Citations de Marina Tsvetaieva (457)
Fatiguée de la loterie, comme
Dans mon enfance, - je quitterai le jeu,
Heureuse de ne pas croire
qu'il y a d'autres mondes.
PSYCHÉ
Je reviens à la maison, non pour tromper
Ni pour servir — je n’ai pas besoin de pain.
Je suis ta passion, ta renouée du dimanche,
Ton septième ciel et ton septième jour.
Sur la terre là-bas, on me donnait des sous,
On accrochait des meules de pierre au cou.
— Mon amour ! Est-ce possible que nous ayons vue
distincte ?
Je suis ton hirondelle, ta Psyché.
Pour toi, mon très-chéri, des guenilles
Qui furent autrefois tendre chair,
Toutes ruinées, toutes lacérées,
Ne resteraient seulement que deux ailes ?
Revêts-moi de ta splendeur,
Sauve-moi, par pitié ;
Et les pauvres hardes poudreuses,
Porte-les à la sacristie.
13 mai 1918
p.89
Limaces rampantes des jours,
... Ouvrière cousant les lignes...
Qu'ai-je à faire de ma propre vie ?
Elle n'est pas à moi puisqu'elle n'est pas à toi.
Je ne me soucie guère de mes ennuis
Personnels... - Que manger ? Où dormir ?
Qu'ai-je à faire de mon corps mortel ?
Il n'est pas à moi puisqu'il n'est pas à toi.
Janvier 1925
Hier encore il se traînait à mes pieds,
Me comparait à l’Empire de Chine –
D’un seul coup ses mains se sont grand ouvertes,
Ont lâché ma vie comme un sou rouillée.
Car je promenais ma joue endormie
Sous vos doigts effilés, et
Vous vous moquiez et vous me traitiez
De garçon et vous m'aimiez, telle que j'étais...
La Dame
Dans vos paroles, on dirait qu'il y a
Le vent qui frappe la poitrine,
Et doucement comme un oiseau très las
Sans bouger, s'y recroqueville...
Le Monsieur
Pour que ce qu'on croyait devant
Soit à mille verstes en arrière...
Et ce qui est là-bas, mille verstes derrière,
Soudain surgisse au détour du chemin...
il regarde la Vieille immobile.
Pour que ce qui fut Rose défleurisse,
Regardant la Dame tendrement
Pour que ce qui Rose sera...
Que tu tressailles…
Que tu tressailles
Et tombent des montagnes,
Et monte l’âme !
Laisse mon chant monter :
Chant de l’entaille,
De ma montagne.
Je ne pourrai
Ni là, ni désormais
Combler l’entaille.
Laisse mon chant monter
Tout au sommet
De la montagne.
Je repense à tout, de nouveau,
Et, à nouveau, je souffre de tout.
Car, dans cette chose, dont j’ignore
Le nom, y avait-il de l’amour ?
Poème : L'Amie (2)
Je n'honore pas et je n'aime pas l'amour.
Partout vont les routes,
Dans la forêt, les déserts,
Tôt et tard.
Les hommes les empruntent
Les chariots aussi
Tôt et tard.
Les pieds des voyageurs
Piétinent le sable et l'argile,
Le silex et la boue...
Qui est pauvre au gré du vent ?
Chacun sur la grande route -
Est un prince travesti !
Les haillons se déchirent
Partout où le ciel est bleu,
Où le Seigneur est juge.
Dans les ornières -
Les chaînes s'entrechoquent,
Les haillons se mélangent.
Ainsi, dans le désert terrestre,
Abandonnant les pâturages
Évitant les villages,
Mendient et règnent
Les princesses galériennes,
Les princes forçats.
Voilà nos routes qui se croisent ;
Comme un clou chasse l'autre.
Oh, l'heure est sombre, sombre.
Ce n'est pas moi avec toi,
Mais un malheur galérien, qui
Avec un autre se rencontre.
Tant pis ! Baise ma bouche,
Puisque Dieu ne t'a pas épargné
De moi, mon amour.
Sur la même route
Un chariot nous traînera tous -
Tôt ou tard.
5 avril 1916
L'impossible, ce n'est pas de résister à la tentation de l'homme, mais au besoin de l'enfant.
Seul point faible qui ruine toute la cause. Seul point attaquable qui laisse entrer tout le corps ennemi. Car si même nous pouvions un jour avoir un enfant sans lui, nous ne pourrons jamais avoir un enfant d'elle, une petite toi à aimer.
LE RAVIN 1
Fond — du ravin.
La nuit fouille —
D'une souche. Frissons des sapins.
De serments — pas besoin.
Couche toi — moi aussi.
Avec moi — te voilà
Vagabond.
Dans le relent du lit,
Boire goutte à goutte la nuit,
C'est s'étouffer ! Bois
À satiété ! Pur est
L'obscur. Dieu — gratuit,
Comme embrasser l'abîme !
(L'heure — laquelle ?)
De derrière les rideaux — la nuit,
C'est peu la connaitre !
Mais comme les canailles,
Comme les sommets.
(Chacune de nous est
Le Sinaï la nuit…)
p.160
Les vers naissent comme les étoiles et les roses
Comme la beauté dont la famille ne veut pas,
Et aux couronnes et aux apothéoses ―
Une seule réponse : mais d'où me vient cela ?
Nous dormons ― et à travers les dalles de pierre,
De l'hôte céleste percent les quatre pétales.
Sache-le, ô monde ! Le poète découvre dans ses rêves
La formule de la fleur et la loi de l'étoile.
14 août 1918
p.96
A BYRON
Je pense au matin de votre gloire,
Au matin de votre vie,
Quand démon vous vous êtes éveillé
Et Dieu pour les hommes.
Je pense à vos sourcils
Qui cerclent la flamme de vos yeux,
A la lave du sang ancien
Qui coule dans vos veines.
Je pense à vos doigts- si longs-
Dans vos cheveux bouclés
Et aux regards qui vous dévorent
Dans les salons et les allées
Je pense à ces coeurs que, trop jeune,
Vous n'eûtes le temps de lire,
Tandis que des lunes jaillissaient
Et s'éteignaient pour votre gloire.
Je pense à ce salon obscur,
Au velours penché sur la dentelle,
A vous qui m'auriez dit vos vers
Et moi- les miens- pour vous.
Je pense encore à la poussière
Qui reste de vos lèvres et de vos yeux-
A tous ces yeux qui reposent morts...
A eux, à nous...
24 septembre 1913.
"Lire Votre livre, Vous en remercier par des mots vides de moi. Vous revoir de temps en temps "sourire pour qu'on ne vous voie pas sourire", bref - faire comme si Vous n'aviez rien écrit et moi rien lu, comme s'il n'y avait rien eu."
Je rentre chez moi le plus doucement possible :
Je ne regrette pas - les poèmes non-écrits !
Le bruit des roues et les amandes grillées
Me sont plus chers que tous les quatrains.
Ma tête est vide, et c'est charmant !
Le coeur - lui - est trop plein !
Mes jours sont de petites vagues
Que je regarde du port.
L'Amie (Sans lui) - XII (extrait) - page 46 - 13 mars 1915.
Mais la plus belle victoire
sur le temps et la pesanteur -
c'est peut-être de passer
sans laisser de trace,
de passer sans laisser d'ombre.
(extrait de "Se faufiler") p.141
Qu'il est bon de parler de roses
Quand il givre ! De parler
D'amour lorsque la tombe est proche.
Nombreux sont les jardiniers,
Unique, unique est la rose!
(dans "Une aventure")
Nous ne saurons jamais à quel point les pièces des vieilles maisons, devant lesquelles nous passons sans les remarquer ne nous remarquent pas non plus, dans leur propre avance, et passent devant nous, telles les vagues d’une mer ancienne. Parfois seulement, par un caprice imprévisible , les vagues de la mer et de l’espèce rapportent sur le rivage notre anneau ou notre visage à un arrière-petit-fils, cent ans plus tard.