Citations de Martin Page (537)
« – Tu vas te racheter. Et nous allons t’aider dans cette entreprise. Tu peux accomplir de grandes choses. Tu peux sauver des vies par milliers. »
« Après ma mort [ a dit Beckett ] peut-être certains comprendront que l’excentricité est le coeur de mon oeuvre. »
J’ai pensé qu’il faudrait bien davantage que sa mort : il faudrait la mort de tous ceux qui auront connu Beckett, tous les fans enamourés, tous les gardiens du temple et leurs élèves. On devra oublier Beckett pour le redécouvrir et le lire comme il devrait être lu, sans la pollution de la renommée et de la réputation qui l’entoure aujourd’hui. Tout artiste est kidnappé. C’est lui rendre sa liberté que de l’oublier régulièrement, pour poser des yeux neufs sur son oeuvre.
Il avait cessé de traduire et de dactylographier des textes sérieux et littéraires pour traduire et dactylographier pour la Résistance. Il avait alors découvert un monde ou les classes sociales étaient abolies : l'intellectuel se trouvait aux cotés de l'ouvrier, le riche était le complice du pauvre. C'est à cette époque, et peut être seulement à celle-là, qu'il avait eu le sentiment que la communication était possible, qu'on pouvait se parler et s'entendre. Se comprendre. Il n'avait pas la nostalgie de la guerre et de l'occupation allemande, mais d'un temps où les gens avaient conscience que la vie était précieuse et se jouait à chaque instant, et qu'on n'avait pas de temps à perdre en simagrées sociales.
C'est une des difficultés de l'existence : ne pas devenir cynique tout en connaissant l'absolue tragédie du quotidien. Ne pas s'insensibiliser et pourtant se protéger.
Nous naissons avec mille bras et mille coeurs, et nous n'arrêtons pas d'en perdre tout au long de notre vie. On nous déforeste sans cesse, c'est douloureux, mais nous sommes vastes, personne n'arrivera à bout de nous. Nous sommes une forêt qu'on ne vaincra pas. L'apaisement viendra quand on pourra dire : c'est du passé donc ce n'est pas vrai. Ce qui compte, c'est aujourd'hui. Il faut être fidèle aux blessés, pas aux blessures.
La langue est un problème. Toute notre vie, le malentendu sera la norme. On nous dira « Je suis ton ami », il faudra comprendre « Nous nous fréquentons par paresse et je te trahirai à la première occasion ». On nous dira « Nous vivons en démocratie », il faudra comprendre « La société est un réseau de rapports de force ».
Je connais bien ces jours et ces soirées sans fin où rien ne se passe, ces samedis soir où les bruits des joyeuses soirées alentour blessent le coeur de celui qui est seul chez lui. Peu à peu, j'en ai fait un espace de liberté et de création. Seul, je ne suis jamais seul. C'est parmi les autres que je suis seul. Cette découverte est un soulagement.
L'alcool est lié à l'histoire de l'humanité, et compte plus d'adepte que le christianisme, le bouddhisme et l'islam réunis.
De toute façon, celui qui donne des conseils cherche d'abord à s'éduquer lui-même. Parler à quelqu'un est une manière détournée de se parler à soi. Ne croyez pas que j'aie une triste vision des rapports humains. Certes, je pense que l'autre nous permet d'accéder à notre propre intimité. Mais se comprendre est le meilleur service qu'on puisse rendre à ceux qu'on aime.
Bien à vous, Martin
Tout le monde devrait écrire. En tout cas, avoir cette possibilité et s'y sentir autorisé.
Souvent, la beauté est une apparition qui a besoin de la mort des hommes. Il faut le compost d'une génération, parfois de cent, pour découvrir la valeur de certaines oeuvres d'art. (p.83)
Je pense aux raisons qui font que je m'en suis sorti. Pourquoi moi ? Sans doute mon asociabilité a été déterminante, je n'avais personne à sauver, je ne tenais même pas assez à) ma vie pour tente de m'enfuir. Plus profondément, je crois que j'ai survécu parce que j'étais à part. Être un survivant n'est pas autre chose qu'une nouvelle manière d'être en dehors de la norme. Encore et toujours, je suis étrange. On ne change pas. D'avoir été ignoré par les femmes, les lecteurs, les éditeurs, finalement m'a permis d'échapper aux zombies. L'angoisse et la peur sont mon atmosphère depuis toujours. J’étais bien entraîné. Quelle ironie : j'ai eu de la chance d'avoir eu une satanée malchance depuis ma naissance.
Comment appelle-t-on des êtres qui ne s'arrêtent pas après avoir pris une dizaine de balles dans le corps et qui confondent les gens avec des sandwiches ? La réponse est évidente. Je ne suis pas du genre à me voiler la face. J'ai une devise depuis l'enfance : quand on pense au pire, on a souvent raison.
Antoine allait emprunter à ce comportement qui consiste à s'intégrer en offrant en sacrifice ses idéaux. La damnation permet tout, pardonne tout.
La culpabilité est un plaisir auquel il faut savoir renoncer
p.249
Le repas reprit. Ses parents ne pouvaient s'empêcher de manifester une certaine fierté concernant leurs talents de comédiens. Séléna n'avait qu'un mot à l'esprit : ridicule. Mais elle était touchée de voir leur complicité enfantine. Ça lui faisait chaud au cœur. Au moins partageait-ils la même folie. C'est peut-être ça l'amour.
Il a regretté que les seules fois où les pauvres étaient en contact avec le théâtre, c’étaient quand ils étaient enfermés : dans des écoles, des prisons, des hôpitaux psychiatriques. Comme s’il fallait un public captif qui ne pouvait pas s’échapper.
Le théâtre est un club privé pour les classes moyennes et supérieures cultivées, alors qu’il devrait être partout et pour tous. Que s’est-il passé ? Où nous sommes-nous perdus en chemin pour diviser le monde en deux ? Il y a d’un côté le théâtre populaire et de l’autre le théâtre savant. Ça ne va pas. Je veux toucher les pauvres aussi. Ceux qui n’ont pas fait d’études. Je veux un théâtre qui enthousiasme. Du scandale, du désir, de l’agitation, et de la séduction.
Le théâtre est un club privé pour les classes moyennes et supérieures cultivées,alors qu'il devrait être partout et pour tous.
Je crois que certains êtres humains ont des vertus pharmacologiques.