Alphabet morse de la gare : long tiret suivi de deux pointillés. Les trois trottoirs roulants qui peinent à rattraper le temps perdu à rallier Montparnasse 3 Vaugirard. Succession d'un long, le plus ancien, le seul à double sens, dans la largeur du quai 24 et de deux courts, le dernier isolé dans un couloir peint en bleu
Si bien que je me demande ce qu'il est advenu du jeune homme qui vivait là, sa tente entourée de vieux mobilier de bureau, et recevait chaque après-midi la visite d'une très jeune femme qui venait avec un bébé dans un landau. Sa compagne et son enfant j'imagine, profitant des heures de sorties autorisées par le règlement de leur foyer.
je croisais des grappes d'enfants accrochées aux poussettes, doubles ou triples parfois, de nourrices - comme on dirait en famille mais assistantes maternelles agréées en langage CAF ou URSSAF -, quittant le Jardin en remontant l'allée de la Deuxième Division Blindée. Des femmes sombres et des enfants clairs, si bien que je me demandais où étaient leurs enfants à elles, pendant ce temps là, si elles en avaient. Il y avait des écoliers d'après la classe, qui marchaient à leurs côtés, et des bébés gardés tout le jour. Elles quittaient le Jardin Atlantique, marche posée, souvent quatre ou cinq de front derrière leurs poussettes...
Troublé encore par l'impossible accommodation visuelle aux effets mosaïques bicolores du sol du hall Maine gâchés par les pièces défectueuses. Les neuves, réparatrices, brillent, cyniques, sur fond d'usure générale. Usure bien compréhensible d'un revêtement quotidiennement piétiné, pour ne pas dire martelé, parfois avec colère. Les carreleurs apposant les rustines ne sont pas dupes, exécutent la commande des autorités de la gare mais, professionnels, en savent la vanité.
J’aime cette rue pour ses cinémas et pour sa droiture conjuguée à une juste suffisante longueur, permettant, d’un seul coup d’oeil une appréciation globale de son trafic et de son activité : livraisons, déménagements, chantiers. Une rue qui ne tergiverse pas, ne cache rien, mène droit au but dans un sens comme dans l’autre. En marche, sur le coup de neuf heures du matin, vers ma vie de bureau, j’envie un peu les touristes en fin de petits déjeuners aperçus au passage dans les salles à manger des hôtels. Où ont vécu Paul Gauguin et André Breton et bien d’autres, plus obscurs, qu’on n’affiche pas.
LA COUTURIÈRE. Cinquième étage, pensez, au premier les platanes bouchaient nos fenêtres. Moi pour coudre je veux y voir clair maintenant.
L’ascenseur, notez bien, c’est pas du superflu : ma clientèle n’ira pas en rajeunissant. Les petites jeunes s’habillent toutes à Prisunic : le sur-mesure c’est bientôt fini. Moi je vous le dis.
LA CLIENTE. Il me faut ça : je vais voyager cet hiver. C’était motus et bouche cousue mais je peux bien vous le dire maintenant : j’ai un ami, à Lyon, veuf sans enfant, directeur d’agence, on se voit le week-end, une fois là-bas, une fois ici. Alors la mise en service du TGV, pensez si on l’attendait !
Je ne sais pas quoi faire et j'expérimente tout de l'ennui. Les aiguilles figées sur les cadrans d'horloge quand on lève encore une fois les yeux, ou les avoir fermés un temps qu'on croyait long, en espérant que ça va mieux maintenant, que le jour avance finalement.
LA CLIENTE. Oui, mais vous savez, ils font leur vie maintenant, chacun de leur côté... Mon marin rempile toujours, et voudrait s’installer plus tard, dans un port, au Sud, loueur de bateaux. L’intérieur des terres, c’est fini pour lui, et la vie de famille je ne crois pas qu’il y vienne. Il a un bon ami... je ne sais pas... je me demande parfois... Son frère et sa nouvelle copine, pas celle des chèvres en Ardèche, s’installent à Grenoble.
LA CLIENTE. Poches ou pas, tailleur ou pas, une aubaine mon embauche à l’agence : la procédure de divorce est lancée.