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Citation de sl972


sl972
14 février 2016
Remettre un semblant d’ordre dans la chronologie, même si c’est une fiction. Surtout celle des intervalles, ça se joue à si peu ! En 1976 j’entre avec Martin dans le grand jeu du cul et de la politique : on usera du premier sans regarder la dépense jusqu’en 81, cinq ans, de la seconde jusqu’en 78, deux ans, et de 78 à 81 on s’en éloignera, œuvrant sans même le voir à l’ouverture des failles où bientôt s’en iront nos aînés, donc une partie de nous. Pendant trois ans nous avons été nos propres fossoyeurs, au sens figuré, avant de l’être au sens propre, après 81. Le monde de nos seize ans, le monde que j’avais deviné sur le pont de Billancourt, qui suintait des corps abandonnés aux rues, des coups de feu, des rafales, des ambitions illimitées destinées à l’abattre, qui jaillissait tout droit, odorant et fleuri, des cuisses de Martin, mettrait encore huit ans à sombrer tout à fait. Ça tient dans une jeunesse ce genre de basculement, notre jeunesse. Ça tient à rien, à un petit ajustement du monde sur son axe, pour qui nous sommes toujours quantité négligeable, chair à canon, chair à travail et cher à foutre, des chiens. Mais pendant les deux ans où nous avons usé du cul comme de la politique, quel plaisir, quelle tension, quel espoir et quelle paix, jamais goûté depuis. Je n’en ai pas la nostalgie, ce mot-là n’est pas plus dans mes habitudes que celui d’érotisme, je ne peux m’habituer à son évanescence ; mais je cherche à savoir où cela est passé, à exhumer la faille, ou sa trace. Je le dois à Martin, et à chacun de ceux qui, parmi mes aînés de France, d’Allemagne et d’Italie, ont laissé leur cadavre sur le carreau du temps, ou bien, restés vivants, ont filé dans l’alcool, la dope ou la déprime, ou encore ont tenté, et tentent chaque jour, de rester cohérents, travaillant en silence à penser et à vivre, à aimer et à jouir, sans lâcher un instant le fil ténu qu’ils tissent depuis que sur le monde ils ont ouvert les yeux.
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