Podcast enregistré pour l'émission La voix de la Plume :
Mark Rosaleny : sanglante histoire post franquisme
— Après ça il en sort un papillon assez moche, ça ressemble à une chauve-souris en miniature. — Il sert à quoi s’il est moche ?
— À rien, je crois qu’il bouffe même pas les feuilles. Il fait que baiser pour ensuite pondre des œufs qui deviendront à leur tour des chenilles.
Une des filles s’exclama en reculant :
— Beurk ! Mais c’est dégoûtant tes papillons !
— Pourquoi ? lui répondis-je. Ça baise, ça pond, ça se meurt. C’est comme nous, sauf qu’ils
font ça en deux semaines.
Au loin, on pouvait facilement distinguer un petit groupe de gitans qui se baignait à poil dans
la mare fangeuse. Inutile de se mentir, pensai-je, le pauvre est un éternel sédentaire. Quand il se déplace, c’est souvent pour rejoindre d’autres pauvres. On le repère vite. C’est cela « le paisible exercice de la pauvreté » dont parle Bernanos. Un boulet qu'il voulait dire, quoi. Quand le pauvre devient riche ou même aisé, quand il y parvient, il est encore plus puant qu’un bien né à force de cultiver le fétichisme de l’apparence. Il se bat toute sa vie pour qu’on le confonde pas avec ses géniteurs pouilleux. D’ailleurs les anciens pauvres détestent les nouveaux pauvres, souvent parce qu’ils leur rappellent la triste misère qu’ils portent dans le ventre depuis des générations. Ils trouvent des tas d’arguments pour se distinguer d’eux.
Je vais vous raconter une histoire. Autant vous prévenir, elle finit mal. Elle nous parle d’une époque où la société espagnole, débarrassée à jamais d'un dictateur psychopathe, caresse enfin l’espoir de retrouver un avenir démocratique. Beaucoup en ont fait une période de référence, un modèle de transition. Un festin pour les politologues, diront certains. Bon appétit.
Un petit bémol cependant, chacune des étapes de son récit est tapissée de cadavres. Des années bordéliques durant lesquelles on promeut plein de héros et où l’on promet un max de bonheur. Or, vous le savez aussi bien que moi, les vrais héros, ceux qui traînent leur malheur en payant les pots cassés de leur misère, on n’en parle jamais. Ce n'est pas très glamour.
Alors, dans cette guerre déguisée en réconciliation nationale, j’ai décidé de leur laisser un peu la parole à tous ces types sombrés dans l’anonymat. L’occasion de renouer avec le bon vieux temps. Manière de se rappeler aussi que de l’Histoire on ne retient rien. Car le propre de l’homme, c’est d’être toujours plus con.
Si les otages du GRAPO sont assassinés, nous promettons une Nuit des Longs Couteaux dans toute l'Espagne.
Triple A (Alliance Apostolique Anticommuniste),
Le Figaro, 18 déc. 1976