Marine Turchi - Faute de preuves
Les chiffres sont parlants. Le ministère de la justice français est l'un des plus pauvrement dotés d'Europe, si l'on prends en compte les pays de même niveau économique. D'après le dernier rapport de la CEPEJ (commission européenne pour l'efficacité de la justice), la France a consacré 69.50 euros par habitant à son système judiciaire en 2018. Ce montant est en hausse par rapport à 2016 (65.90 euros), mais il est inférieur à la moyenne européenne qui comprend pourtant des pays plus pauvres, tels que la Moldavie et l'Arménie (71,56 €), et bien en deçà de ses voisins allemands (131,20 €), espagnols (92,60 €) ou italiens (83,20 €). La justice hexagonale compte deux fois moins de juges et 4 fois moins de procureurs par habitant que ses voisins. Les parquets français sont parmi les plus chargés d'Europe puisqu'ils doivent gérer, avec l'un des plus petits nombres de procureurs, une masse très élevée d'affaires (6,6 % habitants) et exercer un nombre record de fonctions (13). Résultats, les juridictions sont embouteillées, les délais de traitement des affaires très élevés et certains dossiers de viol sont poussés vers la correctionnalisation.
Ni la présomption d'innocence ni la prescription ne doivent constituer des "assignations au silence", rappellent ceux qui, au sein du monde judiciaire, estiment que ces principes fondamentaux sont "détournés" de leur sens. La prescription "n'interdit ni la parole, ni le récit, ni le travail de mémoire, ni le témoignage, ni la plainte, ni la tribune, ni le hashtag, ni le départ d'une salle de spectacle en signe de protestation, ni le débat surtout", écrivent dans une tribune Valence Borgia et ses cosignataires. La présomption d'innocence n'est pas non plus "une vertu morale" qui doit "censurer le débat public et l'expression des opinions". Ces deux principes ne doivent pas faire obstacles à d'autres : la liberté d'expression et d'information. Les victimes, les citoyens, les médias ont le droit de s'exprimer.
Mais ce reproche fait aux médias ignore aussi une réalité : sur ce sujet comme sur les autres, les journalistes ne font que leur travail d'information. Ils ne sont ni policiers ni magistrats, comme le stipule leur charte éthique professionnelle. Leur rôle n'est ni de qualifier des faits pénalement ni de déclarer des coupables. Il leur revient en revanche d'informer sur ce gigantesque problème de santé publique que sont les violences sexuelles. Et de jouer leur rôle de contre-pouvoir en révélant des faits d'intérêt public qui sont tus, étouffés, ou difficiles à formuler. L'historien Alexis Lévrier estime qu'on est là dans la définition pure du journalisme, « une éthique de la vérité », qui, par « la rigueur de l'enquête », permettra « d'éviter le double écueil du sensationnalisme et de l'omerta ».
à la « culture de l'annulation » elle oppose la « culture de la responsabilité » (« accountability culture » ) : « Quand on est une personnalité publique, on a des responsabilités à assumer. Si on est mis en cause, on démissionne, le temps que l'affaire soit purgée. » Laure Murat
Malgré l'amélioration de leur traitement judiciaire, les violences ne diminuent pas. Pour les faire cesser, [Anne Bouillon] (avocate) pense, comme beaucoup d'autres, qu'il faut tarir la source : la société patriarcale, les inégalités femmes-hommes qui l'accompagnent, les rapports de domination qui la sous-tendent et le sexisme qui la gangrène.
« Comme si on avait intérêt à se lancer dans des procédures éprouvantes qui durent des années, aboutissent rarement à des condamnations, coûtent de l'argent, du temps, fragilise l'environnement social et professionnel, voire le détruisent, et dont on sort avec des cheveux blancs. Comme si cela nous faisait plaisir. » Adèle Haenel.
La justice n'a, par ailleurs, pas le monopole des affaires #MeToo, qui ne peuvent être réduites à leur seule dimension pénale.