en aille pas de même pour le prophéties.
Encore une fois, il m'avait gratifiée d'une très longue réflexion qui ne voulait rien dire d'autre que « aucune idée ».

- C'est bon, balance, dis-je. On va pas y passer toute la nuit non plus.
Ma phrase fut ponctuée d'un petit gloussement, que je ravalai aussi sec.
Comment il m'observait toujours, sans le moindre sourire, et l'air grave, je lui fis les gros yeux, lui intimant de continuer, car je m'étais calmée.
- Maeve, ton père est un vampire.
Et là, c'en fut trop. Je me mis à rire, et rire encore. Rire à m'en exploser les côtes.

Flic ou pas, différent ou non, j'aimais bien ce type.

L'homme veut le pouvoir, il rêve d'émancipation, de liberté, refuse de courber l'échine et cherche à se soustraire aux jougs. Et, malgré tout cela, il est toujours le premier à tenter d'imposer sa volonté à ses semblables.

— Vous avez encore passé la nuit à jouer ? demandai-je.
Ils émirent quelques grognements en guise de réponse, et je soupirai.
— Comment vous pouvez faire ça en semaine ?
— Facile : il suffit de programmer ça entre lundi et jeudi. 

Il se détendit en sentant la magie chatouiller sa peau et commença à sourire comme il l'avait fait quand la vampire avait recouvré forme humaine. Il avait probablement reconnu l'énergie qu'elle m'avait offerte. Après tout, c'était son amour pour elle qui l'avait créée. Roméo et Juliette pouvaient se rhabiller avant d'aller jouer à la dînette avec Tristan et Iseult. C'était des amateurs.

— Neela, continue le militaire, changeant de victime. Tout ceci est réellement stupide. Quand vous l’aurez compris, j’espère que vous reviendrez.
Je ne réponds rien, ce qui ne semble pas le démoraliser.
— 07 98 46 54 44, dicte-t-il.
— Vous n’êtes pas mon genre, je lui réponds d’un ton détaché. 

Je reste immobile quand ils tirent les corps hors de la pièce. J’aimerais ne pas penser à ce qu’ils vont leur faire, mais je suis sûre qu’ils découperont les cadavres pour tenter d’en apprendre davantage. C’est le sort qui m’attendra lorsque ma transformation sera terminée, dans quelques heures ou quelques jours. J’espère juste que, quand ça se produira, je serai en compagnie de Doyle.

Ce dernier s’approche de moi, l’air satisfait. Il s’apprête à parler, mais je le prends de vitesse et, calmement, je lui répète ce que je lui ai déjà dit plus tôt :

— Je vous tuerai.

Il ouvre la bouche pour répliquer. Je ne lui en laisse pas l’occasion.

— Je me fiche de ce que vous allez dire, des menaces que vous proférerez, des propositions alléchantes que vous me ferez. Je vous arracherai le cœur, et j’espère sincèrement avoir envie de le manger.

Quelque chose dans mon ton le dissuade de répondre. Je n’ai jamais été aussi sérieuse de ma vie. Calme, implacable, résolue, et sérieuse. Doyle me dévisage pendant de nombreuses secondes et, lorsqu’il parle enfin, les corps ont disparu. 

— Quel est son problème ? je m’exclame une fois que la porte est refermée. Je ne suis pas d’une telle humeur même quand j’ai mes règles !
Gemma rit doucement et m’adressant un regard complice.
— Il a remarqué la manière dont Marcus vous observe quand il pense qu’on ne le voit pas.
— Je vous demande pardon ?
— Ne me faites pas croire que vous ne vous en êtes pas rendu compte.
Je fais la moue. Déjà, je ne suis pas habituée à parler de ce genre de choses avec des gens que je ne connais pas. Ensuite, je ne suis pas habituée à parler de ce genre de choses tout court.
— Marcus m’a expliqué que c’est normal, que c’est comme ça que ces créatures se sentent entre elles.
Gemma hausse les sourcils et me lance un regard désabusé tout en secouant la tête.
— Marcus raconte beaucoup de choses.
— C’est marrant, il dit pareil à votre sujet.

— Lalawethika, voudrais-tu bien rester ici pour… veiller sur Maeve ?
Veiller sur, surveiller. Bonnet blanc, blanc bonnet.

Je l'étudiai rapidement. Une chemise bleu pâle recouverte d'un coup-vent bleu marine, un jean, une montre digitale dépassant à moitié sous une manche. Et sa veste était assez large pour dissimuler plusieurs chose.

Comme un flingue, des menottes, et un insigne.

- Vous êtes flic, le coupai-je avant qu'il ne continue

L'amusement releva légèrement un coin de sa bouche.

- Je savais que vous n'étiez pas stupide.

Je levai les yeux au ciel, mais ne pus m’empêcher de sourire. De toutes les personnes à qui j'aurais pu essayer de subtiliser un portefeuille après des mois d'abstinence, il a fallu que je choisisse un poulet. Plus de mystère quant à la raison qui lui avait fait me filer le train. J'étais tombée sur un des seuls policiers sérieux de Hallow.

Les prophéties ne sont faites que pour ceux qui ont besoin de les entendre. Ta vie t'appartient, et il t'appartient d'en faire ce que tu voudras.

« Je me tournai vers Elliot.
- Lukas ne m’a rien fait, lui dis-je calmement.
- À part te transformer en vampire ? J’ai su que quelque chose clochait avec lui à la minute où je l’ai vu !
Lukas ricana sombrement.
- Il est juste jaloux parce que j’ai réussi à avoir la fille qu’il voulait, répondit-il avec un petit ton supérieur, tandis qu’il se curait les ongles.
Mais c’est pas possible, pensai-je. Près de trois siècles d’évolution pour parvenir à ça ! Et après on se demande pourquoi les dinosaures ont disparu ?
Elliot se tendit. Moi-même, j’étais crispée. Lukas venait clairement de lui dire que nous avions couché ensemble et je n’avais aucune envie qu’Elliot l’apprenne. Bien sûr, il n’était pas totalement con, il nous avait vus nous embrasser, mais quand même. J’évitai son regard, et reportai mon attention sur une étagère.
- Je l’ai eue bien avant toi, pauvre con, rétorqua froidement Elliot.
Et merde, pestai-je intérieurement. Je ne voulais pas non plus que Lukas sache ça. Non seulement ça lui donnait raison pour toutes ses remarques déplacées sur Elliot, mais en plus, ça n’allait pas du tout lui plaire. Et je n’avais pas envie de le voir plus énervé qu’il n’était déjà. »

« - Tu pourrais arrêter de penser que j'ai envie de méditer sur tes énigmes de merde, s'il te plait ?
- Si tu arrêtes de ponctuer chacune de tes phrases par un juron, j'y songerai, me dit-il plus durement. Ce n'est vraiment pas élégant dans une si jolie bouche.
Pour marquer sa propre phrase, il effleura mes lèvres du bout de son index.
- Soit, répondis-je froidement. Aurais-tu l'amabilité d'éclaircir tes propos, je te prie ? »