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Citations de Marion Muller-Colard (226)


Il y a des moments de la vie où il n’y a rien d’autre à faire que compter sur les grandes eaux de nos dangers pour amener sur la berge ce qui doit être ramené. Qu’est-ce que la berge, on ne le sait pas vraiment. Peut-être l’endroit où nos vies sont racontables.
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C’est un drame typiquement humain que de vouer nos vies à donner ce qui nous manque.
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Les enfants adultes ne peuvent pas le savoir, mais il n’y a rien à faire : leurs joues sont ce bout de chair invariable qui porte encore la courbe émouvante qu’ils avaient à la naissance. Se creusent-elles avec l’âge ? Peu importe, on en reconnaît le toucher, cette peau de fruit qui nous a tant émus, la première caresse, d’un revers de phalange, cette virgule maternelle, ce geste aérien qui creuse pourtant le sillon d’une infinie tendresse.
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À trop réfléchir, nos pensées couvrent bien souvent les cris des corps muets qui nous passent sous le nez. Ce sont des ultrasons, les animaux les entendent, pourquoi pas nous ?
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On se souvient par étapes, par association d’idées, chacun trimbale avec soi une mémoire anarchique. Bastien, lui, trimbale une mémoire archaïque qui fait, depuis sa mort, un boucan de casseroles au cul d’un corbillard.
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Fâchée avec mon Dieu imaginaire qui avait rompu sans préavis mon contrat inconscient de protection, je manquais de secours spirituel. Je ne trouvais pas de prière qui puisse être autre chose qu’une immense contradiction, une négociation régressive avec la peau morte d’un Dieu qui ne tenait pas.

Pourtant, lorsque je caressais, du bout des doigts, le visage bleu et enflé de cet enfant presque étranger, dans le roulis devenu rassurant de l’oxygène qui lui parvenait machinalement, j’étais parfois saisie par une sérénité démente. Il arrive que l’impuissance ouvre sur des paysages singuliers.
La détresse m’avait dilatée et, en quelque sorte, elle avait élargi ma surface d’échange avec la vie. Et près de ce petit corps, se superposait à ma supplication muette pour qu’il vive, la conviction profonde que, ‘quoi qu’il arrive’, ce qui était incroyable et sublime, c’était qu’il fût né. Et que cela, jamais, ne pourrait être retiré à quiconque. Ni à lui, ni à moi, ni au monde, ni à l’histoire.

Je mis du temps à comprendre que cette clairvoyance fulgurante était peut-être la première véritable prière de ma vie.
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Moi, à quinze ans, je n'avais pas de rêves. Il se passait juste dans mon ventre des choses incroyables qui me rappelaient la mer, l'iode et les vagues - lorsqu'on allait l'été chez ma grand-mère maternelle, à Rimini, au bord de l'Adriatique. ça se passait dans mon ventre et sous les draps, mais ça n'était pas des rêves et personne ne parlait de ce qui se passait sous les draps. Le lit de mes parents, je ne l'ai jamais vu défait.
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L’humain est un animal de rangement : la mémoire a son espace consacré, elle ne traîne pas dans les rues ; on ne croit pas aux fantômes. Ou peut-être, au contraire, y croit-on suffisamment pour tenir la mémoire prisonnière des archives.
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Je préférais disparaître à mourir. Mourir, c'était s'arrêter d’être et je savais que ça ne suffirait pas. Disparaître, c'était la possibilité de n'avoir jamais été.
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Je voulais juste museler ce monstre qui mord au ventre. Ce monstre, on l'appelait le désir. J'avais quinze ans et je n'en savais rien. On ne m'avait pas appris ce mot. Le lit de mes parents n'était jamais défait. Tout était en ordre, les machines tournaient toutes dans le même sens. Elles virginisaient les vies de tous ceux qui avait fourré dans leurs gueules leur linge sale. C'est ça que je regardais depuis ma naissance. J'avais appris à marcher dans cette salle, j'avais appuyé mille fois mes mains et mon nez contre ces hublots. Je voyais se faire le propre, c'était tout l'héritage de ma mère, les corps n'avaient pas d'odeur, la famille n'avait pas d'histoire, les enfants n'avaient pas de sexe. Le monstre était dans ma tête. Il suffisait de ne plus désirer. Prendre la peau pour ce qu'elle est - un vêtement qu'on lave comme un autre. Oublier qu'elle peut être cette surface d'échange vertigineuse avec le vent, la chaleur, l'eau. Avec les autres.
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Ce qui me touche en écrivant cela, ce qui me fait venir les larmes aux yeux, c'est un détail que j'ai enfoui sous une couche d'insignifiance, au milieu du fracas des événements qui ont suivi. Et ce détail, aujourd'hui, je ne vois que lui : ma mère savait depuis longtemps. Elle a compris sans poser aucune question [.......]. Ma mère m'a laissée faire pendant des années, bouche cousue. Elle a voulu me laisser exister.
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Semez donc une graine de concombre, et vous verrez, en l’observant quotidiennement, qu’elle s’étire pareillement à un dormeur perçant le jour.
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Ce qui me permet de suivre aujourd'hui Jésus comme un Maître, c'est précisément qu'il ne promet pas l'évitement du risque.
C'est ce crédit qu'il accorde au réel, sa plongée inconditionnelle dans la complexité du monde et de l'âme humaine, sans tenter de nous y soustraire, de la résoudre ou de la contourner.
Voilà les seules paroles qui puissent me toucher, me rejoindre.
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« Je ne juge personne », dit Jésus, parce qu’il sait combien profondes sont nos ténèbres et terrifiante cette vie crue à laquelle nous sommes nés. Il sait aussi que nous avons plus d’aptitude à consolider nos malheurs qu’à les consoler. Il sait que les enclos fermés de nos systèmes nous projettent plus loin dans nos enfers que le malheur lui-même, que nous sommes la seule espèce vivante qui double sa peine à se sentir maudit en plus que d’être malade. Il sait – et n’est-il pas d’ailleurs venu pour cela ? – que les significations perverses que nous donnerons aux événements nous feront plonger en désespoir plus sûrement que les événements eux-mêmes. Il sait notre faculté à nous mettre au ban, à ployer sur le regard imaginaire d’un Dieu totalitaire. Il connaît nos incompressibles relents de religiosité, notre compréhension pathétiquement binaire et notre quête folle d’un coupable.
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Tous les dimanches, j'arrive méticuleusement en retard. Par dévouement envers mon aînée. Pour la hisser plus haut sur son podium. J'ai admis depuis longtemps que ma médiocrité lui sert de marche pied. C'est le sens de ma vie - je gondole mon amour-propre, j'en fais un escabeau et elle me grimpe dessus. J'arrive en retard et elle simule la désapprobation. Elle ne peut pas admettre que tout son dimanche perdrait de sa saveur si j'arrivais à l'heure.
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La grande vieillesse est souvent une disgrâce qui s'étire nonchalamment jusqu'à la mort sans se presser - c'est bien ce qu'on lui reproche. Si l'on a réussi l'exploit de rallonger la vie, ce n'est décidément pas par son bon bout. On en vient à gaver d'existence des hommes et des femmes qui ont atteint depuis plusieurs années leur seuil de satiété. On n'imagine pas la peine qu'il y a à vivre sans appétit. La très ancienne bénédiction biblique, qui reposa finalement sur Job après bien des tourments - mourir 'rassasié de jours' -, a viré au supplice. Il faudrait pouvoir mourir en sortant de table, après avoir rendu grâce. Au lieu de quoi on nous ligote à notre chaise et nous voilà punis, condamnés à rester à la table d'un interminable repas. Si bon qu'il fût, on est écœuré à la seule vue des restes.
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Il n'y a plus de samedi après-midi. Plus de grande chambre à plafond haut, plus de tapis, plus de main sur mon ventre. Je fouille dans les vêtements volés. Je ne trouve rien qui porte l'odeur de Marie-Line, rien qui me donne sa grâce. Je m'allonge, je ferme les yeux, je pose ma main sur mon ventre et je chante. Je réponds à Énée qui me déclare son amour : Fat forbids what you pursue. Le destin interdit ce que tu recherches.
Je m'allonge sur le côté, Didon meurtrie par l'amour impossible. Je n'ai que deux mains pour jouer deux personnes, je m'en débrouille. Je repousse la main qui se referme sur moi, je me convaincs qu'elle appartient à quelqu'un d'autre. Je sens la boule dans mon ventre diffuser sa chaleur dans tout mon corps. Énée me répond : Énée n'a pas d'autre destin que Didon.
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Le bonheur est quelque chose qu'il ne faut jamais questionner.
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"Un brouillon de mots tangue encore sous mon front. Et bien sur je reconnais ce symptome. Mon corps répond au récit de Ludmila, à son injonction de l'écrire. Et comme avec l'alcool, l'illusion du dernier verre, l'illusion du dernier livre. Raconter cette histoire, ne sachant pas pourtant où elle commence vraiment ni où elle finit, si elle finit un jour ou s'il faut l'écrire pour qu'elle finisse enfin."
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Je venais les bras vides, sur mes deux jambes, et mes deux jambes étaient déjà de trop. La vieille femme, elle, était en fauteuil roulant.

Elle m'a haïe au premier coup d'œil. Elle a haï mes jambes, ma mobilité, cette aisance que j'avais à respirer. Chacun de mes gestes aiguisait l'un de ses deuils. Je ne vous parle même pas de ma jeunesse. J'avais vingt-trois ans. J'étais pimpante, que je le voulusse où non. Et j'emballais le tout de l'audace d'un sourire.

Mon corps entier, ce corps de jouissance et de disponibilité, ce corps de jeune fille très sûr de son avenir, un corps si conciliant que je pouvais sereinement l'oublier - mon corps entier poussait avec désinvolture la vieille femme dans les retranchements de son enfer.
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