Citations de Martine Delerm (70)
Comment reconstituer le puzzle de ta vie ?
Certains espaces peu à peu se remplissent, dessinent un motif, d'autres troués de manques se laissent deviner, mais, ici et là, trop de vide !
Rien ne se reconstitue vraiment.
Tant de pièces manquantes.
Petites filles aux silhouettes
de femmes,
aux corps brûlants,
aux yeux fatigués de trop voir,
qui voudraient certains soirs
juste un peu de silence
autour de leur enfance.
Derrière les petites filles, il y a les hommes.
Tu retournais les poignets , les cols de chemises usés. Tu tricotais. Les vieux pulls, tu ne les jetais pas, tu les détricotais. Tirer sur le fil, récupérer la laine pour la réutiliser. Pour ce faire, je m'installais face à toi, les mains tendues , écartées, parallèles, et tu entourais régulièrement la laine autour de mes poignets tandis que j'accompagnais ton dévidage d'un lent mouvement régulier et circulaire avec une concentration sérieuse sous le bavardage , dans une connivence tendre , qui grandissait comme grandissait, sur mes avant-bras, l'écheveau de laine encore un peu frisée. Immobiles, prises dans un tâche fastidieuse et simple, nous avions tout le temps de nous aimer.
Les lieux ne sont rien sans les gens. Les lieux ne sont rien sans les gens qui les habitent. Ce que l'on prend pour une âme n'est que l'alchimie précieuse des vies qui les animèrent. J'en ai toujours eu l'intime conviction.
Quelque chose viendra. Je cherche en moi. L'espace parle à mon silence.
Je suis une fuite immobile.
Le soir monte, le silence vient. Jamais autant ensemble.
Et si la même était une autre ?
J'aime sentir en moi cette petite mélancolie, après. Les traces de la fête ne sont pas encore des souvenirs. Une présence. Un silence habité. Comme une signature sur la page des jours.
Je veux me posséder. Échapper à cette écume imposée des journaux, des nouvelles. L'actualité, c'est le contraire du présent.
Je regarde Lucie danser, Clément peindre, je fais des bulles de savon, prison fragile de couleurs où mon image est si légère...
et je m'envole dans la douceur du soir...
Je suis une petite fille incomplète...
Mon drame a commencé juste avant ma naissance, quand j'étais encore dans le pinceau de mon illustratrice.
Oh ! presque rien : un incident insignifiant, trois petits coups frappés au carreau...
Elle s'est levé, a posé son crayon, est allée ouvrir au facteur. L'air , par la porte, est entré, les papiers sur la table se sont mis à tournoyer...
... je me suis envolée !
Il y a des jours où les citrouilles ne sont que des citrouilles.
Alors que je rentrais chez moi, par les vieilles rues de Honfleur, un bruit de pas me poussa dans l'ombre d'une porte. Je m'en voulais de ces angoisse irraisonnées, mais je décidai quand même d'emprunter un autre chemin.
Soudain, je le vis... un corps sombre en travers de l'escalier... un homme : il ne bougeait pas, il était mort...
Juste avant le repas du soir.
Quand les devoirs sont terminés,
tourner les pages d'un livre ou bien rêvasser.
Se laisser bercer par les bruits de la cuisine,
l'eu qui coule dans l'évier, les assiettes
qui s'entrechoquent, les parfums de cake
et de soupe qui montent l'escalier.
Un instant creux.
Au creux de soi.
Camille adore ça.
Savourer le temps qui passe,
sans rien précipiter.
Demain viendra bien assez tôt.
Une feuille tombe,
mais ce n'est pas encore l'hiver,
Camille a le temps.
Camille marche à pas lents,
bien à l'abri du pays d'avant.
Rester fidèle à la douceur des choses.
Porter en soi ceux que l'on a perdus.
Choisir de ne pas monter trop haut
Mais assez pour pouvoir se pencher.