Bibi eut un sourire embarrassé, avant de frémir à cause de l'humidité. Taro lui donna une bourrade amicale en riant avant de s'abandonner, comme son compagnon de voyage, à la contemplation des flammes. Perdus dans des nébuleuses plutôt tristes, puis enjouées, des pensées pleines des affres d'hier et de l'impatience comme de l'excitation que leur inspirait demain, ils se rapprochèrent du feu et de sa chaleur tandis que l'orage se déchaînait autour d'eux, se calant l'un contre l'autre, réchauffés par leur présence et leur simple complicité.
Mon Instinct m’impose cette certitude. Je mourrai. L’Alpha fanera. Tous mes congénères disparaîtront. Mon territoire changera, mes proies, mes sentes, mes caches. La vie continuera, pourtant. Toujours. D’une façon ou d’une autre.
Silencieux, vif, je me lève à mon tour et rejoins les miens. Je suis le dernier à me tenir à découvert. Juste avant de plonger sous la masse de nos arbres bien-aimés, je me secoue avec force, le pelage couvert de graines. Elles virevoltent dans mon sillage, pleines d’espérance.
Je regarde une dernière fois le noir ponctué de petits astres au-dessus de la canopée. Cette limite à ce que je comprends. Ce vertige m’hypnotise le temps de quelques battements de cœur.
Je distingue des points lumineux filer à toute allure parmi les immobiles, dans un tracé fixe, droit. Qui m’inquiète. Une brise imperceptible m’apporte l’odeur des primates des territoires lointains. Mon Instinct me parle. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ces lumières. Comme si je devenais proie, guetté par des milliers d’yeux de concurrents.
Je file me Dissimuler dans l’ombre de la forêt, si aisément qu’elle paraît m’avaler.
Soudain, Matagot recula. Clarisse sentit un vertige s’emparer d’elle. Elle ferma les yeux. Elle ne devait pas s’évanouir. Elle réalisa à la vitesse de la pensée que cette sensation n’était pas due à la peur, ou à une défaillance. Non. C’était au contraire un regain, un sursaut, sa Vision qui lui hurlait de se calmer.
Elle rouvrit les yeux et le Vit, vraiment. Elle aperçut les croûtes de son pelage élimé, sa maigreur, ses coussinets à vif. Elle devina la lassitude de ses mouvements, la pesanteur de son pas. Elle comprit sa… tristesse.
Commença ainsi une attente étrange. L'après-midi déclinait dans les cris, les interpellations, les échos de pillage, les piaillements des charognards chassés. Il plut à nouveau, beaucoup. Sous lui, la terre humide et pleine de déchets se transforma en une boue collante dans laquelle il s'enfonçait, comme si Tormovos voulait l'entraîner dans les profondeurs. Des cavalcades emportèrent l'ennemi en même temps que l'obscurité s'abattit, alors que l'odeur relâcha sa pressions sous une fraîcheur relative. Avec un temps de retard, retentirent grognements des sangliers, aboiements et défis des loups et des chiens, mastications générales et gloussements des reptolaptiles, couinements des rats, dont certains s'intéressèrent à lui de trop près.
Où se trouvait la frontière entre le rêve et la réalité ? Dans quel état se trouvait-il plongé ? Subissait-il encore la farce d'un Dieu ? De Noctos en personne ? Parvint-il vraiment à s'extraire de sa cachette ? Les morts dansaient-ils sur la Popuplace, des torches à la main, couverts de sillons noirs, de bubons, de pus et de sang, qui se dévoilaient en rythme dans une lumière aussi hésitante que leurs mouvements, sur une musique aux notes de plainte et d'agonie ? Les loups et les sangliers se paraient-ils réellement d'attributs humains, à la place des pattes, des croupes et des fourrures, allongés comme des dignitaires, des coupes à la main, en buvant à même le cratère du Duchetier ? Les Lutteurs revivaient-ils leur dernier combat au milieu de cette foule, encore et encore, dans un déferlement d'honneur digne des plus grands Héros ? Tormovos se montra-t-il en personne pour festoyer sur toute cette pourriture, masse énorme, avide, aux contours gélatineux ?
Une nuit profonde et noir comme le vide, comme le rien, conclut cette sarabande effrayante, pour finalement le réveiller d'un sursaut qui heurta sa tête au plancher qui le surplombait. Un goût de terre et de nourriture gâtée emplissait sa bouche pâteuse et son corps fourmillait de multiples douleurs. Il avait serré son baluchon comme une poupée, en un réconfort dérisoire, dans sa nuit de cauchemars. Le jour semblait à peine levé mais il comprit qu'un brouillard dense empoissait le villhavre dévasté. L'air était lourd et presque chaud, l'humidité ambiante pesait sur la respiration.