Marylin Maeso, spécialiste de la pensée d'
Albert Camus, travaille sur l'essentialisme et la philosophie politique contemporaine. Auteure notamment des "Lents demains qui chantent" (2020) à L'Observatoire, elle avait auparavant publié "
Les conspirateurs du silence" (coll."La relève" dirigée par
Adèle van Reeth, L'Observatoire, 2018). Un essai qui dénonce l'"esprit de système" qui aujourd'hui empêche tout dialogue. C'est notamment le cas sur Twitter, réseau auquel
Marylin Maeso s'est inscrite en 2016 et dont l'évolution nous parle d'un mal qui a pris la société entière. En outre, dit-elle, l'anonymat y sert de catalyseur de haine.
Une émission avec
Julien Bisson, rédacteur en chef de l'hebdomadaire "Le Un".
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- Moi, très régulièrement, je récupère mes élèves en classe, ils me parlent de ce qu'ils ont entendu sur CNews, de ce qu'ils ont entendu sur le plateau d'Hanouna et ils ont une opinion très tranchée et on est obligés ensuite, si vous voulez, si j'ose dire, de faire le service après-vente des bêtises des uns et des autres.
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• France 5, C à vous
>> https://www.youtube.com/watch?v=VhmVmHkx_QI
Si, comme le pensait Camus"la vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent", il nous a légué l'oeuvre la plus généreuse qui soit : celle qui demeure radicalement actuelle.
Marylin Maeso.
… nos échanges se réduisent généralement, touchant les questions qui portent des enjeux essentiels, à une série de monologues qui s’entrecroisent sans jamais se rencontrer. C’est éminemment le cas des débats tournant autour de l’antiracisme. Quelles discussions possibles entre des camps qui se considèrent mutuellement comme ennemis, dont chacun es persuadé de détenir la clé de compréhension de la nature véritable des rapports sociaux là ou l’autre se fourvoie dans la mystification idéologique la plus totale, et qui emploient les mêmes termes sans parler des mêmes choses ? Nous parlons tous, continuellement, de « racisme », sans jamais nous mettre d’accord sur le sens précis que nous donnons à ce mot, et c’est parler, sinon pour ne rien dire, du moins pour ne rien transmettre que de ne prêcher qu’aux convaincus.

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Du dessous inquiétant de nos lits d'enfants aux discours qui transforment une différence en problème, « monstrueux » est le nom qu'on donne à ce qui nous échappe , à l'inclassable qui nous force à regarder les biais réducteurs de nos œillères théoriques et idéologiques, au pressentiment que quelque chose de foisonnant et d’insaisissable se cache dans les coulisses de notre petit univers bien rangé et menace de tout chambouler. Le malaise mêlé de fascination qu'engendre l'évocation des grands criminels de l'histoire, ou encore celle des célèbres tueurs en série qui ont fait l'objet de multiples documentaires dont le public est friand, illustre tout particulièrement le fond de cette angoisse. Constater que les monstres moraux (qui, contrairement aux anomalies physiques, résistent aux classifications comme aux explications tranchées) peuvent se cacher sous les traits séduisants d'un 'Ted Bundy' ou derrière la banalité désarmante d'une armée de petits bureaucrates travaillant pour le régime nazi, c'est comprendre que, si l'on fabrique des monstres, c'est peut-être, paradoxalement, moins pour se faire peur que pour donner à notre peur un visage identifiable et circonscrit qui nous aide à mieux dormir la nuit.
Pour les mêmes raisons que le monstrueux suscite la défiance et la volonté de le dissoudre par la normalisation ou par la suppression, il constitue un terreau incroyablement fécond pour l'art. Quitter le royaume des normes établies pour celui des possibles sans limites, c'est consentir à troquer le confort borné et maitrisé pour la curiosité de l'aventurier avide d'explorer une humanité sans tabou. Les pulsions coupables auxquelles on donne des traits démoniaques, le rêve d'immortalité que réalisent les vampires, le projet hybristique du docteur Frankenstein, ou encore les questionnements sur l'au-delà au travers de l'univers des zombies, des fantômes ou de la sorcellerie sont autant d'occurrences où le monstrueux est synonyme d'expansion de la réflexion par la grâce de l'imaginaire. Enjamber les frontières du normal et du naturel pour restituer à la monstruosité son irréductible et arbitraire relativité, c'est aussi se libérer du manichéisme en admettant, à l'instar de Baudelaire, que ce qui fait peur peut tout autant faire envie :
― « Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe, / Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu ! / Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte / D'un infini que j'aime et n'ai jamais connu ? »
La différence entre le monstrueux et l’inhumain semble se loger dans la dissipation de l’ambiguïté que charrie le premier au profit du divorce chirurgical que dénote le second. La nuance est celle qui sépare l’effroyable de l’irréparable. Là où le monstrueux interroge notre identité et fait tanguer ses contours pour nous amener à le redéfinir en nous recentrant sur l’essentiel, l’inhumain fait l’effet d’une déflagration qui ébranle jusqu’à nos repères les plus fondamentaux. le premier ouvre le champ de réflexion. Le second expose un champ de ruines. (Page 11)
La tranquillité d'une vie sans surprises a un prix: plus l'insignifiance prédomine, et plus l'attention se relâche, ne pouvant être retenue que par des signaux retentissants. Plus l'existence se résume à un enchaînement répétitif de gestes, de paroles, d'images, et moins nous serons sensibles à leur contenu, à leurs implications et à leurs potentiels effets délétères.
On doute de tout, sauf de la nécessité de douter.
Dans le journal "Le Soir" du 17 juin 2020
De "plus jamais ça " en "der des ders", la pensée de l'"après " comme antidote aux errances de l'"avant" est un baume qui conjure pour un temps l'insoutenable légèreté de l'être humain.
la déshumanisation n'est pas l'exception, mais la règle.
Si l'effondrement de nos repères et de nos valeurs nous offre l'occasion d'un examen de conscience salutaire, il n'en demeure pas moins que ce dernier, loin d'être une évidence, relève souvent du rendez-vous manqué, car l'issue du calvaire est plus propice, comme le montrera la fin du roman, à la fête, à l'oubli et au retour des vieilles manies qu'on appelle "la normale" qu'à la prise de résolutions durables. Tout l'enjeu, pour enrayer la résurgence cyclique de la peste, est donc de maintenir vivante l'exigence d'authenticité, notamment en exposant sans fard la réitération systématique de cette association mortifère entre une parole mystificatrice et la désinhibition de la violence.