Citations de Martin Winckler (760)
Parfois, le respect consiste à ne rien dire. Ainsi, on est sûr de ne pas blesser.
En retrouvant les paroles des morts, j'apprenais à mieux écouter les vivants.
- Tu n'es "faite" pour rien. On n'est jamais fait à l'avance. Tu peux faire de toi ce que tu veux.
Je sais que les femmes plient encore sous le genou et la queue des hommes et qu'avant qu'elles ne plient plus sous le poids odieux des médecins, il y aura encore longtemps des médecins hommes et femmes, car ce n'est pas une question de sexe, c'est une question de pouvoir, qui continueront à leur fourrer leurs doigts, leurs instruments, leurs appareils dans le sexe sans se demander ce que ça leur fait, sans se poser la question de savoir ce qu'il y a derrière, ce que ça veut dire pour elles, sans jamais mesurer – et je pèse le poids de mes mots – combien cela fait ressembler les médecins à des bourreaux.
Et j'ai pensé que l'amour, c'était ça aussi: soigner quelqu'un d'autre, ensemble
- Frantz te demande.
Elle a tourné la tête, elle était pâle comme la mort, elle n'a rien dit, elle s'est levée, elle a fait "oui" de la tête et murmuré quelque chose comme "merci" et puis elle a descendu les marches jusqu'à la rue, puis les six marches vers le sous-sol, et elle a franchi l'entrée des IVG.
Quand elle m'a regardée, j'ai juste eu le temps d'apercevoir ses yeux et il y avait quelque chose de différent. Elle n'avait pas pleuré, non, c'est pas le genre - je suis sûre qu'elle pourrait enlever cœur et poumons à sa propre mère sans sourciller. Mais elle avait le regard... je sais pas comment dire.
Cassé.
Les médecins qui veulent le pouvoir font tout pour l'obtenir.
Ceux qui veulent soigner font tout pour s'en éloigner.
(p. 84)
Et accroître sa science, c'est accroître sa peine.
L'Ecclésiaste.
La mémoire est un monde sous-marin : aussi vivant que le corail, l’imaginaire y recouvre lentement l’épave de chaque événement, réel ou non ; les monstres nés dans l’inconscient y évoluent ou s’entre-dévorent avec les formes chatoyantes que nous avons rencontrées ; au souvenir des fictions se mêle indissolublement la fiction des souvenirs…
"Toute relation comporte une certaine part de manipulation. La question est de savoir jusqu'où on se laisse manipuler, et par qui. Et on peut éviter la manipulation en passant à la coopération. Au partage."
Quand on pose des questions,
on n'obtient que des réponses.
[...] j'ai compris combien c'est épuisant de tout se rappeler. Oublier, c'est bien. Se tromper, c'est bien. Ne pas savoir, c'est bien. On a le droit d'oublier. On a le temps d'oublier.
[...] parfois, il faut se tromper pour trouver le bon chemin. Et parfois, il faut en essayer plusieurs...
En résumé : Le corps humain est similaire à un paquebot de croisière : il est équipé de nombreux appareillages qui lui permettent de naviguer et de capteurs qui surveillent le monde extérieur et ce qui se passe à l'intérieur de sa coque.
Lors d'un danger ou d'une avarie, le système de surveillance (le système nociceptif) relaie les messages reçus par les capteurs jusqu'au cerveau, qui les interprète en déclenchant la sirène d'alarme (la douleur). (p. 33)
Quand tu écris, tu te tiens voûté au-dessus du plateau de bois peint. Derrière toi, à travers les rideaux de voile jaunissants et les feuilles de plastique opaque mais translucide qui recouvrent les vitres, la grande fenêtre déverse une vive clarté. Sans lâcher ton stylo, tu tournes la tête vers moi. Les verres de tes lunettes sont légèrement teintés, je ne sais si tu regardes ma bouche ou mes yeux.De temps à autre, tu baisses les yeux vers le bristol quadrillé et tu traces quelques mots. Tu interromps parfois mon récit pour poser des questions.
Comment allez-vous depuis la dernière fois?
Pas bien, sinon je serais pas venu!
Il faut bien que ça aille, sinon ça n'irait plus.
Moi, ça va, c'est ma femme qui ne va pas.
Mieux. C'est pas encore ça, mais c'est mieux.
C'est pareil. Vos remèdes ne m'ont rien fait.µ
C'est pas pire, mais j'ai toujours du mal à dormir.
Eh bien, j'ai plus mal, mais maintenant ça me démange.
On fait aller.
Vous allez me disputer, je n'ai pas pris mes médicaments comme vous me l'aviez dit, quand vous m'avez trouvé une tension pus forte, vous aviez dit qu'il fallait que j'en prenne un le matin et un le soir, mais au bout de trois jours, comme je me sentais bien, j'en ai pris seulement le matin. Du coup, évidemment, la boite a duré plus longtemps, alors je ne suis pas revenue au bout de trois mois, comme vous me l'aviez dit. Vous allez sûrement me disputer...
[Il] savait que les 'romans' de Claire étaient inspirés par des histoires réelles, anciennes ou récentes, et qu'elle les lui racontait pour saisir sur son visage ou dans ses commentaires les échos de ses propres sentiments.
(p. 59-60)
Il [mon père] m'a embrassé sur la joue, a murmuré dans mon oreille.
« N'aie pas peur, petit chat, je reste avec toi.
Je ne te quitterai plus jamais. »
Ce n'était pas vrai, bien sûr. Tout le monde finit par s'en aller, un jour ou l'autre, il le savait mieux que personne.
Mais ce jour-là, j'avais à peine huit ans et je n'avais que lui au monde. J'avais besoin de le croire, alors je l'ai cru.
Et je ne l'ai jamais regretté.
(p. 32)
Aucune douleur n'est justifiée. Jamais. Et la moindre des choses pour un soignant est de NE pas faire mal.
Beaucoup avaient des douleurs qui n'avaient jamais été étiquetées, jamais identifiées. Leurs médecins n'y pouvaient rien et leur avaient dit parfois que c'était dans la tête.
On ne leur avait pas appris que dans la tête, il y a le cerveau ; que la douleur, le cerveau la perçoit et, parfois, la produit. Quand les gens disent qu'ils ont mal, ils ont mal. Dire que c'est "dans leur tête", c'est dire : "Vous avez mal parce que vous avez mal."
Autant leur donner un coup de marteau.
J'ai appris à manier les antalgiques mineurs et la morphine. Les opioïdes synthétiques. Les anesthésiques locaux et généraux. Les neuroleptiques, les antidépresseurs, les myorelaxants et les alpha-adrénergiques. Les blocs plexiques et les neurolyses. Les péridurales.
J'ai appris à analyser les douleurs chroniques ; à identifier l'origine des douleurs projetées ; à apprivoiser les douleurs fantômes.
J'ai appris à employer le placebo, la relaxation, l'hypnose, les gestes, la parole.
Les gestes qui atténuent l'angoisse.
La parole qui, sans donner de faux espoirs, aide à s'ancrer dans la réalité.
J'ai appris à apaiser la douleur des autres.
Pas trop : sans les endormir, sans les empêcher de se sentir vivants.
Mais en les aidant à ne plus ressentir ces cris des profondeurs qui éventrent ou arrachent.
À ne plus être dans la douleur totale, qui empêche de ressentir quoi que ce soit d'autre. Qui empêche de penser. De sourire. D'être présent au monde.
J'ai beaucoup travaillé. Bien, je crois.
Mais ça ne me suffisait pas.