Vidéo relative à "Le choix d'Esteban".
Elle n'éprouvait aucune appréhension à se retrouver seule dans cette forêt ténébreuse, au milieu de la végétation exubérante. Elle fit la découverte de fleurs incroyables, énormes, dont les corolles aux teintes éclatantes semblaient n'être là que pour s'approprier toutes les couleurs possibles sur la tapisserie sombre des arbres et des fougères, ou le velours bronze des mousses. Leur parfum était légèrement enivrant, et Ménuisel se demanda vaguement si ces effluves capiteux n'étaient pas responsables de cette impression de bien-être qui l'accompagnait.
Au fil des jours, je désespère, jusqu'à échouer devant des grands murs de pierre : trouverai-je asile dans ce monastère ? Bons Pères, ouvrez-moi ! Secourez la fille sans terre qui à votre bastille en appelle à lever votre grille ! Prenez pitié de la brebis égarée dont le nom de Marie devrait éveiller votre miséricorde.
Va-t-en, créature de Satan ! Qu'importe ton nom quand tes cheveux ruffins dénoncent ton destin. Ton corps féminin ne profanera pas l'aire des moines. Piège de séduction, écarte des hommes pieux tes viles tentations et fuis ces lieux saints !
Serais-je si belle qu'à ce point vous me redoutiez ?
Malgré son aspect diaphane, j'avais distingué les traits d'une indéniable séduction : un front très haut sur un ovale aux rondeurs juvéniles, une bouche petite et très dessinée, un nez fin et racé et,sous l'arc délié des sourcils presque inexistants, les yeux immenses et vides.
(...) Voilà, elle m'appelle encore... J'ai beau être aguerri, elle a une manière particulière de prononcer mon nom qui ne peut me laisser complètement indifférent. C'est comme quand elle dit : "Gribouille, mon Pipouille..." lorsque je suis niché contre elle. C'est un bonheur de s'abandonner, de ronronner en oubliant qu'on est un chat des rues, un chat noir... de se sentir si petit, aimé, protégé...
- Gribouille !...
Bon, ça va, je rentre, mais parce que je le veux bien.
J'ai traversé Bourges délivrée des entraves du siècle sans la rumeur du jour, au fait de sa beauté médiévale. À sillonner les ruelles entre les maisons aux pignons aigus, l'ardoise brillant d'un éclat métallique sur l'incliné des toits, j'aimais le son de mes pas sur les pavés déserts.

Il y avait de la brume, une brume mouvante qui semblait s'alimenter de la présence du lac pour jouer avec les variations thermiques de l'air. Ces changements provoquaient des illusions dans les formes et on n'était sûr de sa vision qu'à l'approche, lorsqu'un détail se révélait et prenait une importance particulière à être appréhendé avec certitude. La vallée semblait ainsi n'avoir pas de limites à son étendue et y descendre suggérait de plonger dans un monde incertain. Au-dessus, la masse fantomatique du donjon n'apparaissait que pour se voiler un instant plus tard, immatériel et presque inconcevable. J'aurais pu éprouver de l'appréhension à me diriger ainsi sans repères mais il me venait un curieux sentiment d'allègement. A m'enfoncer dans l'isolement de la brume, laissant derrière moi les contraintes qui m'attendaient sous la lumière crue du matin levant, je me dissolvais dans une irresponsabilité bienheureuse, ma seule inquiétude étant de ne pas retrouver Jeanne. Je tentai de l'appeler mais ma voix ne portait pas, comme absorbée par l'environnement ouaté. Son timbre me parut presque incongru et je n'insistai pas, continuant d'avancer. Pour me heurter à un grand mur que je ne reconnus pas. Pourtant, une enceinte de cette taille ne devait pas passer inaperçue !
Filer la brume
Loin du sommeil.
Tracer les runes
De leur éveil...
... À l'existence.
Capter l'errance,
Libre et nue,
Des impromptues.

Il la regardait furtivement, par à-coups, alors que sa splendeur de phurana devait être irrésistible, mais il ne céda pas. Dans cette lutte, Gwerdan pouvait à peine la soutenir car les pulsions en présence étaient trop personnelles. Amusée malgré tout par tant d'entêtement, elle fut alors submergée par un immense flux affectif. Ce n'était plus la seule féminité séductrice qui appelait Odiem-Quin, mais une féminité plus large, infiniment généreuse, où toutes les formes de l'amour offertes par l'essence même de la femme s'abandonnaient à lui, avec la puissance bénéfique d'une aide absolue. Odiem-Quin leva enfin ses mains vers celles de Ménuisel et, lorsqu'ils les joignirent, leur union fut si bouleversante, empreinte d'une telle incroyable familiarité, qu'ils auraient tout oublié hors l'intensité de cet échange si Gwerdan n'avait pas veillé à les ramener vers le but originel : ils devaient se retrouver tous ensemble, partageant la même force.
Bientôt, dans l'obscurité acide de la nuit qu'une lune métallique transperçait de sa froide lactescence, un cercle fut formé, le loup d'érèbe couché en son centre. Mains réunies, toutes émotions confondues, ils s'affermirent, dérisoires mais puissants, contre la menace qui hurlait au-dessus de leurs têtes, prête à les assaillir au moindre signe de faiblesse.
Elle aimait Eudes, même si elle se défendait de penser à lui au prix d'une contrainte constante, et cet amour lui avait paru si longtemps exempt de toute impureté qu'elle ne s'autorisait pas à le trahir. Sa culpabilité ne venait pas d'avoir aimé Eudes, mais d'avoir trompé Géraud, son époux devant Dieu... C'est dans cette certitude qu'elle chercherait à se racheter, ne voulant pas introduire une influence étrangère, fût-elle d'un homme de Dieu, dans le cheminement de sa rédemption.

Charlotte balaya ses derniers scrupules et les robes furent vite jetées sur l'herbe, rapidement suivies par les chemises. Les jeunes femmes entrèrent dans l'eau fraîche avec des petits cris. Alix était la plus courageuse et elle eut tôt fait de s'y plonger entièrement. Elle aspergeait Charlotte qui ripostait maladroitement. Lysandre se résolut à se laisser couler le long du courant, elle suffoqua un peu sous l'étreinte froide qui l'enveloppa d'un coup. Bientôt, les trois baigneuses nageaient et s'ébattaient en riant, sous l'œil contemplateur de Barthélemy qui s'était sagement assis sur la berge. La jeunesse imposait sa loi, elles s'amusaient sans façon, chahutant avec insouciance. Les corps ruisselaient dans la lumière adamantine [...]. Corps blancs, laiteux, de Lysandre et de Charlotte... l'une souple et ondulant comme un cygne, l'autre grasse et rose comme une oie tendre... corps vigoureux au hâle cuivré d'Alix... la chair offerte à l'élément liquide dans sa plus naturelle acceptation. Lysandre éprouvait un plaisir presque sensuel au glissement de l'eau autour d'elle. Elle se renversait à demi, fermait les yeux pour mieux sentir le courant passer sur ses seins... le long de ses hanches... entre ses cuisses... ces caresses-là étaient bien plus agréables que...