La vie ordinaire au Québec - HNLD Les Essais #1
Je vais parler dans ce livre d’une chose que je ne connais pas, dont personne n’a jamais pu parler après l’avoir connue, parce qu’il s’agit d’une épreuve dont on ne revient pas, et dont la conscience m’habite pourtant depuis toujours : la mort.
La multiplication de moyens de communication ne nous a pas tant rapproché des autres que rendus plus sensible à nous-mêmes, à l'image que nous projetons, de sorte que chaque individu est désormais chargé par les médias sociaux d'assurer sa propre mise en scène et d'orchestrer sa propre campagne de relations publiques, que l'atomisation est la nouvelle loi des sociétés, où chacun se préoccupe d'abord de son bien être ou de sa survie, obéissant à l'idéal inavouable de l'autarcie.
La modernité prend fin le jour où le passé se trouve définitivement vaincu et n'existe plus qu'à l'état de relique ou de trace, où il peut dès lors être récupéré et mobilisé au profit de la nouveauté, ou si l'on préfère : en fonction des intérêts du moment.
Je ne prétends détenir aucune réponse, aucune solution. Je ne défends aucun programme. Mais si je devais plaider en faveur d’une idée, ce serait pour la nécessité impérieuse d’un dépassement de la situation actuelle, non par le rejet brutal de tout ce qui a été fait, non par la répudiation de la vie ordinaire ou par quelque autre table rase, mais par la quête d’un nouvel équilibre qui permettrait à la vie de participation et à la vie de contemplation de gagner en force et en autonomie. J’insisterais sur la nécessité de retrouver un certain sens de la hauteur, un goût du vertige et de la verticalité, de renouer avec la ligne du risque.
Peut-être avons-nous assisté en direct, en temps de pandémie, à la fin de l’idéal moderne du moi unifié, conscient et maître de lui-même : la mise en réseau ne pouvait conduire qu’à l’éclatement du moi, qu’à la dissémination de ses parties aux quatre coins du monde virtuel. Le «je» n’était plus seulement un autre, comme l’avait écrit Rimbaud, mais la somme d’un tout que plus personne n’avait les moyens de reconstituer.
C’est ici que la littérature nous vient en aide, dans la mesure où elle peut nous apprendre à vivre dans la précarité, nous permettre de tenir en équilibre sur les bords de l’abîme, nous maintenir vivants, sur le seuil de notre disparition. […] Mais la littérature contrairement à la philosophie, n’apprend pas d’abord à mourir, mais à vivre et à rêver. Elle apprend à habiter le monde et à le réinventer.
On ne peut renoncer qu'à ce qu'on possède déjà. En ce sens, seuls les riches ont vraiment les moyens d'être pauvres.
Le culte du rendement et de la productivité, l’appétit de vitesse et d’accélération nous ont conduits à considérer la Terre comme un autel immense où tout ce qui vit doit être sans relâche être détruit, dépensé, sacrifié jusqu’à la consommation de toutes choses, jusqu’à la mort de la mort.
Nous squattons le monde bien plus que nous ne l'habitons.
C’est un pays gouverné par l’habitude, où chacun vaque à ses affaires sans s’inquiéter de rien, tout à la certitude que demain sera pareil à hier, un pays où rien ne se transforme ni ne disparaît vraiment, où les événements ont toujours, par quelque côté, un air de déjà-vu, tant le cours de son histoire, comme celui du grand fleuve qui traverse son territoire, semble n’accuser aucune variation.