Citations de Mary Elise (76)
— Je voudrais que tu sois là…, murmurai-je, déprimée, en contemplant à travers le pare-brise les étoiles parmi lesquelles Damien brillait désormais. Tu saurais prononcer les mots que j’ai envie d’entendre, ou tu me prendrais dans tes bras, ce qui suffirait à dissiper mon chagrin, comme autrefois. Sauf que tu n’es pas là. C’est pour ça que tout va mal. Et que, ironiquement, tu m’es plus nécessaire que jamais.
Je tardai à lui donner une réponse. Jamais encore nous n’avions fait de projets si longtemps à l’avance, et cela m’effraya au point que je fus saisie d’un vertige. Il pouvait se passer quantité de choses, d’ici là. Des choses négatives, bien évidemment.
— Regarde ! m’exclamai-je soudain. Une étoile filante !
D’un doigt, je pointai la traînée lumineuse qui traversa le firmament avant de disparaître. Elle avait été trop rapide pour laisser à Damien le temps de l’apercevoir.
— Il faut que tu fasses un vœu, déclara-t-il.
Un vœu ? Quel vœu aurais-je bien pu faire ? J’avais beau réfléchir, il n’y avait rien que je puisse désirer. Sûrement parce que j’avais déjà tout. J’étais follement éprise de l’homme qui partageait ma vie, j’exerçais le métier dont j’avais toujours rêvé, les gens que j’aimais m’entouraient… Qu’aurais-je pu vouloir de plus ?
— Tu veux qu’on parle ? questionna Sören après avoir remarqué son regard, perdu dans le vague.
— De quoi ?
— De ce dont tu as envie. Je ne te forcerai jamais à me révéler ce que tu as sur le cœur, mais tu n’es pas non plus obligé de tout garder pour toi. Là, par exemple, qu’est-ce qui t’effraye le plus ? Et ne me dis pas que c’est l’éventualité de voir une météorite s’écraser sur l’écurie.
« Jusqu'à ce que la mort vous sépare », avait psalmodié le prêtre au moment de nous bénir. Notre existence était trop belle, nos sentiments trop forts. Il avait fallu qu'elle décide de s'en mêler, de réduire à néant cette passion qui nous liait. Elle s'était abattue sur nous comme le linceul qu'elle était véritablement afin de nous détacher l'un de l'autre. Elle seule avait eu ce pouvoir.
— Ça s’est bien passé ?
— C’était formidable, si on excepte le fait que les seuls mots que j’ai prononcés ont été « Bonjour », « Ça va ? » et « Au revoir ». En suédois, évidemment. Le reste du temps, Helena a monopolisé la parole et a presque semblé oublier ma présence. C’est à se demander pourquoi elle a voulu que je sois là, à part pour m’imposer une corvée supplémentaire. Si tu savais comme j’aurais préféré être à l’écurie avec toi…
— Apprendre, apprendre… J’ai parfois l’impression que vous n’avez que ce mot-là à la bouche, Nathalie et toi. Apprendre le suédois. Apprendre à se faire des amis. À monter à cheval, à jouer au billard… Tu sais ce que j’ai appris, moi ? Qu’il ne faut rien attendre de la vie, rien espérer d’elle, parce qu’elle ne donne jamais rien qu’elle ne soit susceptible de reprendre.
Quand les ténèbres l’eurent englouti, il ferma les paupières. Malgré le peu de sommeil dont il avait bénéficié au cours des dernières vingt-quatre heures, il n’avait pas peur de s’endormir. Il était à la fois trop excité et trop tendu pour y parvenir, en plus de pouvoir compter sur ses musiques endiablées pour le maintenir éveillé.
— Ici, nous sommes tranquilles. Il n’y a personne pour nous voir, à part les écureuils, et ce ne sont pas eux qui nous jugeront. Ils préfèreront manger des noisettes. Les gens feraient mieux de les imiter, ils rendraient service à tout le monde. En plus, c’est délicieux, les noisettes.
Alex opina. Faire semblant. Courber l’échine. C’était quelque chose qu’il connaissait bien. Fermer les yeux et les oreilles. Encaisser sans ciller les critiques, les reproches et le mépris de Jules. Subir l’indifférence et la superficialité de Vanessa.
— On se ressemble, toi et moi, conclut Sören, corroborant l’idée que l’adolescent s’était faite durant la conversation qu’ils avaient eue ici même, le premier soir. Plus qu’on ressemble à notre propre famille.
— Pas question qu’on dîne au restaurant tout à l’heure. Tu serais capable de piquer du nez dans ton assiette, en plus de risquer d’aggraver ton état avec le froid qui règne dehors.
— Mais… Et notre réservation ?
— Je me charge de l’annuler. Regarde-toi, tu es toute fébrile… Tu seras mieux au chaud dans ton lit. J’ignore par quel miracle tu as réussi à travailler, aujourd’hui.
— Dit-elle alors qu’elle a un jour tenu la boutique pendant dix heures d’affilée avec quarante de fièvre, se moqua Sacha.
— Damien n’avait aucune pitié pour moi, soupirai-je. Il paraît que je nuisais à sa concentration avec mes quintes de toux. Heureusement que ça ne m’arrivait pas souvent.
Je notai son hésitation au moment de sélectionner l’adjectif avec lequel elle allait me complimenter. Qu’aurait-elle pu dire d’autre ? Que j’étais resplendissante ? Je rayonnais autant qu’un caveau par une nuit sans lune… J’avais seulement fait de mon mieux pour que cela se remarque le moins possible.
Les accidents arrivent si vite au bord d’un étang. Une mauvaise chute, un choc sur la tête et il est facile de se noyer.
Je t’aurais aimé toute ma vie si tu m’avais laissé faire. Au lieu de ça, tu as préféré m’abandonner sans même te retourner.
- Silence ! Est-ce que vous avez conscience de ce que vous faites ? Vous souillez le sang des Candier, votre propre sang. Vous n'avez pas le droit d'agir ainsi! La morale l'interdit.
- C'est toi qui nous parle de morale ? Toi qui passes ton temps à moitié ivre ? Toi qui maltraites ton propre fils ? rétorqua Amanda. Nous n'avons causé de tort à personne, il me semble.
- Si, à notre famille. Imaginez les répercussions néfastes qu'un inceste aurait sur notre réputation. C'est... C'est une bassesse innommable.
- Non, c'est de l'amour. Nous savons que nous sommes cousins et ça ne change rien aux sentiments que nous éprouvons l'un pour l'autre.
— Regarde les étoiles, conseilla Mira. C’est ce que je faisais, à l’asile, à travers les barreaux de la fenêtre.
— Pourquoi ?
— C’est un point de repère. Non seulement elles peuvent t’aider à trouver ton chemin, mais surtout, elles reviennent chaque soir, quoi qu’il arrive. Le monde peut se déchirer, s’entretuer, s’autodétruire… Les étoiles, elles, ne bougeront pas. Elles resteront toujours à la même place et elles scintilleront du même éclat. Pour quelqu’un comme toi, qui as perdu tous tes proches, il est parfois bon de se souvenir que certaines choses sont immuables, car on a tendance à croire le contraire.
Un sentiment étrange l’envahit, sans crier gare, tandis que la forêt devient encore plus sombre. Cela ressemble un peu à la sensation qu’elle éprouve avant chaque flash d’anticipation, mais il ne s’agit pas de cela. Cette fois, elle a comme l’impression de suffoquer.
Une vague d’émotions inconnues la submerge. Une angoisse indicible qui n’est pas la sienne. Des hurlements de panique. Des déchirements. Des pleurs. De la douleur. Et surtout…
— La mort… Il s’est passé quelque chose ici ! s’écrie-t-elle en rattrapant les deux autres en courant, car ils ont une bonne avance sur elle. Quelque chose de grave.
— Tu as eu une vision ? demande Colin.
— Non. Non, je n’ai rien vu. Ce n’était pas comme d’habitude. Là… Je l’ai senti.
— Qu’est-ce que tu as senti ?
— Un massacre. Des innocents ont été massacrés ici par dizaines.
Marion l’observa, à demi-ennuyée par son insistance, à demi-surprise. En dépit de la grossièreté dont elle faisait preuve, Justin continuait à se montrer aussi courtois que serviable. Cela la poussa à se demander s’il n’était pas un peu masochiste dans l’âme.
— C’est bon, je m’en sortirai, maugréa-t-elle. D’ailleurs, mon petit frère ne devrait pas tarder à me rejoindre.
— Comme tu veux. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, ma chambre se trouve de l’autre côté. Ne te trompe pas : c’est la dernière porte à droite. À gauche, c’est celle de mon frère, Tristan. Il vaut mieux que tu évites de les confondre.
— Pourquoi ? Il mord ?
Justin eut un petit rire, puis recouvra un semblant de sérieux, pendant que Marion conservait la même gravité. Sur le ton de la confidence, il révéla :
— Il n’aime pas beaucoup être dérangé.
— Comme ça, nous serons deux.
L’eau qui lui piquait les yeux était moins douloureuse que ce souvenir. Viviane voulait oublier ce que Marion lui avait dit, ainsi que la façon agressive dont elle-même avait réagi, mais les paroles qu’elles avaient formulées, aussi bien l’une que l’autre, paraissaient déterminées à ne plus la quitter.
« Tu es ma mère, et c’est précisément pour ça que je ne te pardonnerai jamais. »
Viviane sursauta lorsque cette phrase résonna en écho à l’intérieur de son crâne. De petites bulles jaillirent hors de sa bouche tandis qu’elle expirait l’air gardé en réserve dans ses poumons, sous le coup de la surprise. Ce n’était pas Marion qui était à l’origine de ces mots, mais elle-même. Cela faisait plus de trente ans qu’elle ne les avait pas ressassés, pas depuis le jour où elle les avait prononcés.
Elle sentit, malgré les picotements provoqués par la mousse, ses larmes se mêler au liquide à l’entour. Viviane ferma les paupières, pendant qu’elle expulsait le peu d’oxygène qu’il lui restait encore. Sans réfléchir à ce qu’elle faisait, elle s’enfonça plus profondément sous l’eau.
Son corps vint se nicher contre le sien, comme attiré par un aimant invisible présent en eux depuis le premier jour. Elle se rappelait encore la dureté de son torse, la forme de ses épaules… Elle se souvenait de tout, dans les moindres détails.
Ils s’embrassèrent longtemps, dans le silence paisible de l’étang. Les arbres les protégeaient du monde extérieur, les rendant presque totalement invisibles. Cet endroit avait toujours été leur havre de paix et il le redevenait, douze ans après.